Nouvelle-Calédonie : pourquoi la mobilisation a tourné à l'émeute ?

Nouvelle-Calédonie : pourquoi la mobilisation a tourné à l'émeute ? Une mobilisation indépendantiste contre la réforme constitutionnelle sur l'élargissement du corps électoral local a laissé place à des scènes de violences inouïes à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. Quelles sont les raisons de la colère ?

Des scènes de violences et de chaos. De violents affrontements ont éclaté en Nouvelle-Calédonie, plus particulièrement à Nouméa et au Grand Nouméa, dans la nuit du lundi 13 à mardi 14 mai et après une journée déjà agitée. Le bilan de ces heures chaotiques est lourd : des centaines de voitures incendiées, plus d'une trentaine d'entreprises et de commerces brûlés ainsi que des maisons selon un regroupement de représentants du patronat. Les affrontements n'ont heureusement fait aucun mort selon le Haut-commissaire de la République de Nouvelle-Calédonie, mais 54 gendarmes ont été blessés et 82 personnes interpellées d'après le décompte du ministère de l'Intérieur. Le bilan aurait pu être plus grave compte tenu "des tirs tendus avec des armes de gros calibre, des carabines de grande chasse" qui ont éclaté dans la nuit selon le Haut-commissaire de la République.

La situation est toujours tendue ce mardi à Nouméa et la maire, Sonia Lagarde, dit craindre une "sorte de guerre civile" comme le rapporte Nouvelle-Calédonie 1ère. Le gouvernement calédonien a appelé au calme alors que des mesures ont été prises pour éviter que les scènes de la veille se reproduisent. Un couvre-feu est mis en place à compter de 18 heures ce mardi et jusqu'à 6 heures demain matin (soit à partir de 9 heures ce mardi, heure de Paris), les rassemblements sur la voie publique sont interdits et plusieurs écoles, internats et entreprises sont fermées. Les autorités ont également déployé quatre escadrons de gendarmerie mobile ainsi que l'ensemble des équipes du GIGN.

La colère des indépendantistes contre une réforme constitutionnelle...

Les altercations et le déferlement de violences ont éclaté en marge d'une mobilisation indépendantiste contre la réforme constitutionnelle examinée et votée à l'Assemblée nationale ce mardi 14 mai. Le texte vise à élargir le corps électoral de l'archipel, notamment pour les élections provinciales, capitales en Nouvelle-Calédonie, ou les référendums. La réforme a déjà été adoptée par le Sénat - grâce aux votes de la majorité présidentielle, de la droite et de l'extrême droite" - et doit l'être par l'Assemblée pour être entérinée, mais cette mesure divise les Calédoniens. D'un côté les loyalistes sont favorables à la mesure, tandis que de l'autre les indépendantistes s'y opposent fermement. Les partisans d'une Nouvelle-Calédonie indépendante jugent qu'avec cette réforme l'Etat cherche à "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak", lequel est majoritaire et représente 40% de la population, mais tend à se réduire.

Les conditions pour avoir le droit de vote aux scrutins susmentionnés sont strictes et ont été figées en 1998 pour garantir au peuple kanak une représentativité correcte : il faut donc avoir la nationalité calédonienne et avoir résidé en Nouvelle-Calédonie entre 1988 et 1998 ou être l'enfant d'un parent ayant été dans cette situation. La réforme constitutionnelle ouvrirait l'accès au vote aux personnes vivant depuis au moins dix ans dans l'archipel.

... dans un contexte explosif

Les indépendantistes font entendre leur opposition à la réforme constitutionnelle qu'ils considèrent comme un "passage en force" de l'Etat selon les mots du secrétaire général de l'Union calédonienne (parti indépendantiste), Dominique Fochi, à l'AFP. Certains comme le sénateur kanak Robert Xowie, contacté par Le Monde, voient avec cette intervention pour l'élargissement du corps électoral une nouvelle forme de colonialisme français.

La colère des indépendantistes est exacerbée par le contexte dans lequel évolue la Nouvelle-Calédonie depuis quelques années avec les discussions sur l'indépendance de l'archipel. Si le "non" à l'indépendance l'a emporté après les trois référendums d'autodétermination, les discussions se poursuivent sur un nouveau statut à accordé au territoire. Reste qu'elles avancent peu.

Les violences condamnées pour le mouvement indépendantiste

S'ils s'opposent à la réforme constitutionnelle, les mouvements indépendantistes ne cautionnent pas et condamnent les violences observées en Nouvelle-Calédonie ces dernières heures. Pierre-Chanel Tutugoro, le président du parti UC-FLNKS au Congrès appelle tout le monde à "lever le pied" et à laisser le dialogue se poursuivre et à "éviter que la rue prenne le dessus" relaye NC 1ère.

Une position partagée par Jean-Pierre Djaïwé, président du parti Union nationale pour l'indépendance (UNI). L'homme politique regrette cette perte de contrôle selon le média local : "À partir du moment où le débat [...]arrive dans la rue, ça devient compliqué. Il faut des mots d'ordre clairs pour que les actions sur le terrain, parfois nécessaires, soient suffisamment contrôlées et ne deviennent pas n'importe quoi." Il dénonce aussi l'absence de conscience politique de certains manifestants : "Quand on a affaire à des personnes qui ne sont pas politiquement conscientisées, l'action n'a plus pour but de parvenir à un résultat politique mais finalement à dégrader les choses. Ce n'est pas ça faire de la politique." Tous deux appellent donc au calme à la poursuite des discussions qui "sont en cours".