Suicide de Lindsay : que contiennent les plaintes déposées par la famille ?

Suicide de Lindsay : que contiennent les plaintes déposées par la famille ? Lindsay, 13 ans, s'est suicidée le 12 mai après avoir été victime de harcèlement scolaire pendant plusieurs mois. Sa famille, qui pointe du doigt l'inaction des autorités et du collège, a annoncé déposer quatre plaintes, jeudi 1er juin 2023.

[Mis à jour le 2 juin 2023 à 20h31] Lindsay s'est donnée la mort à seulement 13 ans, le 12 mai 2023. L'adolescente, qui était scolarisée au collège Bracke-Desrousseaux de Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais, s'est suicidée après plusieurs mois de harcèlement scolaire. Insultée, menacée et violentée physiquement, elle avait pourtant alerté à plusieurs reprises sur sa situation. La mère de Lindsay, Betty Gervois, a souligné l'inaction des autorités face au harcèlement subi. "On n'a pas été aidés. Aucun soutien, ni avant, ni pendant et ni après", a-t-elle déploré lors d'une conférence de presse, jeudi 1er juin, rapporte France 3 Régions. "Si on avait été soutenus, je pense que ma fille, j'en suis même sûre, serait encore parmi nous", a-t-elle ajouté.

La famille de Lindsay a ainsi déposé quatre plaintes pour "non-assistance à personne en péril" à destination du directeur du collège, mais aussi contre l'académie de Lille et contre les policiers chargés de l'enquête. Une plainte a aussi été déposée contre le réseau social Facebook, qui a été jugé "complètement défaillant", par l'avocat de la famille, Me Pierre Debuisson, lors d'une conférence de presse, rapporte Le Point. Deux plaintes avaient déjà été déposées en février pour dénoncer le harcèlement exercé par un groupe de jeunes filles, mais cela n'a pas empêché le drame. Par ailleurs, quatre mineurs avaient été mis en examen dans ce dossier pour "harcèlement scolaire ayant conduit au suicide", dans le cadre d'une information judiciaire, avait annoncé le procureur de Béthune le 25 mai. Une personne majeure a été mise en examen pour "menaces de mort".

Ces quatre plaintes ont été déposées "pour que les personnes qui étaient parfaitement informées de la détresse de Lindsay, et qui n'ont rien fait, soient traduites en justice et puissent enfin répondre de leurs actes", a déclaré l'avocat de la famille au micro de France Bleu Nord, vendredi. 2 juin. Ce même jour, le ministre de l'Éducation, Pap Ndiaye, a indiqué de nouveaux dispositifs à travers une lettre adressée aux directeurs d'école et chefs d'établissement. Il cite cinq actions contre le harcèlement, rappelle BFM TV : recueillir le témoignage de la victime ; entendre les témoins, les présumés, leurs responsables légaux ; mettre en œuvre des mesures de protection de la victime ; déclarer la suspicion de harcèlement  et mener des actions de sensibilisation dans les classes. En cas de harcèlement probable ou constaté, le ministre demande aux chefs d'établissement de "faire un signalement au procureur de la République".

Que risque le directeur de l'établissement où Lindsay était harcelée ?

La mère de Lindsay a pointé, lors d'une conférence de presse, jeudi, ce qu'elle estime être une négligence de la part du directeur du collège Bracke-Desrousseaux de Vendin-le-Vieil : "Elle demandait de l'aide au directeur, il lui a clairement dit : 'Tu m'embêtes avec tes bêtises, ça reste entre vous, on a autre chose à faire'", a-t-elle indiqué, selon le HuffPost. Ce vendredi sur France Bleu Nord, l'avocat de la famille a estimé "qu'il y a une responsabilité peut-être plus importante au niveau du principal du collège". "Lindsay était venue le voir pour partager sa souffrance, sa détresse. C'était un appel à l'aide, qui a été piétiné par cet homme qui n'a pas voulu l'écouter. La mère de Lindsay a aussi pris contact avec cet homme, qui l'a renvoyée dans ses retranchements sans jamais lui tendre la main", a-t-il dénoncé. 

Le directeur de l'établissement pourrait être accusé de manquement à l'obligation de surveillance. Une carence dans l'organisation du système de surveillance et un défaut de vigilance pourraient également être pointés. Selon le décret n°89-122 du 24 février 1989 relatif aux directeurs d'école, ceux-ci "veille[nt] à la bonne marche de l'école et au respect de la réglementation qui lui est applicable". Le directeur du collège est exposé à une peine de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, selon l'article 434-3 du Code pénal.

La famille a alerté le collège et la police à plusieurs reprises avant le drame

Le père de la jeune fille a décrit, sur le plateau de Touche pas à mon poste !, le 29 mai, les derniers mois de sa fille : "Cela a commencé en septembre l'an passé, puis c'est monté crescendo. Au fur et à mesure de l'année, ça a commencé à s'aggraver. (...) Au mois de février, en rangeant sa chambre, j'ai trouvé une lettre de suicide sous son matelas. On a avisé l'académie, le proviseur et la police… Sans suite."

Il est aussi revenu sur le rôle du directeur du collège : "On a rencontré le proviseur une seule fois, et il nous a juste conseillé de lui supprimer son téléphone." Leur avocat avance que ce dernier "n'a rien fait pendant des mois", alors même que Lindsay avait à plusieurs reprises sollicité son aide. Désemparée, la famille avait tenté de contacter le couple Macron par deux lettres. Le CPE de ce collège est aussi visé par une plainte d'un autre parent d'élève pour inaction après plusieurs plaintes de son enfant.

Le ministre de l'Éducation nationale reconnaît un "échec collectif"

Pap Ndiaye a été tancé par Pierre Debuisson, avocat de la famille de Lindsay, lors de la conférence de presse de la famille, relayée par BFMTV : "Il est inconcevable que le ministre de l'Éducation nationale préfère le 24 mai, 12 jours après la mort de Lindsay, récompenser 12 élèves d'un collège de Paris pour la lutte contre le harcèlement scolaire, mais ne pas prendre le soin d'appeler les parents de Lindsay."

Sur Neoprofs, un réseau social d'enseignants, un sujet "Harcèlement scolaire, quelle est notre responsabilité ?" est apparu à la suite du suicide de Lindsay. L'utilisateur Maju témoigne : "Je rappelle que l'un des objectifs du programme Phare, c'était d'avoir dans chaque établissement des personnels formés et un protocole clair. On en est loin."

Invité de BFMTV, jeudi 1er juin, Pap Ndiaye a reconnu "un échec collectif" dans ce suicide, qu'il a qualifié de "tragédie pour ses proches, pour l'Éducation nationale et pour le pays". Il a également annoncé des mesures avec le renforcement des moyens pour les deux numéros d'écoute : le 3019 et le 3020. Le ministre de l'Éducation souhaite avancer la mise en œuvre de la loi Balanant contre le harcèlement scolaire, qui vise à faire le lien entre l'école et les services du ministère. Enfin, Pap Ndiaye veut "mettre sous pression de manière plus accentuée les réseaux sociaux", qui sont trop lents à réagir selon lui. 

"Ça fait trois semaines aujourd'hui que Lindsay nous a quittés. Le ministre de l'Éducation nationale se réveille, mieux vaut tard que jamais", a réagi la mère de Lindsay, Betty Gervois, aux déclarations de Pap Ndiaye, ce vendredi sur franceinfo. L'avocat de la famille, Me Pierre Debuisson, a de son côté estimé ce vendredi sur France Bleu Nord que le ministre "a raison" de parler "d'échec collectif", avant d'ajouter : "On peut simplement déplorer qu'il ait attendu trois semaines pour venir tenir ces propos." L'avocat a déclaré qu'il aurait voulu que Pap Ndiaye "puisse prendre son téléphone pour partager quelques mots de compassion avec les parents" de l'adolescente. Sur BFMTV, le ministre a cependant affirmé avoir "essayé plusieurs fois de joindre la mère de Lindsay", tandis que cette dernière assure n'avoir eu aucun contact avec lui. 

Le rectorat de Lille a lancé une enquête administrative

Une enquête administrative a également été ouverte par le rectorat de l'académie de Lille, comme l'a annoncé Jean-Roger Ribaud, le directeur académique, en conférence de presse le 26 avril, indique BFMTV. Il a estimé que les services scolaires auraient pu "aller plus loin dans le suivi" de Lindsay. Une première enquête avait été traitée par l'établissement : un élève avait alors quitté le collège, mais le calvaire de la jeune fille a perduré.

Après l'annonce du dépôt de quatre plaintes par la famille de Lindsay pour "non-assistance à personne en péril", dont une visant l'académie de Lille, la rectrice de l'académie s'est exprimée au micro de France Bleu Nord, ce vendredi. "Il est important qu'on ait une enquête administrative pour savoir exactement ce qui était su et pas su", a déclaré Valérie Cabuil. La rectrice de l'académie de Lille a indiqué que le harcèlement subi par Lindsay remontait à l'automne 2022 et avait "été porté à la connaissance des services académiques en février".

"Quelques jours" avant de se suicider, "Lindsay avait montré des signes de mal-être. Et là, le collège s'était mis en relation avec la famille", a assuré Valérie Cabuil. Elle a ensuite dit attendre les conclusions de l'enquête administrative pour se prononcer sur la responsabilité des différentes personnes et entités mises en cause dans ce suicide, et a prévenu que cela pourrait prendre du temps. "Cela demande beaucoup de travail, il va falloir entendre tout le monde : l'équipe éducative, les élèves et les parents. Nous sommes bien conscients qu'il y a eu d'autres plaintes déposées par d'autres parents. Donc il faut entendre tous les parents pour savoir s'il y a eu des dysfonctionnements, et ensuite conclure", a-t-elle déclaré. 

Le 3020, "Non au harcèlement", est le numéro national à joindre pour signaler une situation de harcèlement scolaire. La personne ou ses proches peuvent appeler gratuitement ce numéro d'écoute et de prise en charge, accessible du lundi au vendredi, sauf jours fériés, de 9h à 20h, et le samedi de 9h à 18h.