Qatargate : Antonio Panzeri est-il à la tête du réseau de corruption au Parlement européen ?
[Mis à jour le 15 décembre 2022 à 15h21] L'affaire du Qatargate est le "scandale de corruption le plus grave de l'histoire du Parlement européen", a résumé Manon Aubry, députée européenne de La France insoumise, au micro d'Europe 1, ce vendredi 16 décembre. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'affaire n'a pas fini de faire du bruit. Jeudi, une nouvelle information est venue conforter cette idée. Le Soir, Repubblica et Knack ont révélé que l'une des quatre personnes interpellées dans le cadre de l'opération anti-corruption au Parlement européen serait passée aux aveux. De qui s'agit-il ? A priori, il s'agirait de l'assistant parlementaire Francesco Giorgi, qui n'est autre que le compagnon d'Eva Kaili, l'ex vice-présidente du Parlement européen. Qu'a-t-il dit ? D'après lui, l'ancien député européen Pier Antonio Panzeri serait la tête pensante du réseau de corruption. Mais ce n'est pas tout, Francesco Giorgi dénonce aussi les agissements de deux autres députés européens membres du groupe S & D qui auraient, selon lui, pris part au réseau de corruption et touché de coquettes sommes d'argent. Dans son viseur : l'Italien Andrea Cozzolino, pour qui Francesco Giorgi travaillait au Parlement, et le Belge Marc Tarabella.
Ces parlementaires auraient œuvré au profit des intérêts du Qatar, qui souhaitait redorer son image sur le plan des droits civiques en travaillant avec le ministre qatarien du Travail, selon la correspondante de RFI à Rome, Anna Tréca. Mais le Maroc aurait aussi profité du réseau d'influence en échange d'argent d'après des documents consultés par Le Soir, Knack et Repubblica. Lesquels rapportent qu'Antonio Panzeri, l'eurodéputé S & D Andrea Cozzolino et Francesco Giorgi auraient été en contact avec les services de renseignement marocains et l'ambassadeur du Maroc en Pologne, Abderrahim Atmoun.
Les aveux de Francesco Giorgi permettent de faire avancer l'enquête, mais en échange de sa collaboration totale avec les enquêteurs, le suspect demande la libération de sa compagne Eva Kaili, eurodéputée grecque inculpée pour corruption. La mise en cause clame son innocence et ne serait pas mêler au réseau de corruption, selon son conjoint. Pourtant, de nombreuses et épaisses liasses d'argent liquide ont été découvertes chez la vice-présidente du Parlement européen déchue de son poste depuis le 13 décembre. Le père de l'élue a aussi été aussi interpellé en possession d'une valise renfermant des centaines de milliers d'euros. L'avocat d'Eva Kaili maintient comme argument de défense que sa cliente n'était pas au courant de la présence de cet argent chez elle et que "seul son compagnon" est en mesure de fournir "des réponses sur l'existence de cet argent", écrit Le Monde.
Quels sont les soupçons de corruption qui pèsent sur le Parlement européen ?
- Le Qatar impliqué dans le réseau de corruption
Depuis l'été 2022, dans la plus grande discrétion, l'Office central pour la répression de la corruption -une institution belge- enquête, "soupçonn[ant] un pays du Golfe de tenter d'influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen, en versant des sommes d'argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique significatives au sein du Parlement européen", comme l'a indiqué le parquet fédéral du pays aux deux médias, sans jamais évoquer le Qatar. Mais les médias belges avancent qu'il s'agit bien de ce richissime Etat. Anna Tréca, correspondante à Rome pour RFI avance que pour promouvoir une image lisse du Qatar et présentant le petit pays du Golfe comme un exemple en matière de droits humains, Antonio Panzeri, l'ancien député suspecté d'être à la tête du réseau, et Francesco Giorgi auraient été en contact avec le ministre qatari du Travail.
- Le Maroc également visé par les soupçons de corruption
Au Parlement européen le réseau de corruption qui serait organisé autour de l'ancien eurodéputé italien aurait aussi œuvré dans les intérêts du Maroc. Les liens entre plusieurs politiques européens inculpés et des autorités marocaines seraient prouvés dans des documents consultés par Le Soir et Knack, selon le site belge L'Echo. Antonio Panzeri et Francesco Girogi, encore, auraient entretenu des échanges avec le service de renseignement du Maroc, la Direction générale des études et de la documentation (DGED) et l'ambassadeur du Maroc en Pologne, Abderrahim Atmoun, décrit comme un proche de l'eurodéputé italien. Le ministre belge de la Justice, Vincent Van Quickenborne, a confirmé l'implication de pays nord-africain dans cette affaire. Le Maroc aurait même été au cœur de l'affaire et de l'enquête qui aujourd'hui met en cause le Qatar. Le ministre qui n'a jamais nommé le pays a laissé entendre que le Maroc aurait essayé d'influer sur les négociations des droits de pêche entre Rabat et l'Union européenne et sur la gestion du culte musulman d'après Le Monde. RFI ajoute le contrôle du flux migratoire à la liste des intérêts marocains défendus par quelques politiques.
Pourquoi le groupe S & D du Parlement européen est dans la tourmente ?
Depuis lundi, le groupe socialistes et démocrates enchaîne les réunions. Selon les dernières informations révélées par Le Soir notamment, Francesco Giorgi aurait mis en cause l'ancien eurodéputé membre du groupe S & D, Pier Antonio Panzeri, déjà inculpé et écroué pour "corruption, blanchiment et organisation criminelle" après que 600 000 euros ont été retrouvés à son domicile bruxellois. Francesco Giorgi aurait également accusé deux autres députés, tous deux membres du groupe : l'Italien Andrea Cozzolino et le Belge Marc Tarabella.
De quoi susciter de nombreux remous au sein du S & D, les délégations allemande, danoise, flamande, française, néerlandaise, roumaine et suédoise demandant depuis des comptes à une cheffe de groupe totalement submergée par les événements. L'Espagnole Iratxe Garcia Perez "est complètement dépassée par la situation. Elle n'a rien maîtrisé", accuse-t-on chez les Français, comme le rapporte Le Point. Toutefois, si les dysfonctionnements internes semblent l'accabler, sa démission ne serait pas à l'ordre du jour.
Désormais, l'ensemble des délégations souhaiterait des réformes sur le fonctionnement interne du groupe S & D, à l'exception des Italiens et de certains Espagnols. "Les Espagnols donnent le sentiment de ne pas vouloir bouger parce que ce serait reconnaître qu'ils ont été manipulés", affirme-t-on côté français. Une enquête administrative est en cours en interne pour faire toute la lumière sur cette affaire.
Qui est concerné ?
Vendredi 9 décembre, 16 perquisitions ont été réalisées à Bruxelles et dans les alentours de la capitale belge. Six personnes avaient été interpellées, ainsi que d'autres au cours du week-end. Il s'agit d'Eva Kaili, actuelle eurodéputée socialiste grecque et vice-présidente du Parlement européen ; son compagnon Francesco Giorgi, assistant parlementaire ; Niccolo Figa-Talamanca, dirigeant de l'ONG No Peace Without Justice ; Pier-Antonio Panzeri, ex-eurodéputé italien ; la femme et la fille de ce dernier ; Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération syndicale internationale. A la suite de ces interpellations, les quatre premiers nommés ont été placés en détention provisoire, rapporte Le Monde.
Les aveux de l'assistant parlementaire détaillés dans plusieurs titres de presse belges font ressortir deux autres noms : celui de l'eurodéputé italien Andrea Cozzolino et du Belge Marc Tarabella. Le premier est présenté comme un élément clef au sein du groupe Socialistes et Démocrates (S&D) du Parlement européen chargé des résolutions d'urgence par lesquelles le groupe politique pouvait défendre certains intérêts. Le second nie avoir reçu de l'argent du Qatar ou du Maroc et a suspendu sa participation au groupe S&D. À noter que l'enquête se poursuit et que d'autres personnes pourraient encore voir leur nom ressurgir dans cette affaire qui secoue Bruxelles.
Quels pots-de-vin auraient été versés ?
Selon les premiers éléments révélés, les enquêteurs ont déjà mis la main sur 600 000 euros en liquide, découverts au domicile de Pier-Antonio Panzeri avance Le Soir. Par ailleurs, il est toutefois à noter que, lors de son arrestation, Eva Kaïli était en possession de "sacs de billets", même si le contenu n'a pas exactement été précisé. Le Monde rapporte, qu'au total, entre les deux prévenus, "des centaines de milliers d'euros auraient été saisis par les enquêteurs". S'agit-il de liasses en provenance d'intermédiaires liés au Qatar ? L'enquête devra le déterminer, probablement éclairée par la saisie du matériel informatique et de téléphones portables au cours des perquisitions de vendredi.
Dans le volet marocain de l'affaire, il est fait mentions de nombreux cadeaux fournis par Abderrahim Atmoun, " ami " d'Antonio Panzeri et actuellement ambassadeur marocain en Pologne, et transportés par la femme et la fille du politique italien, selon Le Monde. La justice disposerait également de relevés de communications du couple Panzeri dans lesquels il est question d'une carte de crédit appartenant au " géant ", un surnom pour l'ambassadeur.
Quelles décisions auraient été influencées ?
C'est tout l'enjeu de l'enquête. Jusqu'à quel point les pots-de-vin ont-ils influencé des décisions du Parlement européen ? Pour l'heure, il est seulement reproché à Eva Kaïli d'avoir été particulièrement élogieuse à l'égard du Qatar dans une prise de parole le 22 novembre 2022, vantant le pays comme "un chef de file en matière du droit du travail", ajoutant que "la Coupe du monde de football est une preuve concrète de la façon dont la diplomatie sportive peut aboutir à une transformation historique d'un pays dont les réformes ont inspiré le monde arabe." Des propos pas franchement critiques à l'adresse d'un Etat où le droit du travail est régulièrement pointé du doigt, d'autant plus dans la préparation d'une Coupe du monde où des accidents mortels sur les chantiers tentent d'être étouffés.
Par ailleurs, le 24 novembre 2022, toujours au Parlement européen, les députés de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates (centre-gauche), dont fait partie Eva Kaïli, s'étaient alliés avec la droite et l'extrême-droite pour s'opposer à l'adoption d'une résolution condamnant la violation des droits humains au Qatar. Ces deux faits s'étaient produits quelques jours après qu'Eva Kaïli s'est rendue au Qatar, début novembre.
Pier-Antonio Panzeri est, pour sa part, accusé d'"intervenir politiquement auprès des membres travaillant au Parlement européen au profit du Qatar et du Maroc", selon des informations recueillies par Politico.
"Enquête interne" au Parlement et nouvelles perquisitions
Lundi 12 décembre, Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, a annoncé l'ouverture d'une "enquête interne pour examiner tous les faits liés" à l'institution. "Le Parlement européen est attaqué, la démocratie européenne est attaquée", a dénoncé Roberta Metsola, assurant : "Il n'y aura pas d'impunité." Et de renchérir : "Aux acteurs néfastes qui existent dans des États tiers [...], vous trouverez ce Parlement sur votre chemin. Nous sommes Européens, nous préférons êtres froids qu'achetés."
Un peu plus tard, toujours dans la soirée du 12 décembre , le parquet fédéral belge a de son côté indiqué que de nouvelles perquisitions avaient été menées au Parlement européen. Selon une source judiciaire, dont Le Figaro se fait l'écho, il s'agirait de la 20e perquisition en à peine quatre jours dans cette affaire. Objectif évoqué, rapporte franceinfo : éviter "que des données nécessaires à l'enquête disparaissent".