Macron fait une erreur en prêtant la tapisserie de Bayeux à l'Angleterre, des experts sont catégoriques

Macron fait une erreur en prêtant la tapisserie de Bayeux à l'Angleterre, des experts sont catégoriques Emmanuel Macron a annoncé le prêt de la tapisserie de Bayeux à l'Angleterre et le transport de l'œuvre dans un musée britannique. Une décision lourde de conséquences.

Un "échange sans précédent [qui] marque la volonté de revivifier la relation culturelle et la confiance" entre la France et l'Angleterre. Emmanuel Macron a décidé de prêter la tapisserie de Bayeux, un monument historique inscrit au registre Mémoire du Monde de l'UNESCO, à la Grande-Bretagne et il l'a annoncé le mardi 8 juillet lors de sa visite d'Etat dans le pays d'outre-Manche.

La tapisserie, longue de 70 mètres et racontant la conquête de l'Angleterre par le duc de Normandie surnommé Guillaume le Conquérant, doit être confiée et exposée au British Museum de Londres de septembre 2026 à juin 2027, selon les conditions de l'échange. Une période qui coïncide avec une partie des travaux prévus à musée de Bayeux à compter du 1er septembre 2025. "Nos amis britanniques nous rendent la pareille en nous offrant la possibilité d'exposer de notre côté des pièces absolument magnifiques, tirées du trésor de Sutton Hoo, des pièces de l'échiquier de Lewis ou le Bouclier de Battersea", a ajouté le chef de l'Etat. Il est question d'une centaine de pièces médiévales devant temporairement atterrir dans les musées de Caen et de Rouen.

Si l'échange de trésors nationaux emballe Emmanuel Macron, il hérisse les poils des spécialistes. "Le prêt de l'œuvre est jugé par l'ensemble des partenaires non-envisageable au regard des connaissances sur son état de conservation actuel" prévenait Antoine Verney, le conservateur en chef des musées de Bayeux, auprès de La Tribune de l'Art dès 2018. A l'époque, le président de la République avait déjà émis l'hypothèse de prêter la tapisserie de Bayeux aux Britanniques.

Des dégradations irrémédiables dans le transport ?

Déplacer et faire voyager la tapisserie de Bayeux datant du XIème siècle fait courir au monument historique d'importants risques de détérioration selon les experts, notamment deux des trois restauratrices à avoir travaillé sur l'œuvre en 1981. "A chaque fois qu'on la manipule, on perd un peu de matière donc un peu de résistance, que ce soit le lin de la toile de base ou la laine de la broderie", expliquait Béatrice Girault à La Tribune de l'Art en 2018. Une fragilité qui rend le transport de la tapisserie trop risqué selon la spécialiste : "Le problème ce n'est pas l'âge, c'est la taille. on ne peut pas la transporter comme un tableau dans une caisse. On ne peut pas la rouler, car c'est trop fin et cela engendre des plis et des tensions […] La broderie elle-même n'a pas besoin d'être consolidée, mais le moindre frottement, le monde pli fait partir des petites fibres". La solution retenue est pourtant bien un transport dans une caisse a indiqué Emmanuel Macron à Ouest-France : la tapisserie sera repliée et placée dans un coffre, lui-même protégé par deux autres caisses, et transporté en camion puis en train.

D'éventuelles dégradations pourraient être atténuées par des opérations de restauration menées avant et après le transit de l'œuvre entre la Normandie et la Grande-Bretagne ? Certainement pas selon Béatrice Girault. "On ne peut pas la restaurer de façon à rendre son transport sans risques. Ce n'est pas comme une sculpture qu'on pourrait consolider. C'est toute la matière qui est fragile en elle même et qui demande le moins de manipulation possible", assurait celle qui a travaillé sur la tapisserie pendant trois ans. La restauratrice s'inquiétait par ailleurs qu'un déplacement de l'œuvre en Angleterre ouvre la voie à des prêts amenant la tapisserie bien plus loin et plus régulièrement : "C'est la porte ouverte à toutes les demandes et politiquement cela peut être difficile de refuser pour les uns, ce qu'on a accepté pour les autres. Tout cela est dangereux pour l'œuvre."

Les restauratrices ne sont pas les seules à avoir des réserves sur le prêt et surtout le déplacement de l'œuvre. La Direction régionale des Affaires culturelles indiquait l'hiver dernier que "la Tapisserie est trop fragile pour être déplacée […] et toute manipulation supplémentaire est un risque pour sa conservation" se souvient Ouest-France.

"On m'a dit que c'était une folie"

Il y a quelques années le conservateur en chef du musée de Bayeux Antoine Verney s'opposait lui-même au déplacement de la tapisserie de Bayeux et assurait qu'il ne pourrait avoir lieu sans la décision du "programme d'étude préalable à une éventuelle intervention de conservation/restauration devant aboutir à la stabilisation de l'œuvre à l'horizon 2022/2023". Un projet qui depuis a peut-être permis au désir d'Emmanuel Macron d'être exaucé. "On m'a dit que c'était une folie, et qu'on ne pouvait pas le faire. Comme toujours quand on ne veut pas faire les choses, il y a beaucoup de gens pour inventer tout un tas de contraintes. Je suis content qu'on puisse démontrer le contraire", a déclaré le chef de l'Etat rappelant avoir lancé l'idée de cet échange dès 2018. Reste que la tapisserie vielle de presque un millénaire est toujours aussi fragile.