La mode hipster : autopsie d'un phénomène

La mode hipster : autopsie d'un phénomène Adieu les bobos, place aux hipsters ! Anti-conformisme et non-mainstream sont de rigueur chez les 18-25 ans pour adopter un mode de vie branché, régi par Nietzsche, Bowie et le végétarisme. Voici donc une tentative de décryptage de l'hipstermania.

Hipster... Ce terme ne vous dit rien ? Et pourtant, il est plus que jamais en vogue. 

Traditionnellement attribué aux années 1940, le terme "hipster" servait autrefois à désigner les amateurs blancs de jazz. Fascinés par la "cool-attitude" des jazzmen noirs, les hipsters s'appropriaient leur mode de vie : vêtements, drogues, musique, argot, liberté sexuelle... Aujourd'hui, la plupart des hipsters n'ont peut-être pas idée de l'origine significative de ce mot qui désigne à leurs yeux une attitude décontractée, quasi "je-m'en-foutiste", prônant avant tout le vintage. Car être un hipster, c'est être au sommet des tendances branchées.

Toutefois, n'est pas hispter qui veut. Comme tout mouvement identitaire qui se revendique, l'hipsterie répond à des critères de sélection drastiques auxquels on doit se soumettre pour devenir membre du club.

Carte d'identité s'il vous plaît

Vous avez plus de 25 ans ? Trop tard, rejoignez le rang des bobos. 

Vous êtes âgés de moins de 18 ans ? Un peu de patience et contentez-vous d'être un bébé rockeur jusqu'à votre majorité. Vous l'aurez saisi, seuls les quelques privilégiés de la tranche 18-25 ans compris peuvent prétendre au titre sacré de hipster. Plus jeune, vous êtes encore un bambin. Plus vieux, vous êtes déjà "has been" et bon pour collectionner des bibelots ethniques en tous genres. L'âge est d'autant plus important que la jeunesse hipster se mobilise pour des causes auxquelles un trentenaire ne peut se rallier par définition. Trop accaparé par sa vie professionnelle ou de famille, il lui serait impossible de rejoindre à n'importe quelle heure ses amis à une terrasse de café pour refaire le monde. De même, il est trop intégré à la société pour se revendiquer marginal et rebelle intellectuel.

Du (non) style avant tout

L'aspect physique : Pour être un hipster, il faut avoir le corps parfait. Mais nul besoin de faire de l'exercice pour l'entretenir ! Arrêter de manger devrait faire l'affaire pour obtenir le résultat escompté : une taille 32/34, aussi bien pour les hommes que pour les femmes.

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Moustache, lunettes rétro et T-Shirt de geek sont les "must-have" du hipster © Chloé Claessens / Linternaute

Passée de mode depuis quelques décennies déjà, on adopte de nouveau la  moustache, symbole de virilité plus élégant que la barbe de trois jours. Idem pour la coupe de cheveux qui doit laisser une impression de rétro-décalé. Sans oublier le tatouage indispensable qui fait référence au soutien d'une cause perdu ou à un intellectuel que personne ne connaît.

Les fripes : Une fois les formalités passées – et si vous n'êtes toujours pas hospitalisé pour inanition – il est temps de parfaire votre garde-robe. On jette les vestes classiques, les cravates unies, les jeans ajustés, les chemises d'homme d'affaires et les polos du dimanche. On ne garde même pas ses lunettes Afflelou. Encore moins ses chaussettes.

Car être hipster, c'est aussi un concept : "purisme" est le mot d'ordre et l'on ne doit jamais, au grand jamais, entrer dans un magasin prisé. Jules, Celio, Bruce Field, Massimo Dutti... c'est fini ! On s'autorise néanmoins à flâner chez American Apparel, The Kooples et Kitsuné parce que c'est encore assez confidentiel et à condition de dénicher du vintage.

La tenue idéale pourrait se résumer en l'association de nippes qui jurent parfaitement entre elles . Mais le hipster s'en contre-fiche. Au contraire, plus il aura l'air d'un aliéné myope qui se serait habillé dans le noir, mieux il se portera. Le hipster est fier d'être unique, et il l'affiche ostensiblement. Mélangez le tout et vous obtiendrez... un olibrius en pantalon "skinny", pieds nus dans ses converses "nouvelle génération", arborant un T-shirt représentant un personnage de jeu vidéo ou de dessin animé.

Les accessoires : Pour être en harmonie totale avec votre nouveau look, misez sur la chapka en moumoute (même en été), les lunettes à montures épaisses qui donnent un air faussement "geek" (pensez aux verres plastifiés si vous n'avez aucun problème de vue), l'iPod dernier cri, ou encore le keffieh. Et l'on n'oublie surtout pas que le hipster est fumeur. Pas d'herbe, non, seulement du tabac. Le mieux serait de se servir d'une pipe en bois. Sinon, une simple sèche roulée suffira. Attention : pas de vraies cigarettes qui annihilent totalement l'effet sorbonnard.

Un mode de vie très codifié

Toutefois, il ne suffit pas d'être physiquement hipster, il faut vivre hipster. Féru d'art contemporain, le hipster ne manque aucune exposition de Pollock ou Malevitch, et prétend pouvoir cerner la volonté picturale du peintre à travers le nombre de coups de pinceau portés à la toile. Son fief se trouve à Beaubourg, mais il possède également quelques résidences secondaires comme le Musée d'Art Moderne de Paris, et les galeries ésotériques du Marais.

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Intello, le hipster n'hésite pas à faire de Tocqueville son auteur de chevet © Chloé Claessens / Linternaute

Le hipster est également friand de culture rétro et n'hésite pas à délaisser sa chaîne hi-fi raccordée à son home cinema pour une vieille platine vinyle sur laquelle il fait tourner du Brel, du Queen et du Klaus Nomi sans oublier tous ces petits groupes actuels très puristes que personnes ne connaît. On pense à Archive, Sigur Rós, ou Grizzly Bear – excepté leur dernier album qui a commencé à conquérir un public beaucoup trop large. Excessivement pointilleux sur la qualité de ses goûts, le hipster sera même en mesure de vous prouver qu'il est déjà un fan invétéré de groupes qui n'existent pas encore. Paradoxalement, il oublie son équipement vintage au profit de son iPod Touch lorsqu'il s'agit de mixer en soirée.

Au cinéma, le hipster privilégie ce qu'il appelle "les films d'auteurs" ou "d'art et d'essai". Ses réalisateurs préférés sont Sofia Coppola, Roman Polanski, Takeshi Kitano et Jean-Luc Godard. Son mémoire de fin d'étude porte d'ailleurs sur l'obsession et la symbolique de la laideur physique chez Lynch.

Les livres font également partie de sa nourriture intellectuelle. Nietzsche, Bergson, Orwell, Stendhal alimentent sa soif de connaissances et il passe volontiers des heures à écouter des conférences aux Mardis de la Philosophie ainsi qu'à débattre aux cafés littéraires du quartier Saint-Michel. Car bien que le hipster connaisse Paris comme sa poche, il squatte presque exclusivement le Boulevard St-Mich', QG des dian-dians sorbonnards qui affichent sans complexe leur statut de prestigieux universitaires.

Ecolo, le hipster se déplace en bicyclette, son polaroid autour du cou. Les plus rigoureux osent même pédaler sur des vélos à pignon fixe, sans rétro-pédalage, et maîtrisent à la perfection le freinage artisanal et peu commode des anciens coureurs cyclistes. Le vrai hipster ne tombe jamais.

Enfin, le hipster possède son propre idiome. Une sorte de code qui permet à deux loustics hipsteriques de se reconnaître sans méprise. Pour décrypter un tel langage, sachez que leurs discours sont régulièrement ponctués de franglais barbare et de noms japonnais. Il n'est pas rare d'entendre citer Miyazaki ou Murakami en plein milieu d'une conversation sur le problème que soulève l'accès de la masse à une culture ultra-confidentielle.

Le martyre de Saint Hipster 

Vous l'aurez compris, être hipster c'est tout sauf facile. On dépense des fortunes en frusques désuètes et fausses lunettes de vue, on se ruine la santé en chiquant parce que ça donne un genre, on se casse la tête à dénicher de l'underground alors que deux semaines plus tard, le commun des mortels se l'approprie sans scrupule, on passe sa jeunesse à réfléchir sans jamais s'arrêter de disserter sur tel ou tel point philosophique, on souscrit un abonnement à l'Hôtel Dieu parce que la maîtrise du pignon fixe, c'est vraiment pas évident...

En bref, le hipster est un persécuté, une victime incomprise, perdue dans la masse des ignorants qui finira irrémédiablement au chômage parce que le travail, c'est l'aliénation de l'esprit. Hélas !

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