Patrick Hourcade : " Il faut parler de BD partout et à tout le monde"

Patrick Hourcade : " Il faut parler de BD partout et à tout le monde" Si la majorité des lecteurs et consommateurs retiennent la sélection de 15 albums de BD, comics et manga à 2€, l'association, elle, se démène pour mettre en valeur les auteurs et leur travail sur tout le territoire. Patrick Hourcade, coordinateur de l'événement, revient pour l'Internaute sur les clés du succès des dernières éditions et l'avenir enthousiasmant que ces bougies mettent en valeur.

De la BD partout, tout le temps. Pour son dixième anniversaire, les 48H BD s'étendent sur le territoire les 1er et 2 avril. L'association des 48H BD est née il y a dix ans d'une volonté de nombreux éditeurs de créer un événement commun autour du 9 Art qui aurait lieu sur l'ensemble du territoire. Onze éditeurs fondent, en 2011, une association, baptisée " 48H BD" avec pour but de travailler de concert autour d'un projet qui permettrait de valoriser la bande dessinée - sous toutes ses formes - en dehors des nombreux festivals. Ce faisant, les éditeurs répondent à deux problématiques : superviser le contenu mais surtout ne pas se concentrer en seul lieu, aussi accessible et connu soit-il, mais couvrir tout l'hexagone et le plat pays pour être au plus proche des lecteurs de bande dessinées, comics et manga.

Certains éditeurs, comme les éditions Jungle, sont présents à toutes les éditions depuis la fondation de l'association. D'autres vont et viennent selon les années - et, tous les ans, de nouvelles maisons d'éditions franchissent. En 2022, les éditions Akata font leur entrée pour la première fois au sein de l'association. Patrick Hourcade, coordinateur des 48H BD, revient pour l'Internaute sur la finalité de l'association et sur cet anniversaire très symbolique.

© 48H BD

Pourquoi créer les 48H BD ?

On ne parle pas assez de la BD tout au long de l'année, surtout dans les médias. Le sujet émerge certes au moment du Festival d'Angoulême. Mais en dehors de cette mise en avant éphémère, le 9e Art est moins médiatisé. C'est forts de ce constat que les éditeurs ont souhaité créer un événement à un moment différent de l'année. Un événement qui brasserait un panel plus large de titres, et surtout couvrirait un territoire plus large, de France et de Belgique, qui sont les deux états les plus bédéphiles d'Europe. L'idée est vraiment de parler de BD partout et à tout le monde, car il ne faut pas oublier que le 9e art est un art populaire, familial et accessible à toutes et à tous.

L'une des forces de l'association est ce maillage d'opérations et d'animations sur tout le territoire. Et pour l'accessibilité, bien entendu: éditer des versions à petit prix, soit 2€, qui peuvent être achetées par toutes les familles, permet de garantir une porte d'entrée abordable vers la lecture.

Aujourd'hui, plus de 1 700 librairies participent à l'événement et de nombreuses médiathèques, éclatées sur tout le territoire - du Lot et Garonne à la Flandres en passant par la Bretagne - permettent d'assurer un grand nombre d'animations. Pour les dix ans, nous avons 500 animations planifiées!

Que plus d'auteurs puissent rencontrer leurs publics via des animations rémunérées a été mon premier cheval de bataille.

Est-ce que la version en ligne va rester ?  

Nous avons créé les 48H BD en Live ! pour répondre à la problématique du coronavirus. Les gens ne peuvent alors pas autant participer à des rencontres qu'habituellement. Il y a eu un engouement pour ce format, et pas seulement pour des raisons de substitution. Sans compter que d'un point de vue pratique, un auteur qui habite au Québec peut plus facilement rencontrer son public via le numérique. Pour toutes ces raisons, nous maintenons les 48H BD en Live ! de manière pérenne. Nous avons au programme des débats, des tutoriels et surtout pour le final festif et déjanté la battle de dessin France vs Belgique. Un moment que j'adore et que j'attends avec impatience!

Comment estimer la fréquentation aux 48H BD ?

On a pas de remontée exacte et précise. C'est impossible, de par la disparité des intervenants. On sait uniquement combien on a créé d'événements. Si on prend une fourchette basse de 20 personnes en moyenne par événement, on arrive à 20 à 30 000 participants. Si on ajoute la fréquentation numérique, on avoisine les 300 000 visiteurs.

© 48H BD

Les auteurs sont au cœur du projet des 48H BD et cette année un accord a été trouvé pour rémunérer les dédicaces. Qu'en est-il pour les 48H BD ? 

Sans auteur, il n'y a pas de bande dessinée. Nous avons signé un accord avec les auteurs et nous les rémunérons depuis plusieurs années. Cela a été mon premier cheval de bataille lorsque j'ai rejoint l'association en 2017. Nous nous sommes basés sur la charte des auteurs pour mettre en place une procédure de rémunération qui nous semble la plus juste. Nous valorisons autant les BDs que leurs auteurs et autrices. Cette année, nous allons dépenser entre 50 000 et 60 000€ pour la rémunération des auteurs. Aucun festival n'investit autant pour ces derniers, alors qu'ils sont à l'origine de tout le processus créatif!

Nous avons 250 auteurs confirmés qui seront présents pendant les deux jours de l'évènement. Il est primordial de les rémunérer, au-delà d'un point de vue éthique, afin de s'assurer qu'ils gagnent suffisamment leur vie pour continuer à exercer ce métier.

C'est grâce à cette vision et ce respect que nous sommes passés des 40 auteurs à près de 300 intéressés.

Comment met-on en avant les auteurs ?  

Quand le public vient à une séance de dédicace, que voit-il de l'auteur ? Son crâne pendant qu'il est en train de dessiner. Nous essayons d'aller au-delà d'une simple séance de dédicace en proposant un système de rencontre. Ces dernières peuvent avoir lieu en librairies bien sûr, mais aussi en médiathèques ou même dans des écoles. Les lecteurs viennent pour une rencontre : exposition commentée, un débat, un atelier dessin, et ensuite vient la dédicace. Tous les intervenants jouent le jeu et ainsi ce moment d'échange permet une vraie rencontre entre le public et les auteurs.

© 48H BD

Comment financez-vous la rémunération des auteurs ?  

Chaque éditeur membre paye une cotisation annuelle et ils s'engagent à fabriquer un ou deux albums pour être édités à 2€.  Ils choisissent bien entendu des titres sur lesquels ils souhaitent avoir une plus grande visibilité et les proposent au comité. Nous sommes toujours dans une approche collégiale, et le comité se charge d'essayer d'équilibrer les propositions de titres, pour avoir autant de titres en manga, jeunesse, comics, bd adulte, etc.

C'est grâce à cette opération commerciale que l'association peut tourner. Une partie des revenus va à la fabrication, à la distribution, aux librairies, aux auteurs et à l'association. Sur ces titres il est probable que certains éditeurs travaillent à perte, ils considèrent ça comme une opération marketing. Ce n'est pas un processus éditorial pour gagner de l'argent, mais pour valoriser le 9e Art.

Cette opération est de l'achat ferme, les libraires s'engagent à ne faire aucun retour. Cette année il y a 250 000 exemplaires imprimés à 2€. Par ailleurs, l'association bénéficie également de subventions grâce à la Sofia, la Saif, la FWB.

Les 48H BD ne sont pas une revanche sur les grands prix des festivals.

Comment sont choisis les auteurs invités ? Là aussi essayez vous d'équilibrer le ratio auteur, autrice ?

Il n'y a pas assez d'autrices pour l'instant pour pouvoir mettre en place une politique de ratio, mais nous faisons au mieux. Pour la partie événementielle, le site est ouvert pour les demandes exclusivement pendant 2-3 mois.  Les structures qui souhaitent mettre en place une animation s'y inscrivent et remplissent un formulaire pour exprimer leur demande. " Je suis la médiathèque XXX et j'aimerais faire venir l'autrice ZZZ pour parler du sujet WWW" par exemple. Faire intervenir des auteurs proches de chez eux ne couvre pas qu'un simple intérêt budgétaire mais montre aussi qu'il y a des auteurs partout en France. Et cette proximité permet que les auteurs locaux soient aussi invités en dehors du cadre des 48H BD.  Aujourd'hui j'ai appelé les éditeurs pour une rencontre à l'Hay Les Roses, une à Rezé et une à Bar sur Aube. C'est grisant de visualiser des lecteurs de BD dans tout le pays!

© 48H BD

Y  a-t'il souvent des demandes irréalistes ?  

Il y a, malheureusement, assez souvent des demandes d'invitations d'auteurs décédés. Ou des auteurs intouchables… Si un petit village de 20 personnes demande à inviter un auteur célèbre, tiré à plus de 3 millions d'exemplaires, il est peu probable que nous puissions le faire venir.

Les mêmes structures vous sollicitent-elles d'une année à l'autre ?   

En effet - et c'est comme ça que nous progressons. Nous recrutons chaque année de nouveaux partenaires d'animations. Il n'y a pas d'attrition, même ceux qui sont venus avec une demande étonnante ou très ciblée reviennent l'année suivante. Il y a une forte envie de vivre à nouveau ces échanges. Chaque structure qui participe reçoit un kit. Les librairies obtiennent des guirlandes, des ballons, des totems, pour habiller leurs librairies. Les lieux d'animation ont un kit assez proche - avec, en plus, des crayons pour dessiner. Le guide qui présente les albums en sélection est quant à lui tiré à 100 000 exemplaires.

On a longtemps eu une étiquette et image d'opération purement commerciale, mais les lignes bougent

Quid des auteurs Japonais ?

Kurokawa, Pika, Nobi Nobi et Akata essayent d'organiser des rencontres avec des mangaka japonais. Mais les éditeurs japonais ont besoin d'être rassurés, cela prendra du temps de montrer patte blanche. Nous allons continuer d'insister et un jour viendra…

Quel est votre défi  pour la prochaine décennie ?

Une chose est sûre, nous ne passerons pas à 72h  (rires). Nous resterons le vendredi et le samedi. Le premier pour le scolaire et le samedi pour être le plus grand public possible.

Le but est de continuer à avoir une croissance en intervenants et en lecteurs. Que de plus en plus d'éditeurs nous rejoignent. Qu'ils soient convaincus que c'est une action juste et intéressante. On a longtemps eu une étiquette et image d'opération purement commerciale, mais les lignes bougent et chaque année des éditeurs se montrent de plus en plus intéressés.

Les enfants [] sont les lecteurs de demain

© 48H BD

Au-delà de valoriser les auteurs, l'autre axe de développement essentiel est le côté social. Chaque année, nous donnons 50 000 BDs à des écoles et de centres d'accueil (association assistante sociale Gepso) et nous menons dans les écoles une très grosse action pédagogique. Grâce aux 48H BD, on propose le 9e art comme un outil pédagogique pour travailler en classe. Nous créons des fiches pédagogiques avec le diffuseur Ludic, qui diffuse les BD à l'école. Chaque année, les éditeurs proposent des BD sur lesquelles des professeurs - partenaires, rémunérés par Ludic - travaillent et créent les fiches. Cette année nous avons mis au point 24 fiches pédagogiques pour collège et école élémentaires. Pour des classes d'histoire, de français, etc. Pendant tout le mois d'avril, nous avons aussi l'opération " La BD débarque en classe" avec dix titres mis en lecture gratuite (en streaming sur des sites comme Izneo et Calaméo) accompagnés de fiches pédagogiques. C'est très important pour nous d'impliquer les enfants, qui sont les lecteurs de demain. En soutenant les auteurs et les enfants nous faisons un pari sur l'avenir, et c'est ça in fine l'objectif des 48H BD : " miser sur l'avenir". À titre personnel je suis souvent très ému quand je vois les projets réalisés par des professeurs et leurs élèves, l'émotion est palpable. C'est un vrai signe de réussite.

Le slogan de l'édition 2022 est "Les 1er & 2 avril, la BD est en fête !", retrouvez toutes les infos sur le site : www.48hbd.com