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CHAT
 
Novembre 2006

"La nature est un réservoir d'idées possibles pour innover"

Son travail ? Copier la nature (entre autres). Directeur scientifique de Saint-Gobain Recherche, Hervé Arribart est venu en chat nous parler de cette discipline, la biomimétique, qui consiste à imiter le vivant.

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Pouvez-vous définir simplement ce qu'est la biomimétique ?
Pour faire simple, on peut dire que le biomimétisme est une démarche en 3 temps qui consiste à
1. Observer et découvrir dans les systèmes naturels (végétaux, animaux) des comportements intéressants
2. Rechercher l'explication de ces comportements
3. Et quand c'est fait, essayer de les reproduire en utilisant les technologies que nous maîtrisons.


Quelle est la différence entre la bionique et la biomimétique ?
La bionique est plus difficile à définir. De façon très générale et approximative, c'est utiliser des technologies pour prolonger et étendre les performances des systèmes biologiques, et en particulier des hommes, en tant que systèmes biologiques. On peut donc considérer que le biomimétisme est inclus dans la bionique.

"Aujourd'hui, on sait produire le fil d'araignée à partir du lait de chèvres génétiquement modifiées"

Quel est l'intérêt de copier la nature par rapport à inventer nous même de nouveaux matériaux ?
Parce qu'elle explore un très grand nombre de possibilités, la nature peut nous donner des idées qu'on n'aurait pas eues tout seul. Dans le domaine des matériaux, la nature est un réservoir d'idées possibles pour innover.

La solidité de la toile d'araignée a toujours étonné. On parlait même d'en copier le principe pour faire des gilets pare-balles. Le mécanisme est il actuellement copiable ? Pour en faire quoi dans le domaine de tout les jours?
Certains fils de toile d'araignée ont effectivement des propriétés mécaniques extraordinaires. Ils sont plus résistants que nos meilleures fibres synthétiques, en métal ou en plastique. Il est donc tentant d'essayer de les imiter. Aujourd'hui la façon la plus efficace - mais pas encore tout à fait au point ! -, c'est de produire le fil d'araignée à partir du lait de chèvres génétiquement modifiées. Le lait de ces chèvres contient des protéines dont la structure est proche de celles qui forment les fils d'araignée. Voir www.nexia.com.

Est-ce que les biotechnologies sont considérées comme de la biomimétique ?
Les biotechnologies ouvrent un champ bien plus vaste. Par exemple, les biotechnologies servent à produire des réactions chimiques en utilisant des enzymes, ou des bactéries. Dans ce cas, il s'agit d`utiliser les systèmes naturels, pas de les imiter.

Comment fait-on pour copier un matériau (Par exemple la surface de la feuille de lotus)?
Suivant la démarche décrite en réponse à la première question. D'abord, il faut avoir détecté ce qu'il y a d'intéressant dans la feuille de lotus ; en l'occurrence, le fait que les gouttes d'eau ne restent pas accrochées à sa surface. Puis, il faut comprendre comment ça marche. La réponse : il y a plein de petits reliefs minuscules sur sa surface, comme des micro picots. On les a découverts en observant la feuille par microscopie électronique.
Reste à imaginer comment on peut produire des picots minuscules sur des surfaces de verre, de peinture, etc. Pour ça, grâce au développement des nanotechnologies on dispose d'un certain nombre de possibilités, comme la photolithographie par exemple.


"Nous serons peut-être capables de remplacer un oeil humain par un oeil artificiel qui fonctionnera suivant un autre principe"

Quelles innovations récentes doit-on à la bionique ?
Les innovations liées au biomimétisme sont encore peu nombreuses : il y a les surfaces type "feuille de lotus" évoquées tout à l`heure ; on peut aussi citer certains matériaux composites, qui comme les matériaux composites naturels (os, coquille de mollusques, ...) possèdent des particules renforçantes de toutes les dimensions : du nanomètre au millimètre. On sait également produire de très beaux effets optiques (couleurs, reflets, irisation) en s'inspirant de la structure des ailes de papillon et des adhésifs très performants qui s'inspirent de la microstructure des doigts de lézards qui savent grimper sur les surfaces très lisses, comme le gecko par exemple.

On sait fabriquer des cœurs artificiels, et quels autres organes ? Pourra-t-on un jour se passer des greffes ?
Il y a un organe très intéressant de ce point de vue là, c'est l'oeil. Les yeux des différents animaux ne fonctionnent pas tous suivant les mêmes principes : encore un exemple de la diversité des systèmes naturels.
De nombreux chercheurs étudient les yeux d'insectes, qui sont des yeux composites, c'est à dire formés en fait de la juxtaposition de plusieurs milliers d'yeux individuels qui sont assez rudimentaires. Mais, l'union fait la force !
Il n'est pas impossible qu'on réussisse à reproduire de tels yeux. Finalement, nous serons peut-être un jour capable de remplacer un vrai oeil humain par un oeil artificiel qui fonctionnera suivant un autre principe. Il restera à ajouter un peu d'habillage et de décoration pour que ça ne se voie pas.

Y a-t-il une éthique de la bionique ?
Oui, à partir du moment où on envisage de connecter l'organisme humain ou animal à un système artificiel, de la même façon qu'il y a une éthique et des règles de déontologie pour les greffes d'organe.

Y'a t-il des matériaux ou structures présents dans la nature, mais que l'on ne parvient pas à imiter ?
Oui, il y en a, mais on réussira probablement à les imiter un jour. Par exemple, on ne sait pas aujourd'hui reproduire les formes très belles, parfois très simples, parfois très complexes, que l'on trouve dans la nature. Par exemple, les squelettes finement ciselés de tout petits organismes qu`on trouve dans les océans, qui s'appellent des cocolithes. Mais, il y a probablement encore plus de structures très intéressantes que l'on n'a pas encore découvertes !

A Saint-Gobain, aujourd'hui, vous travaillez sur quoi ?
Beaucoup de choses, dont la plupart n`ont rien à voir avec le biomimétisme. Mais, les exemples des feuilles de lotus, ou des matériaux composites sont des vrais exemples qui nous intéressent beaucoup.


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