Validée par le Conseil d'Etat, l'interdiction de l'abaya à l'école est-elle respectée ?

Validée par le Conseil d'Etat, l'interdiction de l'abaya à l'école est-elle respectée ? L'interdiction du port de l'abaya dans les écoles a été validée par le Conseil d'Etat, le jeudi 7 septembre 2023. La juridiction voit dans ce vêtement un signe religieux ostentatoire qui contrevient au principe de laïcité.

Le Conseil d'Etat a tranché : il se range de l'avis du ministère de l'Education nationale et valide l'interdiction du port de l'abaya et du qamis à l'école. Après deux jours de réflexion sur un recours déposé par l'association Action Droits des Musulmans (ADM) qui souhaitait suspendre cette nouvelle mesure, la haute juridiction a estimé que "l'interdiction du port de ces vêtements ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale".

En revanche, vêtir ces longs vêtements d'origine moyen-orientale dans les établissements scolaires "s'inscrit dans une logique d'affirmation religieuse" poursuivent les juges du Conseil d'Etat s'appuyant sur "des propos tenus au cours des dialogues engagés avec les élèves". Cela contrevient donc, d'après eux, au principe de laïcité et à la loi de 2004 sur la laïcité à l'école.

L'avis du Conseil d'Etat donne raison au gouvernement, mais mettra-t-il fin au débat ? Ce n'est pas sûr, pas plus qu'il ne garantira le respect de l'interdiction. Lors de la rentrée du 4 septembre, 298 élèves s'étaient présentés en abayas ou en qamis dans les établissements scolaires malgré la mesure et 67 avaient refusé de se changer. Le ministre de l'Education nationale, Gabriel Attal, a indiqué s'attendre à voir de nouveaux refus de se plier à la règle et souhaite répondre par le dialogue : "On verra si [ces personnes] se sont conformées ou non à la règle. Sinon, il y aura un nouveau dialogue".

Des demandes pour suspendre l'interdiction des abayas

L'association Action Droits des Musulmans (ADM) qui dit lutter "contre le racisme anti-musulman" est l'auteur du recours déposé en Conseil d'Etat visant à suspendre l'interdiction de l'abaya. Les avocats d'ADM dénoncent "une atteinte à l'éducation" et "à la vie  privée" des enfants musulmans ou présumés musulmans, et un mesure qui risque de créer "un risque de profilage ethnique à l'école" et pourrait avoir des conséquences sur le plan social, culturel ou éducatif.

D'autre part, l'association pointe un "immixtion injustifiée dans l'exercice du culte musulman" par l'Etat et y voit "une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte". Un argument à double tranchant, car si le port de l'abaya relève de la pratique du culte musulman, elle peut alors être considérée comme un signe d'appartenance religieuse ostentatoire et justifiée l'interdiction décidée par le ministère de l'Education nationale. Pour rappel, tous les signes religieux ostentatoires sont interdits à l'école comme le prévoit l'article L. 141-5-1 du code de l'Education.

D'autres ont pointé la mesure interdisant le port de l'abaya en soutenant que le vêtement n'est pas un signe religieux, mais plus "une forme de monde" selon le vice-président du Conseil français du culte musulman Abdallah Zekri. "L'abaya n'est pas fondamentalement ou initialement un vêtement religieux" analyse pour sa part le maître de conférence à Sciences-Po Lyon et spécialiste de l'islamisme Haoues Seniguer auprès de l'AFP. Un avis qui n'est pas celui du Conseil d'Etat.

Que risque un(e) élève qui porte une abaya ou un qamis à l'école ?

Dans cette note dévoilée par Le Parisien, on apprend que dès le premier jour de l'année scolaire, lundi 4 septembre, aucun élève portant l'abaya ou le qamis ne pourra assister aux cours. L'élève sera toutefois reçu(e) dans l'établissement pour "un échange" lors duquel lui seront expliquées les nouvelles règles, mais également les sanctions qu'il ou elle encourt. S'il ou elle refuse de renoncer à sa tenue, "une procédure disciplinaire devra être engagée", précise clairement la note signée par Gabriel Attal. La procédure pourra aller jusqu'à une éventuelle exclusion de l'élève, apprend-on encore. 

"Cette procédure ne saurait être une négociation, sous quelque forme que ce soit", insiste dans sa note le ministre de l'Éducation nationale. Et d'ajouter : "Son objectif est de mettre un terme rapide et durable au comportement constitutif d'un trouble au bon fonctionnement de l'école."

Comment l'abaya peut-elle être interdite à l'école ?

Gabriel Attal s'est montré ferme sur l'interdiction du port de l'abaya à l'école. Mais alors que le caractère religieux du vêtement ne fait pas consensus, comment compte-t-il s'y prendre ? Le ministre a fait parvenir jeudi 31 août une "note de service" précisant les modalités de cette interdiction aux établissements scolaires et avait précédemment indiqué, en conférence de presse le 28 août, que le "vade-mecum de la laïcité" allait être "actualisé".

Dans cette note, le ministère précise que : "La montée en puissance du port de tenues de type abaya ou qamis a fait naître un grand nombre de questions sur la conduite à tenir. Le port de telles tenues, qui manifestent ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse, ne peut y être toléré."

Le ministre de l'Éducation nationale estime que "dans la très grande majorité des cas les choses se régleront, dès les premiers jours, par du dialogue". Pour aider les chefs d'établissement à la mise en place de l'interdiction, un "accompagnement humain" est prévu pour la rentrée et, dans les écoles qui le demandent, des "équipes laïcité" du rectorat seront déployées sur place. Outre les solutions administratives, le ministre dit compter sur la "pédagogie" et l'"échange avec les familles" pour comprendre la décision et respecter l'interdiction. Dans les cas les plus difficiles, "une lettre signée de (la) main" du ministre sera destinée aux familles concernées. Une "procédure d'accompagnement humain" devra aussi voir le jour à l'aide "d'équipes laïcité et valeurs de la République des rectorats, des formateurs laïcité" qui se déplaceront dans les établissements français.

Qu'est ce qu'une abaya ?

Il s'agit d'un vêtement traditionnel exclusivement féminin et issu de la culture islamique. Cette longue robe a pour but de couvrir l'intégralité du corps de la femme à l'exception du visage, des mains et des pieds. Camouflant les formes du corps, l'abaya se veut un signe de modestie dans la culture islamique. Ce vêtement peut-être considéré comme une extension du voile qui doit couvrir les cheveux de la femme et est adopté par certaines femmes musulmanes. Souvent noire, les modèles d'abaya ont pris des couleurs ces dernières années.

Le port de l'abaya n'est pas systématiquement obligatoire pour les musulmanes, cela dépend de la législation de chaque État. En Arabie saoudite, dans d'autres pays du golfe ou encore en Iran, toutes les femmes musulmanes ou non sont contraintes de porter l'abaya. Mais les pays où le port de cette longue robe est obligatoire ne sont pas majoritaires ; dans le reste du Moyen-Orient le vêtement n'est pas obligatoire, pas plus qu'au Maghreb. Le port contraint de l'abaya est souvent décidé dans les pays où le pouvoir est intimement lié à la religion : là où la charia régit les lois ou dans les Républiques islamiques par exemple. Même dans ces pays, des hauts dignitaires religieux militent pour que le port obligatoire de l'abaya soit aboli et que le choix revienne aux femmes.

Le qamis, qu'est-ce que c'est ?

Le qamis est en quelque sorte le pendant masculin de l'abaya. Le vêtement vient lui aussi de la culture islamique, mais est réservé aux hommes. Cela ressemble à une longue tunique qui, comme pour les femmes, doit camoufler les formes du corps et respecter la pudeur. Le qamis par sa forme n'est pas sans rappeler d'autres tenues vestimentaires semblables, mais nommées différemment selon les zones géographiques : la djellaba en Afrique du Nord ou le boubou en Afrique de l'Ouest. À noter que ces vêtements sont portés aussi bien par les hommes que par les femmes.

L'abaya et le qamis sont-ils des vêtements religieux de l'islam ?

Pour les musulmans qui pratiquent les préceptes religieux les plus stricts, il convient pour les hommes et les femmes de couvrir les parties intimes de leurs corps notamment lors de célébrations religieuses ou des prières. Les femmes sont alors tenues de couvrir tout leur corps et leurs cheveux à l'exception du visage, des mains et des pieds tandis que les hommes doivent se couvrir au moins de la taille jusqu'aux genoux ou alors du haut du corps jusqu'aux genoux en présence de la gente féminine. Les abayas et les qamis permettent de respecter ces principes religieux. Le caractère religieux qui est prêté à ces vêtements est aussi lié à la tradition et aux pratiques du prophète islamique Mahomet. Les hadiths, récits prophétiques, prétendent notamment que le prophète portait le qamis. Les vêtements sont donc un moyen de se rapprocher ou d'imiter l'exemple de Mahomet.

L'origine de l'abaya et du qamis pourrait aussi être plus culturelle que cultuelle. L'existence de vêtements semblables, mais pourtant sans lien direct avec l'islam comme vu plus haut dans cet article, nourrit cette thèse. Il faut aussi noter que le Coran ne mentionne pas explicitement le port de l'abaya ou du qamis comme des préceptes musulmans et se contente de demander la modestie et l'absence de vanité aux fidèles. La modestie peut effectivement passer par la façon de s'habiller sans exiger le port d'une longue robe comme le prouvent les femmes musulmanes qui ont fait le choix de ne pas porter l'abaya.

Abaya et qamis, signes religieux ou habitudes culturelles ?

Au fil du temps, le port de l'abaya et du qamis dans le monde islamique a pu devenir une habitude vestimentaire plus qu'un symbole religieux. Une nuance faite par certains professeurs contactés par Le Monde qui observent que "les élèves et parfois leurs familles dénient fréquemment toute dimension religieuse au port de ces tenues mettant en avant leur caractère culturel". La question est alors de savoir comment reconnaître la pratique cultuelle ou l'habitude culturelle. Le vice-président Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, est de cet avis et a estimé sur BFMTV que "l'abaya n'est pas une tenue religieuse, c'est une forme de mode".

Les cellules "valeurs de la République" du ministère de l'Éducation nationale expliquaient fin 2022 dans un courrier que Le Monde a consulté qu'il faut distinguer les signes ostensiblement religieux de ceux "qui ne sont pas par nature des signes d'appartenance religieuse" mais qui peuvent le devenir "au regard du comportement". Les abayas et les qamis appartiennent à cette deuxième catégorie. Il faut alors pour savoir s'ils relèvent du culte ou de la culture, en s'aidant de plusieurs indices comme la régularité du port de la tenue, "la persistance du refus de l'ôter" ou "le fait qu'il s'agisse de tenues traditionnelles portées lors de fêtes religieuses", précise la note. Difficile toutefois de procéder à l'évaluation individuelle du port de l'abaya ou du qamis pour chaque élève. Didier Georges, proviseur et secrétaire national du SNPDEN-UNSA, a estimé, auprès du Monde, qu'il "peut y avoir des écueils mais, la plupart du temps, les chefs d'établissement savent dire ce qu'il en est". Il a salué qu'une décision soit "enfin prise" par le ministère.

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