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INTERVIEW
 
Juin 2006

"Il est très plausible que le boson de Higgs existe"

Chercheur au CEA depuis plus de 25 ans, Yves Sacquin a consacré une grande part de son temps à le traquer le boson de Higgs. Aujourd'hui, il nous raconte une traque qui repartira dès la mise en service du nouvel accélérateur du Cern, en 2007.

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Yves Sacquin

Le boson de Higgs donne leur masse aux autres particules. Mais d'où vient la masse du boson de Higgs lui-même ?
Il crée un champ qui donne une masse aux autres particules. Mais il baigne aussi dans son propre champ et se donne une masse. Voici deux exemples pour tenter d'expliquer ces phénomènes.

Imaginons une réunion de personnes dans une salle. Entre une personnalité. Tout le monde s'agglomère alors autour d'elle, la ralentissant, lui donnant une inertie : elle acquiert de la masse. Dans cet exemple, les personnes sont les bosons de Higgs, et la personnalité une particule. Plus la personne est connue, plus il y a de monde qui s'agglutine autour d'elle. Voilà pourquoi certaines particules, qui sont plus soumises au champ de Higgs, sont plus massives.

Autre exemple : dans une pièce, quelqu'un lance une rumeur. Des petits groupes se forment alors pour parler de cette rumeur : en se propageant, la rumeur acquiert une inertie, une "masse". Dans cet exemple, la rumeur est le boson de Higgs. Voilà comment cette particule peut acquérir sa masse.

Comment détecter le boson de Higgs ?
On ne peut pas le détecter mais on peut détecter les produits de sa désintégration. Si l'on réussit à obtenir un boson de Higgs de manière réelle (c'est-à-dire la rumeur dans l'exemple ci-dessus), il se désintègrera très vite. Par exemple, on recherchera les cas où, après désintégrations, on détectera 2 photons, ou deux muons.

Le boson est une particule théorique pour le moment. On pourrait s'être trompé et ne jamais la trouver…
Le boson de Higgs cadre tellement bien avec la théorie du modèle standard qu'il semble peu plausible qu'il n'existe pas. D'ailleurs, même si on ne l'a jamais encore observé directement, on en voit des effets indirects, et on sait par avance estimer sa masse (autour de 150 GeV). Mais si on ne le trouve pas, il faudra trouver autre chose pour expliquer les effets qu'on lui prête actuellement. Il faudrait imaginer d'autres mécanismes. Ils nécessitent d'autres particules et d'autres forces.

Quelle énergie se produira au sein du futur accélérateur ?
14 TeV (teraélectronvolts). C'est l'énergie cinétique d'un moustique en plein vol. mais un moustique comporte près de 10 exp 23 particules, donc cette énergie est répartie sur l'ensemble de ces particules. Dans le LHC, on concentre cette énergie sur une particule !

"Au sein du LHC, l'énergie est plus de dix millions de fois plus importante que celle d'une réaction nucléaire"

Autre exemple que je préfère : une flamme émet de la lumière. Un photon de cette lumière a une énergie typique de 1eV. Une réaction nucléaire, qui touche au noyau atomique, met en jeu aux alentours de 1Mev, c'est à dire un million d'eV (c'est le cas des rayons X ou gamma). Au sein du LHC, cette énergie est plus de dix millions de fois plus importante.

Sous combien de temps les physiciens s'attendent-ils à le trouver ? Combien de temps se donnent-ils ?
D'ici 2009/2010. Le nouvel accélérateur du Cern, le plus grand jamais construit, sera inauguré mi 2007. Il faudra attendre début 2008 pour qu'il atteigne une luminosité (nombre de collisions par seconde) suffisante. On estime ensuite qu'il faudra patienter 2 années avant d'avoir assez de données. Le LHC va tourner pendant 10 ans. D'ici 5 ans, on pense déjà à des améliorations. Si d'ici là on n'a pas trouvé le fameux boson, il faudrait repenser le modèle standard.

Dès que ce fameux boson sera détecté, quel sera le nouveau défi des physiciens ?
Rechercher des particules supersymétriques, comme les neutralinos, qui constitueraient la masse manquante de l'Univers.

Etudier plus en détail les neutrinos, dont on ne connaît pas toutes les propriétés. On ne sait pas vraiment, par exemple, comment les insérer parfaitement dans le modèle standard.

Tester la théorie des cordes si les théoriciens de cordes proposent des modes opératoires. Mais d'une manière générale, le LHC produira des collisions dont tous les produits seront étudiés, par des groupes de travail différents.

Pourrait on découvrir de nouvelles particules élémentaires, plus petites que les quarks par exemple ?
Le modèle standard ne prévoit pas de trouver des particules plus petites que les quarks mais pourquoi pas. Dans ce cas, il faudrait l'améliorer. Au LHC, on vérifiera surtout qu'il n'existe pas de sous structure. Mais il peut y avoir des surprises.

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