L'Internaute > Science  > Biologie > Interviews > L'Homme de Neandertal
INTERVIEW
 
Août 2006

"Néandertal était physiquement apte au langage"

L'Homme de Néandertal, depuis sa découverte en 1856, fait l'objet de multiples controverses et reste considéré, à tort, comme une sorte de "sous-homme", incapable de rivaliser avec Homo sapiens. Marylène Patou-Mathis, directeur de recherche au CNRS, réhabilite une espèce encore trop méconnue.

  Envoyer à un ami | Imprimer cet article  

Marylène Patou-Mathis est directeur de recherche au CNRS, responsable de l'unité d'archéozoologie du département de Préhistoire du Muséum d'Histoire naturelle de Paris, responsable des collections ostéologiques (faune) de l'Institut de Paléontologie Humaine et de la commission des spécialistes du Muséum.

  • A lire
  • Marylène Patou- Mathis, Neanderthal : Une autre humanité, Perrin. 2006
  • La Préhistoire, Ed. Fleurus. 2005

L'Homme de Néandertal possédait-il un langage articulé ?
Marylène Patou-Mathis
. Le débat fait rage depuis toujours, la communauté scientifique reste très divisée sur cette question. Globalement, on peut distinguer trois tendances : Les partisans du non absolu, ceux qui pensent qu'il possédait un langage articulé développé mais avec de fortes différences au niveau de la syntaxe et ceux pour qui il le maîtrisait pleinement.

Le langage étant, en partie, un phénomène physique, n'y a-t-il aucun indice matériel qui puisse soutenir une de ces hypothèses ?
Les organes vocaux ne se fossilisent pas, il est donc impossible d'espérer retrouver une trace matérielle directe. Néanmoins, l'absence de palais plat qui empêche l'articulation chez les grands singes, la bipédie et la forte capacité cérébrale des néandertaliens, les aires de Broca et de Wernicke ne pouvant se développer qu'au delà de 450 cm3, nous permettent d'affirmer qu'il était physiquement apte au langage.

De plus, un os hyoïde, l'os de la langue permettant la phonation, a récemment été découvert sur un site archéologique en Israël, il ne présente quasiment aucune différence morphologique avec celui d'un Homo sapiens. Puis le langage peut être décelé par le biais de leurs activités comme la vie en groupe, la chasse, des méthodes complexes de taille des outils etc. Tout cela nécessite une bonne communication.

A ce sujet, était-il aussi organisé que l'Homme moderne dans sa subsistance ou bien davantage opportuniste ?
En réalité, c'est un excellent chasseur, très organisé. A partir de l'étude des ossements des animaux qu'il a consommés, nous voyons qu'il était très bien adapté à son environnement et connaissait son milieu, les espèces présentes etc. De plus, il fabriquait des armes répondant parfaitement à ses besoins et maitrisait aussi le travail du bois, en témoignent les rares outils retrouvés.

En somme il est très semblable à nous, où se loge alors cette différence flagrante ?
Outre les différences physiques (morphologiques), il apparait qu'il n'a pas produit d'outils en os ni réalisé de parures. En réalité il l'a fait mais très tardivement, et souvent on attribue cela à une influence extérieure. Mais attention, l'absence n'est pas une preuve et quand on connait son savoir-faire sur pierre et bois, il est inimaginable de penser qu'il était incapable de façonner des objets en os. Peut-être n'en avait-il aucun besoin, tout simplement.

Parlant de parure, vous soulevez la question de l'art et des capacités cognitives, là encore somme-nous égaux ?
Soyons clairs, à l'heure actuelle nous n'avons retrouvé aucune forme d'art attribuable aux Néandertaliens. Mais une fois de plus, l'absence n'est pas une preuve réelle. Actuellement, certains aborigènes réalisent des peintures sur l'écorce des arbres et certains amérindiens sur des peaux de bisons.

Il est tout à fait plausible que les Néandertaliens aient fait de même, mais malheureusement ces supports, avec le temps, ne se conservent pas. En revanche, le fait qu'ils n'aient pas choisi de décorer des grottes nous informe sur leur très forte mobilité, on ne va pas peindre les parois d'un lieu où l'on ne revient pas ou peu souvent.

L'Homme de Néandertal a été le contemporain d'Homo sapiens, quel a été l'impact de cette rencontre ?
Effectivement, entre l'arrivée des premiers Hommes modernes et la disparition des derniers Néandertaliens se sont écoulées quelque 10 000 années. Mais il faut néanmoins rappeler qu'ils n'ont pas "cohabité" réllement tout ce temps. L'Homme moderne a colonisé lentement l'Europe, par petits groupes, il n'a donc pas exercé une pression forte sur les groupes néandertaliens pré-établis.

Il est courant d'entendre parler de l'acculturation des Néandertaliens par l'Homme moderne, mais il est arrivé avec des savoir-faire moins élaborés et on ne parle jamais d'une acculturation des sapiens par les Néandertaliens ! On remarque de nombreuses innovations chez les néandertaliens pendant cette période mais elles répondent sans doute davantage à de nouvelles contraintes. Il est pénible de généraliser le phénomène systématiquement. La cohabitation et les échanges sont envisageables mais il faut absolument les considérer à l'échelle de quelques groupes, non à l'espèce entière.

Cette cohabitation a-t-elle joué un rôle dans la disparition des Néandertaliens ?
Il existe des dizaines de théories relatives à cette disparition, certaines comme celle du métissage, qui au vu des analyses ADN, devient de moins en moins probable, sont plus sérieuses que d'autres. Il est possible d'imaginer des scénarios très différents.

Pourtant parlant de population on penserait entendre davantage parler de démographie, mais cette dernière semble être la grande oubliée dans le débat. Cette disparition a été un phénomène lent et non brutal. Constitués en petits groupes très mobiles, dispersés sur un territoire vaste, il est possible que cette situation ait engendré un stress qui a freiné leur reproduction.

Possible également de penser que cette espèce était arrivée à la fin de son évolution, elle ne serait pas la première branche morte de l'Humanité. Quelle que soit l'hypothèse, cette disparition semble être la conséquence de plusieurs phénomènes et non d'un seul.

Magazine Science Envoyer | Imprimer Haut de page
Votre avis sur cette publicité