Donald Trump - Hillary Clinton : ce que leurs mots nous apprennent
CHRONIQUE - Avant le premier débat de l'élection américaine, Donald Trump affirmait encore qu'il ne préparerait pas ses interventions télévisuelles. Mais face à l'avalanche médiatique l'ayant donné perdant du premier duel, le candidat républicain aurait apparemment changé d'avis. C'est du moins ce que semblent révéler nos résultats.

De débat en débat, Trump ne cesse de ralentir son tempo : 700 phrases lors du premier, 624 pendant le deuxième avant de tomber à 590 lors du troisième. De plus, son débit de parole chute de 29%. Alors que de nombreux commentateurs considèrent que le deuxième débat constitue sa plus mauvaise performance, c'est à cette occasion que Trump utilise le plus large champs lexical (902 lemmes ou racines de mot contre 770 dans le débat final) et se répète le moins. Quoi d'autre ?
Allons plus loin. Chaque discours est constitué de plusieurs catégories lexicales comprenant des noms, des verbes, des adverbes, etc. Nous avons ainsi taggé le script du troisième débat selon ces mêmes catégories, nous permettant d'obtenir une vision précise des styles oratoires des candidats. Commençons par un exemple : comment Clinton et Trump se qualifient-ils l'un l'autre ; utilisent-ils leurs noms de famille ou des pronoms personnels (plus froids, selon nous) ?

Lors du premier débat, Trump se réfère à son adversaire à coup de "Secretary Clinton" (28 fois), mais arrête d'utiliser cette expression lors de la deuxième confrontation pour privilégier le pronom "elle" (passé de 46 à 103 occurrences dans le deuxième débat). Il revient finalement à "Clinton" pendant la dernière confrontation à Las Vegas. Clinton évoque le plus souvent Trump en utilisant son prénom "Donald" (30 fois en moyenne par débat), mais adopte le pronom "il" lors du troisième débat (+80%).
Autre information intéressante à souligner : si Trump utilise beaucoup le "Je" lors du premier débat avec 293 occurrences, ce chiffre tombe à 151 puis 161 lors les deux autres. A l'inverse, Clinton a de plus en plus recours au "Je", passant de 160 mentions à 194 lors de sa dernière confrontation télévisée avec le candidat républicain.

Las Vegas, la dernière chance
Le dernier débat offre une ultime occasion d'attaquer et de couper la parole. Pendant le premier face à face, Trump interrompt Clinton 55 fois, avant de calmer ses ardeurs lors du deuxième (14 interruptions) pour finalement se laisser aller à Las Vegas en interrompant la candidate démocrate 37 fois. Clinton reste plutôt constante d'un débat à l'autre, que ce soit en nombre d'interruptions (9, 4 puis 8) qu'en niveau de vocabulaire (avec en moyenne 1016 différents lemmes, ie. racines de mots).
Trump rêve du téléphone rouge
En identifiant les noms propres mentionnés lors du débat de Las Vegas, on observe que Trump fait beaucoup plus référence à des thématiques internationales que Clinton, en évoquant Mossoul (17 fois contre 6), l'Iran/Iraniens (13 vs 1), ISIS (10 vs 6), la Russie/les Russes (11 vs 6), l'Irak (9 vs 5) ou l'Otan (3 vs 1). Que ce soit une bonne ou une mauvaise chose, cela montre en tout cas que Trump souhaitait faire le plus de références possibles à l'international, chose que Clinton a clairement évité.

Protocole vs TV
Mark Twain a écrit un jour : "Le caractère d'un homme peut se lire dans les adjectifs qu'il utilise régulièrement dans une conversation". Cette affirmation semble s'appliquer aux candidats à la Présidence américaine. En analysant le rapport des cotes (odds ratio) de ces mots, on obtient les adjectifs "Trumpiens" et les "Clintoniens". Nous pouvons ainsi identifier quels sont les mots surreprésentés dans chacun des discours. Les mots Trumpiens (odds ratio positif) sont à 62,5% monosyllabiques et semblent traduire une polarité "émotionnelle" : "mauvais" (19 vs 0), "énorme" (8 vs 0), "fort" (7 vs 0), "grand" (17 vs 8), "triste" (4 vs 0).

C'est une forme de polarité que l'on ne retrouve pas parmi les adjectifs Clintoniens (odds ratio négatif), qui sont révélateurs de sa nature d'administrateur public : "clair" (12 vs 0), "américain" (12 vs 3), "national" (6 vs 1), "important" (6 vs 0), "riche" (5 vs 0), "fédéral" (5 vs 0), "capable" (5 vs 0), "sûr" (6 vs 1).

"Méchante femme", "hombres" mexicains
Bien que prononcé une seule fois, le mot qui ressort de ce dernier grand rendez-vous avant le passage aux urnes est "méchante". En effet, Trump qualifie Clinton de "méchante femme", une tournure que le public américain n'était pas prêt de laisser passer suite aux derniers scandales ayant écabloussé le candidat Républicain sur son rapport aux femmes : le 19 octobre, 237 000 tweets utilisent le hashtag "#ImwithHer" (#JesuisavecElle"), un bond de plus de 230% en 24h. Le hashtag #nastywoman ("#méchantefemme") figure pour sa part parmi les trending topics de la journée, s'imposant ainsi comme l'un des sujets les plus commentés par les américains sur Twitter.

Trump surprend aussi en utilisant le mot "hombres" ("hommes" en espagnol) pour évoquer les migrants mexicains, propulsant à son tour #BadHombresAMovie (#MauvaisHombresLeFilm) parmi les trending topics. Les femmes et l'immigration ont toujours été des sujets très controversés pour le candidat républicain, qui décida d'appuyer une fois de plus sur ce qui fait sa différence. Avec "Méchante" et "Hombres", Trump domine la couverture médiatique. Dans l'intervalle, Clinton pourrait bien dominer les élections.

Illustrations : Fanny Algeyer