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INTERVIEW
 
Octobre 2006

"Il existe des gènes impliqués dans le comportement"

D'où vient notre comportement ? Comment le lier avec la génétique ? Pierre Roubertoux est chercheur au CNRS. Il a été le premier à identifier un gène lié à un comportement, voici plus de vingt ans.

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Notre comportement est-il influencé par nos gènes ? Existe-t-il des gènes du comportement ?
L'alcoolisme, l'intelligence, la violence… Nos comportements en général dépendent du fonctionnement de l'organisme, qui inclue le fonctionnement du cerveau. De la même manière qu'il existe des gènes qui interviennent dans le fonctionnement du foie et du cœur, il existe aussi des gènes qui interviennent dans le fonctionnement cérébral. Le comportement n'est qu'une émergence du fonctionnement cérébral. Donc oui il existe des gènes du comportement. Reste à comprendre dans quelle mesure.

Existe-t-il un gène de la violence ou de l'intelligence ?
Pour la violence, on a trouvé les gènes chez la souris, mais pas chez l'homme. Concernant l'intelligence, à partir des différences constatées entre individus normaux, on n'a pas trouvé de gènes malgré tous les efforts de la communauté scientifique. En revanche, on connaît environ 700 gènes impliqués dans le déficit intellectuel. Ils n'affectent l'intelligence que de manière pathologique.

Pierre Roubertoux. Il a été le premier à identifier un gène lié à un comportement, voici plus de vingt ans. © Pierre Roubertoux

On parle aussi de gène de l'alcoolisme…
Dans la prise d'alcool, de drogue ou de tabac interviennent des mécanismes de récompense qui ont une base biologique. Or Ces mécanismes biologiques sont liés à des gènes.
Il ne s'agit pas en fait de gènes spécifiques. En effet, les gènes produisent des protéines qui auront différents effets suivant leur localisation cellulaire. Par exemple, c'est un même gène qui permet la formation de l'émail des dents (dans la bouche) et qui favorise la résistance à la lumière des cellules rétiniennes (dans les yeux).

C'est quoi un "gène de prédisposition" ?
Certains gènes interviennent dans la prédisposition à la prise d'alcool. Prenons par exemple, un homme qui a les gènes de prédisposition à l'alcoolisme. S'il vit en Bourgogne, il aura facilement tendance à boire et pourrait devenir alcoolique. S'il part vivre en Arabie Saoudite, il n'aura pas de quoi s'alcooliser et sera abstinent.
Certains de ces gènes sont connus chez la souris. Chez ce rongeur, on sait faire une invalidation du gène. Si on empêche de fonctionner le gène qui code pour le récepteur à dopamine D2, la souris se met à boire de l'alcool. Les 2 génomes (humain et souris) sont très proches.

"Il n'y a pas un comportement qui n'impliquerait aucun gène"

Et comment trouver ces fameux gènes de prédisposition chez l'homme ?
On utilise les mêmes méthodes que pour trouver des gènes de morphologie. On prend une population aux conditions de vie homogènes (l'environnement génère un bruit de fond). Un certain pourcentage de cette population est atteint de la caractéristique A. Si un gène est lié à A, alors A doit toujours être liée à ce gène : autrement dit, il ne doit pas y avoir de personnes A qui ne portent pas cette version du gène.

Nos comportements dérivent-ils plus du génome ou de l'environnement ?
C'est une mauvaise question. Le comportement est dirigé à 100% par le génome et à 100% par l'environnement.
Je vous donne un exemple : la phénylcétonurie. C'est une maladie génétique, dont on connaît le gène impliqué et ses 500 mutations. Elle se traduit par un déficit intellectuel et des troubles épileptiques. Un gène est donc responsable de la maladie. La personne malade a un excès de phénylalanine car celle-ci n'est pas éliminée. Le traitement consiste en une modification de l'alimentation de cette personne (changement d'environnement) avec un régime pauvre en phénylalanine : on a un développement intellectuel qui approche la normale. Donc le retard mental est ici du à un gène mais aussi à l'environnement.
De même toutes les maladies génétiques qui aboutissent à un manque de produit sont théoriquement soignables : on supplée l'absence de ce produit (dopamine dans la maladie de Parkinson).
Bref, il n'y a pas un comportement qui n'impliquerait aucun gène, et il n'y a pas un gène qui n'est pas modulé par l'environnement.

Rien n'est inné et tout est acquis alors ?
Inné signifie dès la naissance. C'est une commodité médicale d'employer ce mot, mais ça n'a pas de sens. Par exemple : la surdité chez les personnes âgées, due aux osselets qui se soudent, c'est héréditaire. Mais ce n'est pas inné puisque ça n'apparaît pas à la naissance !

"Il existe aussi un eugénisme constructif : quand quelque chose est génétique, cela devient plus facile de le soigner "

En revanche, une caractéristique présente à la naissance est forcément hérédiaire ?
Non ! Car avant la naissance, il y a 9 mois d'exposition à l'environnement dans le ventre de la mère. L'environnement commence dès la fécondation. Chez l'humain, l'apprentissage commence tôt : le fœtus commence à entendre dès le 5ème mois, les bourgeons gustatifs apparaissent dès le 4ème mois.
Chez les souris, on dispose de techniques directes qui montrent l'effet de l'environnement prénatal. On peut faire du transfert d'embryon. Pour un génotype donné, les embryons qui se développent dans le ventre de leur mère et ceux qui le font dans celui d'une souris autre donnent des petits qui manifestent des caractéristiques différentes, alors qu'ils possèdent le même génome.
Ce qui est inné -à la naissance- c'est une conjonction de l'effet des gènes et de l'environnement prénatal.

Quels sont selon vous les dangers de penser "tout génétique" ?
Personne ne pense comme ça ! C'est une caricature du généticien, très éloignée de la réalité. En revanche, certains psys pensent en "tout environnement". Ce qui conduit à des excès. Ce qui conduit à des excès plus graves que ceux du tout génétique.

N'avez-vous pas peur des dérives eugéniques ?
Les généticiens ne sont pas les "inventeurs" ni les déclencheurs de ce mouvement. L'eugénisme est apparu en 1880, alors qu'aucun gène n'avait été mis en évidence parce que la notion de gène n'existait pas. Donc l'eugénisme s'est basé sur des concepts faux.
Dans l'eugénisme destructeur, on cherche les gènes responsables de certaines caractéristiques, et on tente d'éradiquer ces caractéristiques en tuant les gens. Concernant les méfaits du tout environnement, on sait qu'on a longtemps "accusé" les mères d'enfants autistes d'être responsables de la maladie de leur enfant, d'où dépressions et suicides. L'eugénisme et la psychanalyse ont donc conduit à des crimes. Ces deux positions extrêmes sont nés de l'ignorance et de la négation, car en réalité, les phénomènes sont complexes.
Bien sûr, on arrivera toujours à des dérives car on n'est pas maître de la conscience des hommes. Mais on n'empêchera pas la science de progresser.

Il faut donc continuer à chercher les gènes du comportement ?
Oui car il existe aussi un eugénisme constructif. C'est celui qui nait du développement de la recherche scientifique et médicale et conduit à soigner ces mêmes gens. Quand quelque chose est génétique, cela devient plus facile de soigner. C'est comme ça qu'on lutte contre la phénylcétonurie.
Aujourd'hui, je travaille notamment sur la connaissance des gènes impliqués dans le déficit intellectuel lié à la trisomie 21dans l'espoir de soigner cette pathologie.

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