Soupçons de conflit d'intérêts et pouvoirs limités pour Agnès Pannier-Runacher

Soupçons de conflit d'intérêts et pouvoirs limités pour Agnès Pannier-Runacher PANNIER RUNACHER. La ministre de la Transition énergétique visée par une enquête car soupçonnée de conflit d'intérêt ne pourra plus prendre de décision sur la société Perenco, proche de sa famille selon un décret publié le 15 novembre.

[Mis à jour le 15 novembre 2022 à 9h25] Agnès Pannier-Runacher voit ses prérogatives de ministre limitées. La publication d'un décret au Journal officiel ce mardi 15 novembre 2022 prive la ministre de la Transition énergétique de la gestion des dossiers impliquant la société pétrolière Perenco et deux autres firmes qui entretiennent des liens proches avec sa famille. La ministre "ne connaît pas des actes de toute nature relatifs au groupe Défense conseil international, au groupe EP2C et au groupe Perenco", écrit précisément le texte officiel. La décision survient une semaine après la publication de l'enquête de Disclose révélatrice de potentiels conflits d'intérêts entre les missions ministérielles et les intérêts personnels et familiaux d'Agnès Pannier-Runacher. Selon l'entourage proche de la ministre, la décision viendrait de la première concernée justement pour effacer les suspicions et prévenir tout conflit. La ministre actrice de la transition écologique a d'ailleurs ajouté "n'avoir jamais eu à prendre de décision concernant ce groupe étranger, ni même à en rencontrer ses représentants dans le cadre de ses fonctions au gouvernement" rapporte Le Monde.

La semaine dernière, une ombre a été jetée sur la famille d'Agnès Pannier-Runacher après les révélations sur les dons faits aux trois enfants de la ministre par leur grand-père qui n'est autre que l'ancien dirigeant du deuxième producteur français de pétrole, Perenco. Deux éléments font tiquer l'organe de lutte contre la corruption Anticor : le fait que les dons qui s'élèvent à plus d'un million d'euros sont issus de fonds basés dans des paradis fiscaux et qu'ils sont apparemment liés à l'ancienne activité de Jean-Michel Runacher dans la société pétrolière, alors que les missions écologiques de la ministre ne sont pas sans lien avec la filière du pétrole. Agnès Pannier-Runacher est aussi mise en cause par cette enquête journalistique parce qu'elle n'a jamais fait mention de ces dons, qui remontent à 2016, dans ces déclarations de patrimoine lors de ses prises de fonctions ministérielles en 2018 (Economie), en 2020 (Industrie) ou en 2022 (Transition énergétique). Les révélations ont attiré l'attention de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qui entend "procéder à des vérifications approfondies".

Qu'est-il reproché à la ministre Agnès Pannier-Runacher ?

Si la ministre de la Transition énergétique est pointée du doigt, c'est parce que les intérêts de sa famille pourraient entrer en conflit avec ses missions ministérielles. Disclose a fait savoir dans son article que les trois enfants mineurs de la numéro 2 de l'Ecologie au gouvernement sont actionnaires à 100% et depuis 2016 d'une société montée par le père de la ministre grâce à des fonds spéculatifs basés dans des paradis fiscaux : Arjunem. Lors du montage de la société - perçu comme un montage prétexte pour léguer aux enfants Pannier-Runacher des dons de plusieurs centaines de milliers d'euros chacun sans avoir à payer des droits de succession- les bénéficiaires n'avaient que 13, 10 et 5 ans et étaient légalement représentés par leur mère.

Autre point qui interroge, les plus d'1,2 million d'euros apportés aux fonds d'Arjunem viennent des finances de Jean-Michel Runacher, ancien administrateur et dirigeant de la société pétrolière Perenco jusqu'en 2020 et encore conseiller "de temps en temps" en plus d'être encore à la tête d'au moins deux sociétés financières de la multinationale. Or la fortune du père de la ministre "est si étroitement liée à celle du groupe pétrolier que les fonds investis dans l'entreprise familiale proviennent des mêmes placements que ceux de la compagnie pétrolière", note l'enquête de journal. D'ailleurs les fonds de la société Arjunem sont eux aussi placés dans une banque luxembourgeoise, CBQ Quilvest, où reposent aussi une partie des finances de la famille Perrodo, fondatrice de Perenco.

Agnès Pannier-Runacher a-t-elle dissimulé un conflit d'intérêts ?

Le patrimoine familial d'Agnès Pannier-Runacher est au centre des questions mais la ministre est aussi soupçonnée d'avoir dissimulé ce qui est compris par certains comme un conflit d'intérêt, à commencer par l'association Anticor, association qui a pour vocation de lutter contre toutes les formes de corruption politique. "Cela ne fait aucun doute que la ministre est dans une situation de conflit d'intérêts. Elle aurait dû déclarer la société préventivement dans la catégorie observations dès sa nomination en 2018", juge Béatrice Guillemont, directrice générale de l'organisation et docteure en droit de la probité auprès des journalistes de Disclose. Laurent Dublet, membre du bureau d'Anticor, a abondé sur France Info : "On s'aperçoit qu'on est face à une élite politique qui va cacher des liens d'intérêts financiers en totale contradiction avec les politiques publiques qu'elle affiche et les discours qu'elle affiche. Ce type de comportement apporte une atteinte absolument incroyable à notre système démocratique". "On se situe a minima dans un conflit d'intérêts, qui est, selon la loi de 2013, une situation d'interférence de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction. Ça pose problème face aux immenses enjeux climatiques", a quant à elle jugé Delphine Batho, députée écologiste des Deux-Sèvres.

Pourtant, la ministre de la Transition énergétique ne se sent aucunement en conflit d'intérêts puisqu'elle estime ne pas avoir "vocation, ni par ailleurs aucune obligation légale à être associée aux activités professionnelles" et financières de son père et ajoute avec fermeté ne jamais avoir eu à traiter de "dossiers en lien avec Perenco" pendant ses activités de ministre depuis 2018. Quid de ses déclarations de patrimoine qui n'ont jamais mentionné les fonds ou la société familiale Arjunem ? Là encore, la ministre ne voit aucune ambiguïté. La loi sur la loi sur la transparence oblige les membres de gouvernement à déclarer tous leurs revenus et ressources patrimoniales ainsi que ceux de leur conjoint mais aucune obligation ne concerne la déclaration du patrimoine des enfants. Et dans les faits les trois enfants d'Agnès Pannier-Runacher sont bien les seuls actionnaires de la société bien qu'ils n'aient encore aucun pouvoir de gestion.

Agnès Pannier-Runacher inquiétée par les vérifications de la HATPV ?

La défense de la ministre est déjà rodée et peut compter sur des avocats de poids notamment Me Christophe Ingrain qui gère les affaires du garde des Sceaux et Me François Kopf qui était l'avocat de Bernard Tapie, précise Franceinfo. Si elle se défend des accusations et soupçons portés contre elle, Agnès Pannier-Runacher a assuré se tenir à disposition de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. La HATPV a promis de mener des vérifications approfondies et a déjà en partie remis en question les arguments de la ministre sur l'absence de déclaration pour le patrimoine des enfants : "L'absence d'obligation déclarative ne dispense pas le responsable public de veiller à prévenir et faire cesser les situations de conflits d'intérêts qui naîtraient d'autres intérêts indirects détenus, tels que l'activité des enfants ou d'autres membres de la famille par exemple".

Contemporain