La réforme de l'AME voulue par Bruno Retailleau est "complètement stupide" selon les soignants
Le ministre de l'Intérieur parle de réformer l'aide médicale d'urgence. Anciens ministres de la Santé et de nombreux médecins dénoncent un non-sens qui ne permettra pas de faire des économies.
À peine quelques jours après son arrivée au gouvernement, Bruno Retailleau annonce la couleur : il souhaite réformer l'AME. L'aide médicale d'État permet aux personnes en situation irrégulière en France d'avoir accès aux soins sous certaines conditions. Une aide qui n'est pas appréciée par une partie de la droite et l'extrême droite, qui considère que cela rend la France attractive, attirant ainsi plus d'immigration. Le ministre de l'Intérieur a d'ailleurs déclaré sur TF1, le 23 septembre : "On a un souci, c'est que nous sommes un des pays européens qui donne le plus d'avantages et moi, je ne veux pas que la France se singularise, que la France soit le pays le plus attractif d'Europe pour un certain nombre de prestations sociales d'accès aux soins."
Une déclaration qui a fait bondir le monde de la santé, qui considère une éventuelle réforme de l'AME comme dangereuse pour la santé publique et contre-productive au sujet de l'immigration illégale. Huit anciens ministres de la Santé se sont réunis derrière une tribune au Monde pour "rappeler l'importance du maintien de l'aide médicale d'État". Concernant l'attractivité de la France pour les personnes souhaitant migrer vers l'Europe, ils sont unanimes : "C'est un fantasme contraire aux faits, à nouveau clairement établis dans deux rapports solides élaborés en 2019 et 2023", ajoutant que "l'AME ne concerne pas des soins de confort, susceptibles d'attirer une immigration dont les causes sont évidemment plus diverses et complexes."
Le monde du soin est également vent debout après cette déclaration du ministre de l'Intérieur. Philippe Froguel, médecin et enseignant-chercheur, parle de "naufrage moral" et d'une "bombe sanitaire à retardement". De son côté, Anthony Gonçalves estime qu'une telle mesure aurait pour but de flatter l'électorat du RN : "Les Français se sont mobilisés pour refuser le RN au pouvoir et se retrouvent ce matin avec un "Bruno Mégret" aux petits pieds qui veut s'en prendre à l'AME au mépris de la santé publique et de toute éthique médicale."
Les Français se sont mobilisés pour refuser le RN au pouvoir et se retrouvent ce matin avec un Bruno Megret aux petits pieds qui veut sen prendre à lAME au mépris de la santé publique et de toute éthique médicalela collaboration est en marche https://t.co/UbTNXnjx9M
— Anthony Gonçalves (@ProfAnthoG) September 24, 2024
Supprimer l'AME reviendrait plus cher que de la maintenir
Derrière la proposition de Bruno Retailleau, il y a aussi une notion d'économie. En diminuant le champ d'action de l'AME, la transformant en aide médicale d'urgence, le but est de diminuer le budget de la Sécurité sociale. Or, selon Aurélien Rousseau, Roselyne Bachelot, François Braun, Agnès Buzyn, Agnès Firmin Le Bodo, Marisol Touraine, Frédéric Valletoux et Olivier Véran, les signataires de la tribune, cela ne fonctionnera pas : "Affaiblir l'AME, c'est exposer notre système de santé à une pression accrue de prises en charge plus tardives et donc plus graves et plus coûteuses." L'AME représente une dépense de 1,2 milliard d'euros par an, soit environ 0,5 % des dépenses de santé prévues par le budget de la Sécu. L'an passé, on comptait 466 000 bénéficiaires de l'AME.
Un danger pour la santé publique
Les huit anciens ministres alertent enfin sur les risques qu'une suppression, ou un allègement, de l'AME représenterait pour la santé publique. Ils expliquent qu'empêcher financièrement une personne de consulter un médecin généraliste pour une pathologie ne ferait que retarder sa prise en charge, le poussant à se rendre aux urgences avec un souci de santé plus grave : "La prise en charge d'un bénéficiaire coûte sept fois plus cher à l'hôpital qu'en médecine de ville." Ils s'inquiètent également sur le risque d'épidémie que cela pourrait représenter, alors que le monde est encore traumatisé par la pandémie de Covid-19. "Concrètement, affaiblir l'AME, c'est désinvestir le champ de la prévention, qu'il s'agisse notamment de la vaccination ou des dépistages. De fait, un tel recul crée un risque sur la santé publique de tous nos concitoyens, notamment infectieux", commentent les ministres, qui alertent également sur l'éthique médicale. Comme le rappelle le Conseil national de l'Ordre des médecins, le serment d'Hippocrate, prononcé par tous les médecins avant d'exercer, dit : "Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions", "je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me les demandera". De plus, la déclaration de Genève, figurant en annexe du code de déontologie médicale et adoptée par l'assemblée générale de l'Association médicale mondiale en 1948 dit : "JE NE PERMETTRAI PAS que des considérations d'âge, de maladie ou d'infirmité, de croyance, d'origine ethnique, de genre, de nationalité, d'affiliation politique, de race, d'orientation sexuelle, de statut social ou tout autre facteur s'interposent entre mon devoir et mon patient."