Suicide d'Evaëlle : ce que disait en classe son enseignante, jugée pour harcèlement
Le procès de Pascale B., professeure de français d'un collège du Val-d'Oise, s'est ouvert ce lundi 10 mars devant le tribunal judiciaire de Pontoise. L'enseignante est poursuivie pour "harcèlement moral sur mineur de moins de 15 ans" au préjudice de trois adolescents, dont la petite Evaëlle, 11 ans.
Dans l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, il lui est reproché par les magistrats instruisant le dossier d'avoir "humilié régulièrement" Evaëlle, de l'avoir "isolée" et d'avoir organisé "des heures de vie de classe portant sur le harcèlement scolaire au cours desquelles elle l'a stigmatisée comme étant victime de harcèlement par ses camarades et l'a contrainte à répondre aux questions de ceux-ci".
Depuis son entrée au collège Isabelle Autissier d'Herblay, en septembre 2018, Evaëlle était la cible de brimades de la part de plusieurs élèves. Croche-pattes, gifles, moqueries... le quotidien de la pré-adolescente était devenu un véritable enfer. L'ampleur est telle que ses parents avaient décidé de porter plainte pour harcèlement à l'encontre de plusieurs élèves, dont les invectives étaient devenues récurrentes.
"Elle s'énervait contre elle parce qu'elle pleurait"
Puis il y a Pascale B., une professeure de français suspectée d'avoir participé à l'harcèlement d'Evaëlle, selon la majorité des élèves interrogés durant l'enquête. Les faits reprochés remonteraient à une blessure à la cheville qui aurait contraint la collégienne à utiliser un classeur plutôt que des cahiers dans chaque matière. Si tous les enseignants acceptent la mesure, seule Pascale B. exige un plan d'accompagnement personnalisé, rapporte Le Point. D'après Marie Dupuis, sa fille aurait été prise à partie sur le sujet à chaque début de cours.
Pour pallier ces tensions sous-jacentes, une réunion est organisée par l'établissement avant les vacances de la Toussaint. Sébastien Dupuis affirme, dans le cadre de l'enquête ouverte quelques mois avant le suicide de sa fille, avoir rencontré Pascale B. pour lui expliquer des "difficultés" rencontrées par Evaëlle, "notamment sur sa place en fond de classe alors qu'elle portait des lunettes". La professeure aurait refusé à plusieurs reprises de la déplacer, ce qui aurait contribué à son isolement, selon le juge d'instruction.
"Ma cliente a proposé d'attendre le retour des vacances de la Toussaint pour changer de place, ce qu'Evaëlle a accepté", assure de son côté l'avocate de l'accusée, Marie Roumiantseva, à franceinfo. Si la situation s'apaise un temps, elle s'envenime de nouveau courant février. Lors d'une sortie piscine, les élèves - qui ont pris pour habitude de s'en prendre à la pré-adolescente - l'accusent d'avoir volé une chaussette. De retour en cours de français, Pascale B. décide de faire une heure de "vie de classe" et demande à la jeune fille pourquoi elle se sent "harcelée et exclue".
Alors qu'Evaëlle tente de répondre, plusieurs élèves la traitent de menteuse selon des témoignages de camarades : la petite fille fond en larmes. La professeure lui aurait ordonné "de manière méchante" d'arrêter de pleurer, affirme ensuite la collégienne à ses parents. "La prof nous a demandé ce qui n'allait pas et ce qui nous dérangeait chez Evaëlle. Elle s'énervait contre elle parce qu'elle pleurait", confirme une élève au Point. En rentrant de l'école, la pré-adolescente confie à sa mère avoir passé "la pire journée de sa vie".
L'enseignante nie en bloc
Une version que la principale concernée conteste. "Elle a dit aux élèves : 'Vous vous calmez, on va parler de tout ce qui ne va pas', alors qu'ils se disputaient à leur arrivée en classe, après un cours d'EPS. Ils ont ensuite présenté leurs excuses les uns aux autres", assure l'avocate de Pascale B. "Je voulais que les élèves se parlent entre eux. Qu'ils comprennent que ce n'était pas possible de se parler comme ça", a elle-même expliqué l'enseignante auprès de franceinfo.
Informés de cet épisode, les parents d'Evaëlle refusent qu'elle retourne en cours. La collégienne est changée d'établissement. Sa scolarité se passe mieux - le personnel ayant été averti de sa situation - même si "des conflits entre camarades pouvaient survenir", selon la principale adjointe du collège Georges-Duhamel, situé à 800 mètres du précédent. Le 21 juin 2019, une nouvelle altercation avec un camarade de classe ébranle la jeune fille. De retour chez elle, elle raconte l'évènement à sa mère qui s'en émeut. Quelques heures plus tard, elle est retrouvée pendue à un foulard accroché à son lit-mezzanine par son père.
En apprenant la mort d'Evaëlle, Pascale B. éprouve de la compassion, affirme-t-elle quelques mois plus tard, en garde à vue. "Toute l'affaire a été un choc énorme pour elle. On ne peut pas rester insensible au décès d'une petite fille de 11 ans", assure son avocate. L'enseignante sera poursuivie pour "homicide involontaire", avant de bénéficier d'un non-lieu pour ce chef d'accusation à l'issue de l'instruction. La juge avait estimé qu'il n'était pas "possible de déterminer les éléments précis ayant conduit à son décès", Evaëlle ayant été confrontée à de nombreuses difficultés avant son décès.
"J'ai adoré mon métier, je l'ai exercé avec passion. C'est difficile d'être incriminée de la sorte", s'alarme l'accusée au tribunal. Depuis 2021, l'enseignante ne peut plus faire cours à des mineurs et a une obligation de soins psychologiques. "J'ai quand même plus de trente-trois ans d'expérience. Des erreurs, on en fait tous, mais spécifiquement et spécialement là, je ne pense pas en avoir commis." a-t-elle ajouté.