Roger Karoutchi : "Quand on n'est pas encore ministre, on essaie d'attirer l'attention"

Roger Karoutchi : "Quand on n'est pas encore ministre, on essaie d'attirer l'attention" INTERVIEW. Comment compose-t-on un gouvernement ? Comment devenir ministre ? Roger Karoutchi, ancien secrétaire d'Etat sous la présidence Sarkozy, a livré à Linternaute.com quelques clés de lecture.

C'est le grand chantier en cours d'Emmanuel Macron : composer le futur gouvernement qui mettra en œuvre sa politique pour les 5 prochaines années. Depuis sa réélection, le président de la République retarde l'échéance et n'entend pas dévoiler la liste de ses nouveaux ministres avant plusieurs jours. Coup de bluff alors que tous les ministères ont été attribués ? Difficultés à finaliser sa prochaine équipe gouvernementale ? Les hypothèses sur le temps d'attente imposé par le chef de l'Etat ne manquent pas. Mais dans les couloirs de l'Elysée, qu'en est-il réellement, alors que la liste des postulants s'allonge ? Comment Emmanuel Macron réfléchit-il à ce remaniement ? Sur quels critères le chef de l'Etat se base-t-il pour faire ses choix ? Comment les arbitrages sont-ils décidés ? Et de l'autre côté, comment réussir à obtenir un portefeuille ? Quelles sont les étapes à franchir avant d'être nommé ? 

Roger Karoutchi, ancien secrétaire d'Etat, chargé des Relations avec le Parlement de 2007 à 2009, livre quelques clés de compréhension. Le sénateur LR, conseiller politique de Valérie Pécresse durant sa campagne, explique ce qu'il se trame sous les ors de la République jusqu'à l'annonce officielle du nouveau gouvernement.

 
Linternaute.com - Comment compose-t-on un gouvernement ? Quels sont les aspects à prendre en compte ?

Roger Karoutchi - De manière générale, et constante depuis 20 ans, la première décision qui revient au président de la République, c'est de savoir quel niveau il compte donner à son gouvernement, s'il veut un gouvernement resserré. Tout le monde dit ça au début du mandat, puis il y a des ajustements à la hausse. Il faut compter qu'un gouvernement, c'est entre 28 et 40 personnes. De manière systématique, les chefs d'État essaient d'avoir un gouvernement paritaire. 60/40, c'est considéré comme un affront. 

"La logique veut que chaque région puisse se dire qu'elle a un représentant au gouvernement."

Les présidents de la République essaient de faire en sorte que les grandes régions soient représentées. Quand vous composez un gouvernement, si vous vous dites que, pour le Grand Est par exemple, il n'y a personne dans le gouvernement, c'est un problème. La logique veut que chaque région puisse se dire qu'elle a un représentant au gouvernement. Il faut avoir des représentants de toutes les régions, un représentant ultra-marin...

Selon la couleur politique, toutes les familles politiques alliées doivent avoir des représentants. Ça dépend des équilibres. Aujourd'hui, en Marche aura plus de représentants, qui en aura plus qu'Horizons, qui en aura plus qu'Agir. Il y aura le MoDem aussi. 

Puis, il y a des choix personnels de la part du président de la République. A l'intérieur des formations politiques, il peut y avoir des inimités et des amitiés. Peu de présidents de la République acceptent de travailler avec des ministres qu'ils n'aiment pas. Le pouvoir a été transféré vers l'Élysée depuis 15/20 ans, au-delà de Matignon. Les ministres sont très liés soit aux collaborateurs, soit au président de la République à l'Élysée. Il faut que le courant passe entre le président et les ministres.

Quel est le poids du Premier ministre dans le choix du gouvernement ? A-t-il réellement une marge de manœuvre ?

Cela dépend du Premier ministre. Ce n'est pas une vexation, mais quand Jean Castex a été nommé, je ne pense pas qu'on lui ait laissé la main parce que ce n'est pas un leader politique reconnu. Quand Nicolas Sarkozy a nommé François Fillon, c'est Nicolas Sarkozy qui a composé le gouvernement. Il y a eu des discussions, des ajustements entre Nicolas Sarkozy et François Fillon. Mais lorsqu'il y a eu des remaniements, ils étaient plus le fait de l'Élysée.

Proposer, c'est formel*. Tout se fait avant, à l'Élysée. Le président peut avoir consulté le Premier ministre. Mais c'est le président qui a la décision. Il n'y a pas de marge, du fait que le président nomme et révoque le Premier ministre. Le Premier ministre peut avoir des idées mais, au bout du bout, c'est le Président qui tranche.

"Beaucoup de choses se font en attirant l'attention du président. On ne dit pas au président de la République : je veux être ministre de tel secteur."

La presse parle de personnalités qui essaient de "se placer" pour un ministère. A quel moment les tractations commencent-elles ? Comment y parvenir ? Quelle attitude adopter ?

Le terme de tractations est excessif. Parce qu'on ne fait pas de tractations avec le président de la République. C'est lui qui a la décision. Bien en amont, cette fois-ci, Emmanuel Macron était donné réélu. Pratiquement au moment où tout le monde s'est dit qu'il se représentait, les gens essaient de se mettre en avant, soit en étant présents dans les médias, soit en mettant en exergue telle ou telle réussite dans leur ministère, mairie ou région. Beaucoup de choses se font en attirant l'attention du président, qui, vu la masse de ses dossiers, n'a pas le temps de tout regarder. 

Quand on n'est pas encore ministre, on attire l'attention. Mais ce n'est pas facile d'attirer l'attention : un maire va proposer un déplacement essentiel dans une grande ville, avec des inaugurations, des rencontres avec les acteurs économiques et sociaux ; on fait venir le président dans son département ; on est le vecteur de telle ou telle catégorie sociale ou professionnelle (représentant des agriculteurs, président de fédération…)... Le plus difficile, c'est probablement de se dire : "le président m'a identifié et se dit que je suis quelqu'un qui peut apporter quelque chose." A contrario, certains se voient ministres et le président peut se dire : "il ou elle ne m'apporte rien."

"On ne dit pas au président de la République : 'je veux être ministre de tel secteur.'"

En revanche, ce qui ne se fait pas, c'est de dire : "au fait, je suis le meilleur médecin, donc je veux être ministre de la Santé." On ne dit pas au président de la République : "je veux être ministre de tel secteur." On se met en avant, on essaie de se rendre indispensable. Les ministres qui espèrent rester ont été plus actifs durant la campagne présidentielle (porte-paroles, déplacements, réunions). D'autres, sachant que c'était terminé, sont restés en retrait. Pour rester au gouvernement, il faut être, sinon indispensable, du moins tellement actif, qu'on se dise : "c'est bon, il a des résultats dans son ministère, il fait des bonnes choses, mais aussi la campagne."

La décision revient au président de la République. Malgré tout, des négociations peuvent-elles être menées jusqu'à la fin ?

A l'époque, Nicolas Sarkozy en a peut-être menées avec Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Élysée. Là, ce sont Emmanuel Macron et Alexis Kohler (secrétaire général de l'Elysée - NDLR) qui se réunissent et imaginent, probablement avec des feuilles, une liste. Puis on raye plusieurs noms. Ça tourne pendant quelques jours. Sous l'autorité du président, ils essaient de voir quels pourraient être les équilibres partisans, régionaux, paritaire etc. Ça se fait à l'Élysée. Ça n'empêche peut-être pas Édouard Philippe, François Bayrou ou Richard Ferrand de faire passer des messages. Mais ce n'est pas sûr qu'ils soient entendus.

Le président a peut-être remarqué un tel une telle, il va vouloir probablement les faire entrer au gouvernement au-delà des demandes. C'est le président qui décide, il a une marge de manœuvre considérable. Mais il ne peut pas heurter de front les composantes de sa majorité.

Comment le président de la République choisit-il son Premier ministre ?

Le président fait en fonction de ce qu'il sent. Ça dépend de sa perception. Peut-être Macron se dit : "j'ai gagné, mais bon, je suis pas à l'abri de troubles sociaux, de grèves, de mouvement dans le pays, je veux répondre à l'idée de ne pas faire une politique que de droite, je veux avoir quelqu'un à Matignon qui aura l'image nécessaire pour discuter avec les syndicats, être en bons termes avec les organisations professionnelles." Cela dépend de son sentiment, s'il imagine des problèmes sociaux difficiles ou non.

Quelles sont les différentes étapes jusqu'à être nommé ministre ? 

"Il n'y a pas de tête-à-tête entre le président et tous ceux qui entrent au gouvernement."

Avant même d'être couché sur la liste, le ministrable a été probablement appelé, soit par le secrétaire général, soit, à la demande du président, par le Premier ministre, soit par le président directement. C'est notamment le cas pour d'importants ministères, comme l'Intérieur. Une fois qu'on est appelé, c'est bouclé. C'est que la décision a été prise par le président. Je ne connais pas beaucoup de gens qui ont été appelés et qui ont dit non. C'est très rare.

Une fois la liste définie, les appels se font entre le président, le secrétaire général de l'Élysée et le Premier ministre. La période la plus difficile, ce sont les 8/15 jours qui précèdent l'annonce du gouvernement parce que ce sont les moments où il y a des rumeurs. 

Y-a-t'il un entretien physique avec le président de la République avant d'être nommé ministre ?

Non, il n'y a pas de tête-à-tête entre le président et tous ceux qui entrent au gouvernement.

De ce fait, comment apprend-t-on que l'on devient ministre ? Par téléphone ?

Souvent. Ça ne veut pas dire que vous ne connaissez pas le Président, le Premier ministre ou le secrétaire général. C'est assez rare d'être nommé ministre sans connaître personne, surtout quand ce sont des responsables politiques, députés ou ministres. Après, on a aussi des nominations qui correspondent à des nominations d'experts ou techniciens. 

Est-ce qu'il est fréquent qu'une personnalité refuse un poste qui lui est proposé ? Est ce que cela peut être mal vu ?

Quelqu'un peut refuser. Quelqu'un qui serait maire d'une très grande ville ou quelqu'un, pour les experts ou techniciens, qui serait à la tête d'une grande entreprise ou d'un rectorat, et qui ne voudrait pas être ministre, peut refuser. Mais à ce niveau là, il ne le publie pas. La règle non-écrite, c'est qu'on peut faire des consultations et, si vous avez dit non, vous n'avez pas l'indécence de mettre celui qui vous l'a proposé en porte-à-faux.

Quel crédit accorder aux rumeurs ?

C'est difficile de les vérifier. Ce sont souvent les gens qui espèrent qui disent, dans les dîners en ville, que "j'ai été approché - on  ne sait jamais par qui - pour avoir tel ou tel poste" ou "j'ai le sentiment que ça peut le faire, ça m'intéresse." Il suffit qu'il dise ça à un journaliste pour que ça se diffuse. Ça ne vient jamais de l'Élysée. Il y a une règle non-écrite d'être extrêmement discret sur les contacts avec l'Élysée tant que ce n'est pas officiel. Ce ne sont pas les rumeurs qui influencent, c'est même l'inverse. La discrétion est de rigueur.

(*Officiellement, un gouvernement est nommé par le Président sur proposition du Premier ministre. Or, le Premier ministre est lui-même nommé par le Président, élu au suffrage universel direct. - NDLR)