Genki Kawamura : "je ne ressens aucune beauté dans ces créations artificielles"

Genki Kawamura : "je ne ressens aucune beauté dans ces créations artificielles" Producteur, romancier, scénariste, réalisateur, Genki Kawamura est un artiste aux multiples casquettes. Au vu du succès de chacune de ses aventures, difficile de décider laquelle lui sied le mieux. En France, pour la sortie de son film " N'oublie pas les fleurs", il se confie à Linternaute.com.

Quel est le point commun entre les dessins animés Your Name, Le Garçon et la bête, les films Densha Otoko, Detroit Metal City, les romans Et si les chats disparaissaient du monde, N'oublie pas les fleurs ou des clips comme  The Chainsmokers & Coldplay ? Genki Kawamura a travaillé sur tous ces projets ! Ici en tant que producteur, là en tant que scénariste, ou même réalisateur en passant par la case auteur bien évidemment...

A chaque fois, l'artiste bat des records : 3,7 milliards de yens au box-office nippon pour Densha Otoko,  2,3 milliards de yens pour Detroit Metal City, 1,4 million de tomes vendus pour son premier roman… Genki Kawamura a trop d'histoires à raconter, trop d'œuvres à réaliser ou à produire pour perdre du temps. Il est ainsi le plus jeune lauréat du prix Fujimoto (prix du meilleur producteur au Japon), et identifié comme producteur " Nouvelle génération Asie" du Hollywood reporter dès 2010. C'est dans son hôtel parisien, par l'entremise de son distributeur Eurozoom que Linternaute.com a pu s'entretenir avec ce créateur boulimique. Morceaux choisis :

Linternaute.com : comment devient-on réalisateur de l'adaptation cinématographique du livre qu'on a écrit ?

D'abord il faut partir d'un texte, que je construis dans une forme la plus éloignée possible du cinéma, pour ensuite réfléchir à la manière de représenter les enjeux principaux du roman, dans une version cinématographique. Celà ressemble davantage à une nouvelle écriture qu'à une adaptation.

Comment conciliez-vous vos rôles d'auteur, réalisateur et producteur de dessins animés et de films ?

Le cinéma, plus que le reste de mon travail, reflète toute la complexité de ces différents métiers. Mes films possèdent des aspects littéraires et d'autres liés au dessin animé. Ils impliquent une concertation permanente entre tous ces professionnels, en évitant trop de confrontations. Quand je possède plusieurs casquettes sur un même film, je finis parfois par me concerter avec moi-même. 

Par exemple, je ne sais pas me battre pour trouver des financements ou restreindre des idées pour coller à un budget. Mon travail de producteur revient à travailler main dans la main avec les réalisateurs, ce qui implique parfois d'engager des dépenses au-delà de ce que les réalisateurs eux-mêmes avaient prévu ou de retravailler le scénario davantage qu'ils l'avaient envisagé. Dans ce film, comme j'étais dans la position du réalisateur, le travail était plus facile pour moi. C'est cette concertation avec moi-même qui a permis au film de prendre sa forme idéale.

Quand vous vous êtes lancé dans ce film, quelle est la première scène que vous avez visualisée ?

J'ai commencé à réfléchir à l'adaptation de ce roman en film au moment du festival de Cannes, il y a six ans. J'avais été sélectionné pour Duality, un premier court-métrage réalisé en prises de vues réelles. Cela m'a amené à réfléchir à un projet de long métrage à partir du roman que je venais de finir.

Pour le court-métrage, nous avions d'abord réfléchi au langage visuel et à la forme puis ensuite à un récit qui pourrait l'épouser. De même, la première question que je me suis posée pour l'adaptation cinématographique de mon roman a été celle du style visuel, du type d'images à travers lequel l'adapter au cinéma. La première scène que j'ai visualisée est celle du supermarché. Dans le texte, j'avais utilisé un procédé d'écriture qui consistait à reproduire plusieurs fois de suite quelques lignes de texte. C'était délibéré mais cela pouvait apparaître au lecteur comme une erreur d'impression. Quand je me suis demandé comment adapter ce procédé au cinéma, j'ai réfléchi à un plan-séquence qui permettrait de relier en boucle des éléments qui a priori n'avaient pas vocation à l'être. C'était une façon de représenter le trouble de la mémoire dont souffre le personnage. Le film contient de nombreux éléments de cette nature qui viennent du cinéma d'animation. De nombreuses choses proviennent de différents langages. J'ai voulu les adapter en prises de vues réelles dans ce film.

© 2022 “A hundred flowers” Film Partners

Comment vous est venue l'idée de parler de la maladie d'Alzheimer ?

Il y a 7 ans, ma grand-mère a commencé à perdre la mémoire et a oublié qui j'étais. Cela a représenté un choc pour moi. Lorsque je suis confronté à des choses que je ne comprends pas, des problèmes que je n'arrive pas à résoudre, j'écris un récit pour m'aider à appréhender cette réalité qui m'échappe. Cela m'aide à en cerner les enjeux. J'allais voir ma grand-mère chaque semaine pour lui parler, je lui racontais des souvenirs. Je lui ai parlé de la première fois où elle m'avait amené pêché à la mer. J'y avais attrapé un énorme poisson. Elle m'a répondu que je me trompais et que nous étions sur un lac. J'étais assez triste. Une fois de retour chez moi, j'ai ouvert un album de photos. Je me suis rendu compte qu'elle avait raison et que j'avais falsifié ce souvenir. C'était elle qui perdait la mémoire, et pourtant était dans l'exactitude. Le choc de cette découverte m'a amené à utiliser des processus en jeu dans la mémoire et qui consistent parfois à modifier la réalité d'un événement pour le retourner de façon plus mystérieuse. C'est ce qui se produit dans le film avec le changement  de la perception du fils.

La majorité des évènements du film sont-ils personnels ?

Certains éléments proviennent de mon expérience personnelle. Mais j'effectue toujours un travail documentaire important quand j'écris un récit. Pour ce roman sur les troubles de la mémoire, j'ai rencontré plus d'une centaine de personnes qui en souffraient. J'ai visité plus d'une dizaine de cliniques spécialisées. J'ai rencontré des personnes passionnantes qui ont trouvé leur place dans le récit. L'une d'elle avait enseigné le piano. Elle avait tout oublié, son mari, ses enfants, mais elle a joué devant moi un prélude de Bach. J'en ai été bouleversé. Je me suis dit qu'il y avait une forme de mémoire des gestes répétés qu'on ne perdait pas.

Nous avons également intégré dans le film un morceau de Schumann. J'ai choisi de décomposer ces mélodies très connues, jouées au piano. Nous les avons fait partir en lambeaux, puis  les avons reconstruites autrement, laissant place à une autre mélodie avec sa beauté propre. C'était une façon pour moi de représenter ces troubles de la mémoire, non seulement visuellement mais aussi de manière sonore.

© 2022 “A hundred flowers” Film Partners

Pour vous l'âme se situe-t-elle  plutôt dans le cerveau ou dans le cœur ?

Lorsque j'ai commencé le scénario du film, la première page consistait en un texte très bref d'une nouvelle que j'ai composé pour l'équipe du film . Il commençait ainsi : imaginez que vous êtes victime d'un accident de la circulation. Première hypothèse. Votre corps en sort indemne mais votre cerveau est mort. Ma question est la suivante : " est-ce toujours vous ?"  Seconde hypothèse, votre corps est complètement détruit mais votre cerveau est intact. Je crois que ce qui nous définit c'est plutôt le deuxième cas de figure, devenir un cyborg, avec un cerveau dans un corps artificiel. Nous nous définissons par nos souvenirs,par notre dimension mentale.

Le roman s'appelle Les 100 fleurs. Nous pouvons posséder des centaines de souvenirs très ordinaires qui, comme les fleurs, ont pour destinée de se faner, de disparaître. Dans ce processus, où beaucoup de choses nous échappent, à quoi peut-on se raccrocher ? Que parvenons-nous à préserver ? Les fleurs artificielles sont dénuées de beauté parce qu'elles échappent à ce destin de se faner et de se perdre. Je ne perçois aucune beauté dans ces créations artificielles.

Une phrase m'a marqué : " comment ai-je pu oublier autant de moments de bonheur" ? Quel est le petit bonheur quotidien que vous aviez oublié et que vous chérissez après avoir travaillé sur cette œuvre ?

Je vais devoir révéler certains passages du récit. Au Japon, à la saison estivale, de nombreux feux d'artifice sont tirés un peu partout. Traditionnellement, nous allons les voir en famille. Depuis que je suis adulte, je partageais plutôt ce spectacle avec des amis dans des hautes tours qui permettent d'avoir une vue imprenable. Assister à ces feux d'artifice dans ces lieux privilégiés m'a ramené à mon enfance où nous étions noyés dans la foule, sans très bien voir ce qui se passait. Je me suis demandé si cette expérience n'avait pas été plus importante et plus belle pour moi que celles des feux d'artifice parfaitement vus du haut d'une tour. L'être humain est à la recherche d'une certaine perfection. Pourtant, ce qui est parfois le plus attrayant, nous séduit le plus, présente en général des imperfections. Pour illustrer ce paradoxe dans le domaine de la mémoire, j'ai intégré dans le film le personnage d'une idole virtuelle, construit comme un  artiste parfait. Or, notre individualité, notre personnalité, notamment en tant que créateur aussi, provient justement de ce qui  nous manque, ce qui a disparu en nous, ce qu'on a oublié. Il s'agissait pour moi de construire, de structurer ce processus de l'oubli. De la même manière, je voyais ma grand-mère oublier de plus en plus de choses de son vécu et essayer de trouver les choses les plus importantes auxquelles se raccrocher. En observant toutes les données enregistrées sur mon téléphone, je me suis rendu compte qu'il y avait moins de bonheur à s'accrocher comme moi  à de multiples choses sans se poser la question de leur valeur, au lieu, comme ma grand-mère confrontée à la fatalité de l'oubli d'essayer malgré tout d'identifier ce qui était le plus important.

Vous êtes le scénariste du film célébrant les  50 ans de la Doraemon, l'une des licences les plus populaires au Japon. Est-ce que cela vous met la pression ?

Dès mon plus jeune âge, j'ai été un lecteur passionné de Doraemon. J'étais un fan absolu de ses auteurs. C'est le manga que j'ai le plus lu. A l'époque, je ne lisais que ça. Quand on m'a proposé de concevoir le scénario pour les 50 ans, cela a représenté à mes yeux un défi plus lourd de pression que d'écrire un scénario de Spiderman ou de Batman. Ce personnage était plus important à mes yeux que les deux autres. J'ai accepté de relever ce défi car il m'a semblé que cela serait un bon moyen de jeter un coup d'œil à l'intérieur de la tête de l'auteur. Le  dessinateur Fujiko Fujio mélangeait de façon très particulière des éléments de science-fiction et de comédie. Je me suis demandé comment il arrivait à réussir ce mélange, à construire une narration de cette façon . En écrivant  ce scénario, j'ai eu l'impression de comprendre ce qui était en jeu dans son sens du récit. Celà a constitué une expérience très précieuse.

© 2022 “A hundred flowers” Film Partners

Est-ce qu'il vous reste un rêve à réaliser ? Et pourquoi est-ce d'adapter une œuvre de Misturu Adachi (rires) ?

Je suis un très grand fan des bandes dessinées de Misturu Adachi. Les auteurs de manga ont créé quelque chose de très particulier, aussi bien dans la forme que dans les personnages.. Je suis un grand lecteur de bandes dessinées. J'admire profondément la façon spécifique dont les artistes japonais construisent leurs récits et créent des personnages d'une manière qui leur permet de communiquer avec le monde entier. J'aimerais réussir à créer cette forme de communication qui repose sur les qualités propres de ces publications. J'ai écrit mon premier roman comme un récit de science-fiction où le protagoniste peut décider chaque jour de la disparition de quelque chose. C'est une trame éminemment " Doraemonesque". Les romans que j'écris ont tous un lien et un style de narration proche de la bande dessinée J'ai envie d'explorer désormais davantage cette voie.

Vous avez bénéficié d'une éducation religieuse. Cela a-t-il compté dans  votre carrière d'artiste ?

Grandir dans un environnement familial chrétien a joué sur ma vision du monde. L'idée du roman sur la disparition des chats s'inscrit dans le moule inversé des textes de la genèse. À la place de la création chaque jour d'un nouvel élément du monde, mon personnage en soustrait quelque chose  jour après jour.Les textes de la Bible ont une influence sur ma façon  de raconter des histoires. Mon film a été récompensé dans un festival européen, à San Sebastien en Espagne, dans une ville chrétienne. Cela tien,t à mon avis, à la compréhension de mon film dans une ville chrétienne ainsi qu'à la dimension religieuse du crime et du châtiment.

Vous êtes le producteur exclusif de Mamoru Hosoda et de Makoto Shinkai. Comment avez-vous rencontré ces artistes ?

J'ai rencontré M. Hosoda la première fois au mariage d'un ami commun. J'ai cherché à voir M. Shinkai après la sortie de son premier court métrage car j'avais senti quelque chose de particulier. Aujourd'hui, l'un et l'autre sont des amis et nous nous demandons toujours ce que nous pourrions produire ensemble. Se poser cette question revient à se demander quelle vie nous souhaitons vivre.