Viande, œufs, lait... Comment du pétrole est-il arrivé dans nos aliments ?
Des millions de Français mangeraient-ils du pétrole sans le savoir ? C'est ce que révèle une enquête de radio France, publiée ce vendredi 23 mai. Des analyses menées par l'université de la Côte d'Opale et un laboratoire privé ont détecté des résidus d'hexane, un solvant issu du pétrole, dans 25 produits sur 54 testés : huiles, margarines, beurres, œufs et morceaux de poulets achetés dans le Nord de la France en 2024. Les taux variaient de 0,01 à 0,4 mg/kg.
La limite légale, fixée en 1994 à 1 mg/kg dans l'huile, n'est pas dépassée. Mais les laboratoires actuels détectent des doses bien plus faibles, grâce à des méthodes d'analyse plus précises : c'est ce qu'on appelle la valeur limite analytique. "La valeur limite légale, ce n'est pas la valeur limite analytique" explique Dorothée Dewaele, ingénieure de mesures au laboratoire de l'université de la Côte d'Opale. "Sinon, on n'aurait jamais détecté des substances comme les polluants éternels." Aujourd'hui, des polluants tels que les PFAS ou les pesticides sont repérés dans l'eau ou les aliments à des niveaux 1000 fois plus faibles que ceux recherchés pour l'hexane.
Comment l'hexane se retrouve dans votre assiette
L'hexane est utilisé depuis des décennies pour la production d'agrocarburants et par les triturateurs (fabricants d'huile) pour extraire l'huile végétale. Il attire le gras : "Une fois écrasées, les graines de colza, de soja ou de tournesol peuvent encore contenir jusqu'à 20% d'huile. En faisant couler ce solvant sur les graines écrasées, les industriels arrivent encore à en extraire une bonne partie." explique Radio France. Ce qui leur reste est la partie solide appelé des tourteaux déshuilés. Il est notamment utilisé pour l'alimentation du bétail. Une pratique mise en place dans les années 1930 aux Etats-Unis.
Résultat : on retrouve aussi des traces d'hexane dans les produits animaux comme les œufs, le lait ou la viande. "Il y a pléthore de solvants qui ont été testés mais le grand avantage de l'hexane est qu'il est très peu cher parce que c'est un déchet de la fabrication d'essence", explique le journaliste d'investigation Guillaume Coudray, auteur d'un livre à paraître sur le sujet. "En plus, quand on utilise de l'hexane, on a besoin de moins de main d'œuvre dans les usines de trituration" ajoute-t-il.
Vers une réévaluation de la toxicité de l'hexane ?
La législation européenne tolère la présence non intentionnelle d'hexane dans certains produits comme le beurre de cacao, les margarines, ou encore les steaks de soja. En revanche, rien n'est prévu pour les résidus provenant de l'alimentation animale. Interrogée sur ces résultats, l'agence sanitaire européenne, l'EFSA, a répondu à la cellule investigation de Radio France que "l'exposition à l'hexane par le biais de l'alimentation animale n'est pas dans le mandat donné à l'EFSA par la Commission européenne."
"Dans son évaluation d'exposition, l'EFSA a pris en compte les différentes classes d'âge, y compris les nourrissons sur la base des limites réglementaires. Cette classe d'âge sera traitée de manière appropriée dans le cadre d'une réévaluation complète de l'hexane." Une décision politique est donc nécessaire pour permettre une évaluation scientifique de l'exposition réelle des consommateurs. "L'EFSA examinera l'exposition aux résidus par toutes les sources alimentaires", est-il précisé au média.
Dans un rapport de septembre dernier, l'EFSA (Agence sanitaire européenne) a estimé qu'il fallait réévaluer la toxicité de l'hexane et les seuils autorisés, fixés il y a près de 30 ans, a révélé Libération. D'autant plus que l'agence n'avait pas anticipé sa présence indirecte dans des aliments comme le lait, le beurre ou la viande. Les traces d'hexane, reconnu nocif pour la santé, ne figurent pas sur les étiquettes. Pourtant, des millions de Français en consomment chaque jour sans le savoir.
En 2009, l'Anses a classé sa principale molécule, le n-hexane, parmi les perturbateurs endocriniens potentiels. Elle alertait déjà les femmes enceintes sur les risques d'inhalation (coles, peintures, aérosols), mais rien n'était dit sur l'alimentation. En 2014, l'agence française a confirmé son effet neurotoxique et reprotoxique, pouvant toucher le système nerveux et la fertilité.