Partir pour un très long voyage avec "Journey"

Conceptuel, métaphysique, envoûtant … Les mots manquent pour définir "Journey", le dernier jeu de That Game Company, après les tout aussi inclassables "flOw" et "Flower". Une nouvelle réussite qui prouve que le jeu vidéo est capable de s'élever au rang d'art.

Se doute-t-on en commençant Journey que l'on entame une épopée sans pareil ? Le début du jeu vous abandonne dans un désert brûlé par le soleil, où repose, encapuchonnée de rouge, une silhouette anonyme. C'est elle que vous contrôlerez tout au long de l'aventure, et que pour l'instant, vous menez au sommet de cette dune, pour apercevoir dans le lointain cette mystérieuse montagne qui est votre objectif ultime. Le joystick droit ou la reconnaissance de mouvement de la manette pour contrôler l'angle de la caméra, le joystick gauche pour déplacer votre personnage, un bouton pour sauter et un autre pour émettre un son, seule expression de l'individu que l'on contrôle. Une invitation à la découverte sur un écran libéré de toute interphase et qui nous laisse explorer cette immense étendue faite de sable à perte de vue, bardée de stèles minimalistes, parsemées de ruines d'allure orientale. Des environnements d'une beauté oppressante aux graphismes épurés et aux couleurs restreintes allant du jaune à l'ocre et du marron au gris, aucune vie ne se dégage. Vous êtes seul à imprimer vos pas dans le sable, planant de temps à autre avec cette écharpe qui s'allonge au fur à mesure que l'on découvre d'étranges glyphes lumineuses, et activant au passage des mécanismes textiles avec vos vocalises. Enfin presque seul, un autre joueur tout à fait anonyme pouvant se joindre de temps à autre à votre partie, lui aussi ne s'exprimant que par ces sons affichant le temps d'un instant d'étranges signes qui lui sont propres.
Jamais le jeu ne bascule dans la monotonie douce tant il s'
évertue à vous faire traverser des espaces étonnants et oniriques. Du pont brisé d'apparence infranchissable aux souterrains d'une cité engloutie par le désert en passant par la folle glissade sur des rivières de sable luisant et une tour aux allures de temple, le tout souvent accompagné d'étranges créatures volantes en tissus, la création de That Game Company ne rebute jamais par une difficulté rédhibitoire. Au contraire elle pousse à l'avancée progressive au fil de passage à la beauté effusive. La musique d'Austin Wintory assure un office grandiose et languissant dans ce monde fini qui se passe tant de mots que l'on peine à trouver les nôtres pour évoquer l'émotion qu'il suscite.
Quelle est la finalit
é de Journey ? L'aventure peut paraître relativement courte, puisque pour achever une partie une heure et demi n'est pas toujours nécessaire, même en flânant allègrement. Mais à l'issue du jeu, on est appelé à le recommencer, encore et encore. Ce nouveau voyage mène encore cette créature, ou peut-être en est-ce une autre, au seuil de cette montagne, drapée dans le froid, avant d'atteindre enfin son sommet dans une lumière aveuglante. Le jeu offre avec son fond désespéré une représentation simpliste mais qui parait étrangement pertinente d'une civilisation à la dérive, avec en toile de fond cet univers en pleine érosion. Cependant cette réalisation, principalement par son final extrêmement émouvant, va au-delà. Journey met magistralement en image une problématique qu'écrivains et philosophes ont parfois soulevée sans trop s'y risquer : la vie est un voyage. Et Journey est une magnifique image sur l'acceptation de la mort.