Burkini dans les piscines : polémique à Grenoble, législation et recours... Est-il interdit ?
BURKINI. Le burkini pourra être porté dans les piscines publiques de Grenoble dès le 1er juin 2022. Malgré le vote du conseil municipal, le port du burkini continue de faire polémique et les opposants prônent l'interdiction de la tenue au nom de la laïcité, à tort.
[Mis à jour le 17 mai 2022 à 14h43] Le port du burkini sera autorisé dans les piscines publiques de Grenoble cet été. Adoptée de justesse à 29 voix contre 27 par le conseil municipal dans la soirée du lundi 16 mai, le projet du maire écologiste Eric Piolle divise. A compter du 1er juin 2022, Grenoble sera la deuxième ville après Rennes à autoriser la baignade en burkini. L'édile salue une "victoire multiple, à la fois pour le droit des femmes et puis aussi pour le respect de la laïcité" tandis que l'opposition peste contre la décision municipales. Même dans les rangs de la majorité d'Eric Piolle, des voix dissonantes se sont faites entendre : 13 élus ont voté contre la proposition d'autoriser le port du burkini. La conseillère Amel Zenati en tête critique un "retour en arrière" et s'élève contre "le burkini [qui] est un projet porté par des islamistes", selon Europe 1. L'élue reconnaît que des femmes féministes défendent leur droit de porter le voile et le burkini à la piscine mais ajoute "selon moi, le féminisme n'est pas là. Et puis, ce n'est pas une demande de la communauté musulmane, bien au contraire. Beaucoup de musulmans ne veulent pas être dans ce débat là".
Les réfractaires au port du burkini avancent tous des arguments religieux ou le respect de la laïcité, mais la neutralité religieuse n'a pas sa place dans les établissements publics dont les règlements intérieurs n'interdisent pas le port de signes religieux. Mais même Eric Piolle, qui a élargi le débat sur les questions d'hygiène et de sécurité, maîtresses dans ce débat, a inclus le sujet religieux : "Il s'agit d'un combat pour qu'on arrête de poser des interdits sur le corps des femmes, mais qui porte aussi sur la santé, permettant à chacun de se protéger du soleil, et sur la laïcité, rien n'interdisant dans la loi le port de vêtements religieux dans l'espace public". Les règles des piscines publiques grenobloises attendent d'être modifiées conformément à la décision municipale pour autoriser le port de tenues de bain, dont les burkinis, en "tissu spécifiquement conçu pour la baignade [...] ajustées près du corps" et dont l'usage est réservé à la piscine. Les tenues ne pourront toutefois pas être "plus longues que la mi-cuisse". En plus du port des burkinis, l'article autorisera le monokini aux usagères de la piscine.
Le burkini créait déjà la polémique avant l'aboutissement du projet mais maintenant que la nouvelle est officielle, l'opposition redouble d'efforts pour interdire le port de ces maillots de bains qui permettent aux femmes musulmanes de respecter leur pudeur et le port du voile tout en se baignant. Laurent Wauquiez, à la tête de la Région Auvergne Rhône-Alpes a mal accueilli la décision du conseil municipal et a annoncé en réponse sur Twitter la cessation immédiate de "toute subvention à la mairie de Grenoble". Au plus haut niveau de l'Etat, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, aurait demandé au préfet de l'Isère Laurent Prevost de saisir le tribunal administratif de Grenoble "par le biais d'un référé laïcité en vue d'en obtenir la suspension, en complément du déféré d'annulation". Le préfet juge que "l'objectif manifeste est de céder à des revendications communautaristes à visées religieuses, paraît contrevenir au principe de laïcité". Un reproche étonnant puisque les services publics, dont les piscines municipales, ne sont pas tenus de respecter la neutralité religieuse comme le précise les règlements intérieurs des établissements.
Le burkini, un sujet de discrimination ?
Le maire de Grenoble, Eric Piolle a posé les contours de l'autorisation du burkini dans les piscines dans une lettre adressée à Emmanuel Macron le 29 avril et dans laquelle il promet de veiller "à ce qu'aucun règlement intérieur d'aucun équipement public ne constitue une injonction ou une discrimination". Et avant de procéder au vote le 16 mai, l'édile a indiqué à l'assemblée de conseillers que l'objectif est de mettre fin à la " rupture d'égalité, justifiée ni par l'hygiène, ni par la sécurité" causée par l'interdiction du burkini. Le projet a reçu le soutien de l'association Alliance Citoyenne qui estime que "personne ne doit être stigmatisé·e jusque dans les bassins en raison de son choix de maillot". Et d'ajouter : "Les femmes musulmanes ont autant leur place à la piscine". Une tribune d'Alliance Citoyenne signée par une centaine de personnes et publiée le 11 mai dans Médiapart a défendu le droit pour les femmes de se vêtir librement, y compris lorsqu'elles souhaitent porter le burkini dans les piscines municipales. "La liberté vestimentaire n'est limitée par la loi ou un règlement que dans le cas où la tenue provoquerait un trouble à l'ordre public", clament les signataires. Et d'ajouter : "Si la liberté des unes s'arrête là où commence celle des autres, on voit mal comment la liberté de porter un maillot de bain couvrant nuirait à la liberté et au plaisir de nager des autres baigneur·euse·s des piscines municipales".
L'association Alliance citoyenne et le maire de Grenoble sont réputés proches, une proximité présentée par Alain Carignon, conseiller municipal de l'opposition, comme une influence, accusation dont s'est défendu l'édile. Le conseiller municipal avance l'argument de la laïcité pour défendre sa position comme les manifestants qui ont répondu à son appel et se sont mobilisés le 16 mai contre l'autorisation du burkini dans les piscines. "Le burkini n'est pas un simple vêtement, il a une portée politique et n'a rien à faire dans une piscine", a-t-on pu entendre devant le conseil municipal selon Le Figaro. C'est également le discours que portait Marine Le Pen sur RTL le 11 mai quand elle déclarait : J'aurai interdit le burkini dans les piscines sans aucune difficulté, d'ailleurs il est actuellement interdit dans les règlements des piscines".
Laïcité, hygiène, pudeur... Le burkini est-il interdit dans les piscines publiques ?
Les règlements intérieurs font la loi dans les services publics mais selon ce document du gouvernement, "les usagers du service public ont le droit d'exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de leur bon fonctionnement et les impératifs de sécurité, de santé et d'hygiène". Aucun règlement intérieur ne peut donc justifier l'interdiction du burkini au nom de la laïcité. Seuls les arguments sur la sécurité, l'hygiène et l'atteinte à la pudeur sont retenus par les piscines publiques pour déterminer les tenues autorisées dans l'eau. A ce titre, les établissements ont le droit d'interdire le burkini.
A l'argument hygiéniste et sécuritaire l'association Alliance Citoyenne oppose "des études indépendantes [qui] ont prouvé que la longueur d'un maillot ne détermine pas son caractère non hygiénique ou encore que les difficultés potentiellement rencontrées par les sauveteur·euse·s en cas de noyade sont les mêmes que pour une personne vêtue d'un bikini". Les piscines municipales de Rennes, ville où le burkini est autorisé depuis 2018 grâce à une décision de la maire socialiste Nathalie Appéré, penchent également de cet avis et estiment dans leur règlement intérieur que pour respecter les "exigences de sécurité et d'hygiène" et "préserver la qualité de l'eau de baignade", les tenues de bains se doivent seulement d'être "dans un tissu conçu spécifiquement pour cet usage et ne doivent pas avoir été portées avant l'accès à la piscine". Le texte oblige aussi les usagers à "prendre une douche avec shampoing et savonnage" avant d'entrer dans l'eau rapporte Franceinfo.
Quant à l'atteinte à la pudeur, impossible que l'argument soit utilisé pour interdire le port du burkini, le vêtement couvrant l'intégralité du corps de celles qui le portent, des épaules jusqu'aux chevilles la plupart du temps. Au contraire, la pudeur est ce qui interdit aux usagers de faire du nu, et aux femmes d'être topless ou de porter des maillots de bain trop échancrés.
Grenoble, Rennes... Où le port du burkini est-il autorisé ?
Le burkini sera autorisé dans toutes les piscines municipales de Grenoble à parti du 1er juin 2022. Une décision prise par le conseil municipal de la ville et voté d'une courte majorité, 29 votes pour, 27 contre et 2 abstentions. L'article qui a été adopté prévoit une modification des règlements intérieurs des piscines concernant les "règles d'hygiène et de sécurité". Il prévoit que les "tenues de bain doivent être faites d'un tissu spécifiquement conçu pour la baignade, ajustées près du corps, et ne doivent pas avoir été portées avant l'accès à la piscine". "Les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse (robe ou tunique longue, large ou évasée et les maillots de bain-shorts sont interdits", ajoute le texte, une précision qui fait en partie référence aux burkinis.
Si elle est pionnière en la matière, la préfecture de l'Isère n'est pas la première ville à avoir autorisé le port du burkini dans ses piscines municipales. C'est Rennes qui a ouvert la voie au burkini en 2018 grâce à une décision de la maire socialiste Nathalie Appéré. Depuis quatre ans, les musulmanes qui le souhaitent peuvent nager dans les bassins publics en portant le bikini. Déjà à l'époque, le respect de la laïcité ne pouvait justifier l'interdiction des burkinis, seules les conditions d'hygiène et de sécurité en étaient capables. Le conseiller délégué au sport, Yvon Léziart avoir alors expliqué à Ouest France que les burkinis se devaient simplement d'être "dans une matière, par exemple le lycra, compatible avec la pratique de la nage". Il avait précisé que "le nombre de femmes nageant avec un burkini [était] de toute façon très faible à Rennes".