Dissolution de l'Assemblée nationale : en projet ou coup de bluff d'Emmanuel Macron ?

Dissolution de l'Assemblée nationale : en projet ou coup de bluff d'Emmanuel Macron ?

DISSOLUTION ASSEMBLEE. Emmanuel Macron penserait à la dissolution de l'Assemblée nationale selon les dires de ses proches conseillers aux médias. Mais est-ce vraiment dans les plans de la majorité ou simplement une menace adressée à l'opposition ?

Et si Emmanuel Macron envisageait une dissolution de l'Assemblée nationale plus rapidement que prévu ? Plus que si, en réalité la question est plutôt "quand ?" car dans les rangs de la majorité on se prépare à cette éventualité. Selon les confidences du numéro un du parti macroniste, Stéphane Séjourné, dans l'édition du 6 novembre du Journal du Dimanche, tout est en place pour parer au renouvellement des députés, du "protocole de dissolution" au "retroplanning détaillé" sur le programme des jours suivent la dissolution. Une annonce qui sonne comme une menace à l'heure où le gouvernement use du 49.3 sans modération pour voter les texte budgétaires et où les motions de censure s'alignent. Pourtant il ne s'agirait pas que d'une mise en garde, le président de la République a confié à ses proches conseillers avoir mûri l'affaire notamment lors de son interview accordée le 26 octobre à France 2 quand il a jeté sur Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, les deux chefs des groupes d'opposition majoritaires, la responsabilité du chaos ambiant de l'hémicycle. Une stratégie habile car si politiquement le camp présidentiel a beaucoup à gagner avec une dissolution, il pourrait aussi perdre toute crédibilité auprès des Français à qui il faut donner une raison autre que des intérêts politiques propres pour justifier la dissolution qui convoquerait la tenue de nouvelles élections législatives.

La dissolution de l'Assemblée nationale serait donc prête à être prononcée à la moindre occasion, notamment si la gauche et l'extrême votent de concert une motion de censure contre le gouvernement d'Elisabeth Borne, tel qu'il était indiqué par des propos issus d'un dîner du 28 septembre à l'Elysée et rapportés par BFM TV. Pourtant toujours dans les rangs de Renaissance d'autres voient plus un avertissement qu'un projet dans ces allusions à la dissolution. Auprès de Politico, un proche de l'Elysée et fin stratège a assuré que si le renversement des députés était si imminent, des investitures et la recherche de candidat auraient déjà débuté ajoutant que "si quelqu'un de sérieux avait bossé dessus, [l'agenda prévisionnel] ne commencerait pas à J+1 mais à J-30". Alors à quel discours faut-il s'en remettre ? Le président de la République peut-il réellement engager une dissolution de l'Assemblée nationale ? Comment et surtout pourquoi ?

Pourquoi Emmanuel Macron pourrait-il dissoudre l'Assemblée nationale ?

Les premiers mois de second quinquennat d'Emmanuel Macron ont été marqués par la cacophonie de l'Assemblée nationale. La majorité présidentielle est parvenue sans trop de difficultés à un accord sur la loi pour le pouvoir d'achat mais depuis les échanges sont paralysés en témoignent l'usage à quatre reprises par la Première ministre du 49.3 pour voter le budget 2023 et les six motions de censure qui y ont répondu. La réforme des retraites et le projet de loi sur l'immigration annoncés pour début 2023 préparent encore des débats mouvementés dans l'hémicycle. Le risque pour Emmanuel Macron, élu sur la base d'un programme réformateur, est d'être contraint à l'immobilisme faute de majorité absolue à l'Assemblée.

S'il ne parvient pas à convaincre texte par texte une quarantaine de députés, le seul autre moyen pour le chef de l'Etat de mener ses projets à bout est un passage en force permis par le 49.3. Le pendant de cet article peut aussi s'avérer être une solution de dernier recours pour le camp présidentiel. Une fois la "responsabilité du gouvernement" d'Elisabeth Borne engagée par l'usage de l'arme parlementaire, les députés sont libres de déposer une motion de censure qui si elle est votée à la majorité absolue (289 voix sur 544) retoque la loi et renverse l'exécutif. Mais alors dans un tel scénario, Emmanuel Macron dit avoir prévu un plan : celui de dissoudre l'Assemblée et d'organiser de nouvelles élections législatives pour peut-être, cette fois, obtenir la majorité absolue. 

Quels sont les arguments d'Emmanuel Macron pour dissoudre l'Assemblée nationale ?

Si la dissolution de l'Assemblée nationale est prononcée c'est avec un objectif en vue : obtenir la majorité absolue à l'Assemblée. A ce sujet, Stéphane Séjourné a assurée dans les colonnes du JDD le 6 novembre avoir entamé une prospection pour nommer en février 2023 "un délégué dans chaque circonscription dont le député n'est pas un élu du mouvement présidentiel" et ainsi disposer d'un candidat en cas de dissolution. Si la question des investitures et des candidats à d'éventuels scrutins législatifs est résolue, reste celle du vote. La tenue de nouvelles élections ne garantit pas la victoire et encore moins l'obtention d'une majorité absolue par Emmanuel Macron. Au contraire, selon un sondage paru dans le JDD, à ce jour un scrutin ne bénéficierait à personne si ce n'est au Rassemblement national.

Outre la présence majoritaire des députés du camp présidentiel, Emmanuel Macron pourrait voir un autre argument à la dissolution de l'Assemblée : resserrer les rangs et rappeler aux partis alliés qui tient les ficelles. Le MoDem de François Bayrou et Horizons d'Edouard Philippe ont commencé à montrer des signes d'émancipation qui ne sont pas du goût d'Emmanuel Macron déjà fragile dans l'hémicycle.

En contrepartie, la dissolution peut présenter des inconvénients, à commencer par le risque de perdre de nouveaux sièges pour les députés Renaissance, mais aussi de mettre fin à toutes les discussions alors même que le gouvernement prône le dialogue depuis des mois. Des cadres de la majorité craignent ainsi que décider la dissolution soit une mauvaise stratégie alors que Les Républicains ont déjà prouvé être ouverts à la discussion et au vote de projets macronistes. "La seule chose qui compte c'est de construire des majorités texte par texte. Au moment où ça marche, on envoie un message inverse, c'est complètement con ! [...] Vous ne construisez pas des majorités avec ce genre de menaces", a-t-il lancé agacé à Politico.

En savoir plus

Qu'est-ce qu'une dissolution ?

Le Président de la République est en droit de procéder à une dissolution parlementaire : cela consiste à mettre prématurément fin au mandat de l'Assemblée nationale. Il s'agit du dernier recours en cas de situation extrême : lorsque le président ne dispose pas d'une majorité stable à l'Assemblée, ou en cas de crise. Elle peut être perçue comme l'échappatoire indispensable dans le cas où la politique du pays est bloquée, ou que l'on assiste à une paralysie institutionnelle, avec un niveau de dissensus tel que la gouvernance du pays devient impossible. De fait, lorsque l'opposition est trop puissante dans l'hémicycle et que le camp présidentiel ne parvient pas à former des alliances pour faire voter les lois prévues dans son programme, le pays peut s'enliser dans l'immobilisme. En provoquant de nouvelles élections législatives, la dissolution permet de solliciter les électeurs pour qu'ils désignent une autre majorité, entendu une qui soutiendra son action.

Que dit la Constitution sur la dissolution de l'Assemblée ?

Prévue à l'article 12 de la Constitution, la dissolution peut être prononcée par le président de la République "après consultation du Premier ministre et des Présidents" de l'Assemblée nationale et du Sénat". Son mécanisme, relativement simple, repose principalement sur la volonté du président. A ce titre, dans son ouvrage "Les dissolutions sous la Ve République" paru en 1997, le constitutionnaliste Jean-Claude Zarka en parle comme d'une "compétence quasi-discrétionnaire" du président de la République, les seules obligations inscrites dans la Constitution étant la consultation préalable du Premier ministre et des deux présidents des chambres parlementaires (sachant qu'il ne donne qu'un avis purement consultatif). En outre, cet exercice est une prérogative dispensée de contreseing ministériel prévu à l'article 19, ce qui signifie qu'elle ne dépend que du président de la République.

La Constitution prévoit quelques limitations au droit de dissolution. D'une part, le président ne peut dissoudre l'Assemblée nationale pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels prévus par l'article 16 de la constitution. D'autre part, la dissolution est également interdite lorsque le président du Sénat exerce l'intérim de la présidence de la République, comme le prévoit l'article 7 de la Constitution. Les seules règles réellement contraignantes qui encadrent la dissolution de l'Assemblée concernent les délais. La Constitution précise que le chef de l'Etat doit patienter un an entre deux dissolutions. Mais dans le cas présent, Emmanuel Macron n'aura pas à attendre car, comme le précise Le Monde, le délai à respecter après une élection législative n'est pas spécifié dans la loi et peut être réduit à néant selon l'interprétation constitutionnelle. Une fois la dissolution prononcée, la convocation de nouvelles élections législatives doit avoir lieu "vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution". 

Combien y a-t-il eu de dissolutions de l'Assemblée nationale ?

On dénombre cinq dissolutions de l'Assemblée nationale dans l'histoire de la Ve République... Et toutes n'ont pas abouti au même résultat. Deux fois, elle a été utilisée pour répondre à une crise d'ampleur nationale : ce fut une réussite pour Charles de Gaulle qui s'est extirpé de situations particulièrement délicates en obtenant une majorité solide en 1962 et en 1968. Mais, sur les trois qui étaient destinées à conforter (voire à construire) la majorité du camp présidentiel à l'Assemblée, l'une d'elle fut un échec marquant. On pense ici au pari électoral raté de Jacques Chirac en 1997 qui avait dissout le Parlement dans le but d'obtenir une plus large majorité et ainsi d'éviter toute once de blocage politique lors du vote des lois. Il a finalement tout perdu lorsque les socialistes l'ont évincé dans les urnes, propulsant Lionel Jospin au poste de Premier ministre et contraignant Jacques Chirac à cohabiter. Reste à voir si, dans le cas d'Emmanuel Macron, une éventuelle dissolution serait justifiée par une paralysie parlementaire ou par la nécessité de dépasser les clivages politiques pour sortir d'une crise. Ou si elle apparaîtrait comme une tentative désespérée d'évincer l'opposition.