Une immersion dans le film de Jean Becker, "Deux Jours à tuer"
Il en est des œuvres comme des personnes, certaines laissent des empreintes, d’autres pas. C’est en ces termes que pourrait être évoqué le film de Jean BECKER, Deux jours à tuer, dans lequel Albert DUPONTEL campe un rôle à contre-emploi et dont la performance magistrale nous ferait presque oublier le passé comique de cet agitateur à l’humour grinçant.
Deux jours à tuer offre à Dupontel tout le loisir de se forger des répliques cinglantes, poussées jusqu’au dernier degré du supportable. A telle enseigne que le spectateur est rapidement interpellé dans son devoir de compréhension : quel motif trouver à cette virulence, à cette insolence vindicative ? Quel pardon accorder à cet homme qui crucifie méthodiquement un entourage bientôt consterné ? Corrosif, Dupontel joue avec une rare justesse, endossant l’habit d’un homme rêche et exécrable, qui s’empresse de déconstruire dans un élan anormalement soudain, une vie bâtie sur une réussite sociale manifeste et un équilibre apparent. Quel est donc ce secret dont le scénario écarte un temps le spectateur, puis qu’il descelle en sa présence à force d’indices éloquents ? Tour à tour mordant et désenchanté, l’acteur se plonge dans un cynisme ravageur dont on comprend qu’il masque un dessein plus grand : quitter ce monde en délivrant les siens du poids de l’absence.
Mais peut-on mourir sans éveiller les soupçons, provoquer délibérément son propre tort, bref s’employer à se désavouer pour mieux atténuer le déchirement inhérent au vide de toute disparation ? Autrement dit, se rendre détestable aux yeux de tous peut-il dissuader les autres de nous regretter un jour ? Deux jours à tuer soulève cette assourdissante question sans nous entraîner pour autant dans un climat mortifère. Si le chemin de la guérison ne peut être emprunté, celui du courage peut lui être substitué : c’est sans doute le message fort que tente de nous délivrer le réalisateur. Non sans mal, Dupontel, talentueux publicitaire qui décide de mettre prématurément un terme à sa carrière florissante, œuvre pour se rendre ignoble tant par ses déclarations abjectes que son attitude odieuse, imbuvable jusqu’à atteindre l’irrémédiable frontière du mépris : celui qu’il témoigne, mais aussi celui qu’il inspire, suffisant pour engendrer un renoncement total à lui consacrer un amour dont il devient résolument indigne.
Qui pourrait regretter un homme acariâtre et prétendument infidèle ? Ne nous y trompons pas, cette tentative désespérée de s’attirer la disgrâce ne dissimule pas longtemps la vraie personnalité d’un homme condamné par la maladie, dont l’impudence se mêle à la douleur et la causticité rejoint le désespoir le plus exacerbé. Par la profondeur de son jeu, Dupontel nous dévoile comment éviter plus aux autres qu’à soi, sous couvert d’une attitude largement contestable, les affres d’un inéluctable repentir comme les tourments d’une fin précipitée. Un film poignant qui nous engage sur la voie de la réflexion, en nous forçant à examiner les tentatives vaines de vouloir orchestrer un départ moins pénible. Car la perte d’un être cher peut-elle être conjurée par un exercice aussi périlleux que se soumettre à une silencieuse dévastation dont ni la victime ni l’initiateur ne sortent indemnes ? Chercher à évoquer le pire est-il un moyen acceptable de se remémorer le meilleur ? La question affleure dans Deux jours à tuer qui choisit cette posture étrange selon laquelle il est peut-être congruent de braver la tristesse des autres en la contrebalançant par un souvenir chargé de turpitudes ; et c’est à dire vrai cette interrogation pesante qui subsiste dans l’esprit du spectateur abasourdi, qui capte dans les moindres implications de ce sacrifice la volonté héroïque de combattre, sans y parvenir, l’imminence d’une mort invasive.