Yuko Kakihara : "En travaillant sur Lamu, j'ai veillé à conserver l'essence de pervers d'Ataru"
En 2022, l'extra terrestre en bikini préféré des terriens revient sur nos écrans ! À l'occasion du centenaire de la maison d'édition Shogakukan (plus grande maison d'édition du Japon), de nombreuses célébrations ont été décidées. Parmi elles, un remake du dessin animé d'Urusei Yatsura, où Lamu en France. Il s'agit de l'un des nombreux chefs d'œuvres signées Rumiko Takahashi. Cette adaptation à été confié au studio d'animation David Production, connu en France pour son travail sur JoJo's Bizarre Adventure et Fire Force. D'emblée, le choix a été fait de ne pas reprendre l'intégralité du manga (trop long) et de faire une sélection au rythme de quatre saisons. Comment choisir quels arcs narratifs intégrer dans ce remake ? Comment changer ou adapter certains passages qui, à l'heure de #metoo, peuvent prêter le flanc à la critique ? C'est Yuko Kakihara, la scénariste de ce remake à qui est incombée la lourde tâche de prendre ces décisions. Et, au vu des premiers épisodes diffusés, elle s'en est sorti avec brio! Elle a accepté de répondre aux questions de l'internaute.
Linternaute.com : Comment avez-vous choisi les segments que vous avez gardés ?

L'œuvre est tellement importante qu'il est impossible de tout compiler en une seule saison.
Nous avons commencé par mettre en place notre axe principal, ceci pour nous aider à choisir les arcs narratifs principaux.
Or, les personnages sont la clé de voûte du Rumiverse. Il était donc important de montrer avant tout les personnages que tout le monde est impatient de retrouver. En sélectionnant les personnages clés, nous avions déjà assez de matériel pour remplir les quotas de la saison entière… Ce qui nous a poussés à choisir un nombre de saisons supplémentaire. La clé du choix a été l'introduction et le développement des personnages qui nous sont chers.
Le personnage d'Ataru est un obsédé. Comment avez-vous géré la chose avec les mœurs d'aujourd'hui ?
Comme Ataru est l'un des personnages les plus importants, nous lui avons laissé sa liberté. Cependant, en ce qui concerne des mots qui pourraient être interprété comme de la discrimination aujourd'hui, j'ai fait de mon mieux pour soi les éviter ou bien les remplacer par quelque chose d'acceptable. Mais comme je ne veux surtout pas changer ce qu'il est - il aime les femmes et leur courir après - j'ai particulièrement veillé à conserver son essence de pervers.
Comment avez-vous intégré les smartphones et les autres éléments modernes?
Le show se déroule totalement à la fin de l'ère Showa, dans les années 70-80. Nous avons conservé tous les objets et vocabulaires d'époque. Seul l'opening, modernisé, contient des smartphones et autres objets contemporains. Il a été pensé pour faire une liaison entre l'ère Showa et aujourd'hui.

Dans les mangas de Mme Takahashi, il y a énormément d'humour basé sur les jeux de mots. Comment avez-vous réussi à implémenter ça dans le scénario ?
Quand on adapte un manga, il n'y a pas que les dialogues: il y a aussi des images. Je discute alors avec le réalisateur pour voir ce que l'on va y mettre. On va regarder scène par scène pour choisir ce que l'on va inclure ou retirer. Il arrive que l'on rajoute ainsi à la main des commentaires, pour bien faire comprendre le résultat que l'on souhaite.
De même le manga est riche en dialogues et d'effets visuels. Comment avez-vous trouvé l'équilibre pour ce nouveau portage en animation ?
À la base, les dialogues ont un très bon tempo. La mise en scénario se fait de façon très naturelle. Il aura fallu juste le ralentir pour faire les liaisons du fait de ce portage. Pour ce qui est de la rapidité voulue à l'image, c'est en concertation avec le réalisateur que ces réglages ont été faits. Comme j'avais déjà travaillé sur Rinne, je connaissais déjà le tempo de l'animation. C'était une transposition assez naturelle pour moi.

Je me suis appliquée à ce que l'on ne ressente pas ma touche personnelle.
Vous nous avez dit qu'il y a de nombreux personnages dans Urusei Yatsura. Plus les personnages sont nombreux, plus il y a de seiyus, et plus le travail pour les studios devient lourd. Vous êtes vous posé des limites sur le nombre de personnages ?
Je n'ai eu en fait aucune restriction, au contraire même! En fait, j'aurai même voulu en mettre plus…
Vous nous avez dit que Mme Takahashi est une légende. Que ressent-on en ajoutant un peu de soi à l'œuvre d'une légende ?
Plus que de rajouter de moi dans ce titre, il était pour moi important de rendre intelligible l'ensemble, aussi bien pour les fans de Rumiko Takahashi que pour les gens qui découvriront son univers par le biais de cet anime.
Je pense que c'est l'essence même de mon travail: m'assurer qu'il n'y a aucun faux raccord. Si j'avais mis du " moi" dans ces scénarios, c'aurait été visible immédiatement et c'aurait été un faux raccord. Il n'y a pas la place pour des questions d'égo dans l'adaptation de l'œuvre d'un tiers. Je me suis vraiment appliquée à ce que l'on ne ressente pas ma touche personnelle.

Quel a été le personnage le plus facile à mettre en forme ?
Pendant l'écriture, j'ai eu beaucoup de plaisir à écrire le personnage de Ran. On peut lui donner des dialogues des plus mignons et en même temps des dialogues super agressifs. Avec elle, le tempo allait de lui-même quoi que l'on fasse. C'était très amusant.
Et le personnage le plus difficile?
Rei! Il ne parle pas vraiment japonais. Il emploie toujours des phrases courtes sans exprimer vraiment ce qu'il ressent, sauf pour dire son amour à Lamu ou pour demander à Ran de lui donner à manger. Il y a très peu de scènes où il bouge de lui-même. C'est un personnage très difficile à manipuler.
Vous êtes-vous plus inspirée du manga ou bien de l'adaptation en anime précédente ?
La mission que l'on m'avait confiée était de repartir du manga, alors la décision a été très simple.
Quel est votre meilleur souvenir de cette réalisation ?
Je n'ai que des bons souvenirs! Depuis Rinne, je suis plus que ravie d'écrire à partir des titres de Mme Takahashi. Quoi que je scénarise, je prends du plaisir.

Dans le script du premier épisode, il est écrit 24 mars 2020. Jusqu'à la sortie sur les écrans en octobre 2022, vous avez dû trouver le temps long, non ?
Ce fut long ! (rires)
Il s'est passé énormément de temps entre le moment où l'on m'a demandé de travailler sur cette série et sa sortie. Surtout que je ne pouvais en parler à personne! J'étais impatiente…
Quel soulagement que la série soit enfin sur vos écrans.
Dans le script pour la scène d'introduction il y avait noté New-york. Mais au bout du compte, ce fut Londres. Comment et pourquoi ce changement?
Au moment du storyboard, nous échangeons avec le réalisateur, et nous affinons alors les éléments qui seront utilisés. La mention de New York dans le script était avant tout un exemple: cette mention permet de situer l'action dans une grande capitale mondiale. Ensuite je fais pleinement confiance au storyboarder et au réalisateur pour interpréter aux mieux ces indications. Et s'ils ont besoin, nous en discutons.

Vous avez travaillé sur Rinne avant de faire le scénario de Urusei Yatsura. Quel est votre première rencontre avec le monde de Rumiko Takahashi ?
J'ai lu Urusei Yatsura quand j'étais plus petite, et c'est le titre qui me tient le plus à cœur. Alors vous imaginez bien à quel point j'étais ravie quand on m'a proposé ce travail!
Si vous pouviez dire à votre " moi de 14 ans" que vous travaillerez un jour sur Urusei Yatsura, qu'en aurait-elle pensé ?
Elle ne m'aurait pas cru (rires)! Je pense qu'elle aurait même du mal à croire que je deviendrais scénariste professionnelle. En tout cas, je serais sincèrement ravie de savoir qu'Urusei Yatsura resterait une œuvre populaire 40 ans après sa création.

Quelles sont les règles pour écrire un bon scénario ?
Quand je réalise un scénario basé sur un titre pré-existant, je fais attention à de nombreuses choses. Dans le cas d'Urusei Yatsura, j'ai porté une attention particulière aux personnages. Les personnages sont les " inochi" (NdlR : clé de voûte) des histoires de Rumiko Takahashi. Ainsi le moindre changement, même mineur, dans les intonations, dans le comportement aurait une résonance au-delà du personnage seul. C'était le plus important pour cette nouvelle version.
C'est à l'occasion du centenaire de Shogakukan que cet animé a été réalisé. Pourquoi pensez-vous que ce titre est si important aux yeux de la Shogakukan ?
Madame Takahashi est une légende vivante qui n'a jamais arrêté de dessiner des mangas. Il me semble impossible d'occulter sa présence ou son importance au sein de la Shogakukan pour une telle célébration…
Je suis né un vendredi 13, comme Ataru. Vais-je avoir le même destin que Ataru ?
Il faudra poser la question à Madame Takahashi (rires).

Comment êtes-vous devenue scénariste d'animation ?
Au collège, j'étais dans le club de théâtre. J'écrivais même les scénarios des pièces. J'ai continué dans cette voie tout au long de mes études. Professionnellement parlant, j'ai commencé par écrire le scénario d'un jeu vidéo, puis j'ai reçu des sollicitations dans le monde de l'animation.
Quelles ont été ces premières œuvres ?
J'ai d'abord travaillé sur le jeu vidéo Idol Master. Pour l'animation, mon premier contrat était de scénariser l'adaptation en anime de Viewtiful Joe, le jeu vidéo de Capcom. Finalement, le jeu vidéo aura été une plateforme complète pour m'amener à l'animation.

En quoi consiste le travail de scénaristes dans l'animation ?
Le rôle d'un scénariste est de poser le squelette d'une œuvre et d'implémenter les dialogues avant la mise en econte (NdlR, le storyboard, dans le jargon de l'animation). Si on travaille à partir d'une œuvre déjà préexistante, il va falloir prendre les dialogues et les événements en les segmentant à hauteur de 30 minutes afin d'avoir un contenu équilibré au rythme des épisodes, qui peut différer de celui des chapitres dans le cadre d'un manga. Voici les grandes lignes du travail d'un scénariste dans le monde de l'animation.
Votre premier scénario d'anime était Viewtiful Joe, qu'avez vous ressenti en voyant votre travail animé ?
Je me souviens clairement d'avoir été très heureuse de voir que quelqu'un ait réussi à mettre en image ce que j'avais pu m'imaginer.
Et vous ressentez toujours le même émerveillement aujourd'hui ?
J'éprouve encore une joie sincère à chaque adaptation. Cependant au fur et à mesure que ma carrière progresse, avec l'expérience je m'aperçois de plus en plus de points à retravailler ou améliorer. Je suis bien plus réceptives à mes défauts et ce qu'il peut me manquer pour progresser. Cette introspection est de plus en plus présente, mais elle ne gâche aucunement la joie de chaque adaptation.
Merci à Emmanuel Bochew pour l'interprétariat à Tokyo.