RIP : rejeté, mais pas enterré sur la réforme des retraites
[Mis à jour le 15 avril à 15h21] La première saisine du Conseil constitutionnel pour une demande de référendum d'initiative partagée (RIP) portant sur la réforme des retraites et sur l'âge de départ a été rejetée par les Sages, vendredi 14 avril. Cette initiative avait été lancée pour qu'une proposition de loi, limitant l'âge de départ à la retraite à 62 ans, puisse être débattue à l'Assemblée nationale. Toutefois, le Conseil constitutionnel a estimé que cette proposition n'apporte pas "un changement de l'état du droit". La requête a en effet été enregistrée alors que la nouvelle réforme des retraites, qui prolonge l'âge de départ à 64 ans, n'avait pas encore été promulguée. Les membres ont ajouté : "Le Conseil constitutionnel en a déduit que, dès lors, elle ne porte donc pas, au sens de l'article 11 de la Constitution, sur une 'réforme' relative à la politique sociale."
La réforme des retraites ayant été promulguée durant la nuit du vendredi 14 au samedi 15 avril, une nouvelle demande de RIP peut être examinée. C'est pour cela que des députés et des sénateurs de gauche ont déposé une nouvelle demande, ayant conscience de l'erreur juridique du premier texte. Le Conseil constitutionnel rendra sa décision sur cette seconde proposition le 3 mai. Mais celle-ci a-t-elle des chances d'aboutir ?
Référendum d'initiative partagée : qu'est-ce que c'est ? Comment ça marche ?
Cette procédure législative a été créée en 2008 sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Elle est déterminée par l'article 11.3 de la Constitution. Pour déclencher un RIP, il faut compter sur le soutien d'au moins un cinquième du Parlement : soit 185 députés et sénateurs sur les 925 qui composent les deux chambres (577 députés et 348 sénateurs au total). Après le recueillement de ces signatures, un dixième des électeurs doit soutenir également le projet : soit un peu plus de 4,7 millions de personnes. La Constitution indique que le référendum ne peut porter que sur "l'organisation des pouvoirs publics, des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent". La réforme des retraites remplit cette condition.
Cette procédure se déroule durant au moins neuf mois. Le Conseil constitutionnel a déjà un mois pour valider ou non sa conformité. En cas d'acceptation, les citoyens ont neuf mois pour la signer grâce à une plateforme en ligne mise en place par le gouvernement. Toute personne inscrite sur les listes électorales a le droit de signer. Il reste possible de la signer physiquement dans certaines administrations.
Si le nombre de signatures requises est atteint, la proposition de loi atterrit au Parlement. L'examen du texte est possible dans un délai de six mois pour chaque chambre. En cas d'absence à l'agenda parlementaire dans ce délai, le président de la République est contraint d'organiser un référendum sur la proposition de loi.
La procédure du RIP peut-elle aboutir ?
Le deuxième RIP déposé par les parlementaires de gauche vise toujours à limiter l'âge de départ à la retraite à 62 ans. Cette démarche est celle de la dernière chance pour les opposants au projet du gouvernement, mais elle a peu de chances d'aboutir. Aucun précédent de RIP mené avec succès n'existe dans l'histoire française. Dans son processus, le texte doit réunir la signature d'environ 5 millions d'électeurs. Un total très difficile à atteindre puisque même réunie, l'intersyndicale et les partis politiques opposés à la réforme des retraites ne réunissent un tel nombre d'adhérents.
Les Sages statueront le 3 mai 2023 sur cette proposition de loi signée par 252 députés et sénateurs. Depuis sa création dans le cadre d'une révision constitutionnelle en 2008, le RIP n'a jamais abouti. La question de la privatisation des aéroports de Paris en 2019 a permis son utilisation, mais le texte n'a recueilli que 1,1 million de signatures, un total en dessous du minimum requis.
Que se passe-t-il en cas de validation d'un RIP ?
La situation serait très floue en cas de réforme des retraites promulguée et de projet de RIP validé au bout de son système complexe. Selon Bastien François, spécialiste de la Constitution, interrogé par Le Monde, "cela va être le bazar, car il y aurait deux lois contradictoires". La réforme des retraites souhaite reporter l'âge du départ à la retraite à 64 ans alors que les RIP de la gauche vise à limiter cet âge à 62 ans. "Il y a un petit bug, personne n'avait jamais réfléchi à cette hypothèse quand on a créé le RIP, donc je ne sais pas ce qu'il peut se passer, on verra" selon le professeur de sciences politiques.