Aïssa Maïga (Actrice) "J'ai été fan de la BD dès la première bulle"

L'actrice est la voix française d'Aya de Yopougon, l'adaptation au cinéma de la bande dessinée du même nom. Une jeune Ivoirienne qui vit dans le quartier chaud d'Abidjan et n'a pas la langue dans sa poche. Comme son interprète ! Rencontre.

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Aïssa Maïga dans la peau d'Aya de Yopougon © Marion Thuillier - Linternaute.com

Linternaute.com : Aviez-vous lu la BD avant d'avoir connaissance de ce projet et avez-vous été étonné qu'on vous propose le rôle d'Aya ?
Aïssa Maïga :
La BD, je la connais depuis le tome 1 et j'ai été fan dès la première bulle de la première case de la première page. Je suis tout de suite rentrée dedans. C'est une BD que je n'ai jamais cessé d'offrir autour de moi, de prêter. Je l'ai largement diffusée, bien avant de connaître Marguerite [Abouet] et Clément [Oubrerie] (la scénariste et l'illustrateur de la BD, ndlr), et donc, quand quelques années après ils me l'ont proposé, j'ai été étonnée. D'abord, il y a eu un malentendu. Lorsque Marguerite m'a dit : "Voilà j'adapte Aya au cinéma", j'ai cru qu'elle faisait un vrai film de fiction, donc je lui ai dit : "Ecoute, j'adorerais te dire oui, mais je ne peux pas. Il faut que tu trouves une actrice plus jeune, qui a entre 16 et 20 ans. Avec moi, ce serait ridicule." On a bien failli se rater. Finalement, j'ai compris que c'était pour de l'animation et, oui, j'ai été surprise. D'ailleurs, je lui ai posé la question : "Est-ce que tu ne préfères pas aller chercher des gens qui sont d'Abidjan, qui vont t'amener quelque chose d'authentique ?" Et non, ce qui lui importait ce n'était pas de faire un film hyper typique, c'était plus d'aller vers des acteurs qu'elle aimait et dont la personnalité globale correspondait vraiment aux personnages. Ensuite elle avait aussi l'idée d'élargir et de réunir dans un casting franco-africain au sens large des talents avec lesquels elle avait envie de travailler.

Vous êtes d'origine sénégalaise et malienne. Avez-vous éprouvé des difficultés avec l'argot d'Abidjan parlé par votre personnage ?
Non, je n'ai pas eu de difficultés, parce qu'il y a une série, que je regardais enfant et que j'aimais beaucoup, qui s'appelait Les Guignols d'Abidjan. Il y a aussi des expressions qui circulent. C'est normal au sein de la francophonie ! Les gens se rencontrent et ça se mélange. Il y a également des choses qui existent à la fois en Côte d'Ivoire et dans d'autres pays ouest-africains. Donc j'étais plutôt à l'aise et je me suis vraiment reposée sur Marguerite, sur sa façon de diriger et de retranscrire la musique qu'elle avait de chaque personnage dans sa tête.

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L'affiche © UGC Distribution

C'est la première fois que vous prêtez votre voix à un personnage animé. Qu'est-ce que ça change dans la préparation, puis dans votre jeu d'actrice ?
Ça ne change pas grand-chose parce qu'on est dans le même mode de préparation du personnage. On a un scénario et on bosse nos scènes. On a l'impression de ne donner que de la voix, mais en fait la voix et le corps sont indissociables, et il y a une véritable interprétation quand on est en studio. On imite notre personnage à l'écran, ça nous échappe complètement.

Aya a 19 ans, vous 38 ans. Vous êtes-vous inspirée de vos souvenirs d'adolescente pour l'interpréter ?
Pour certains, comme la complicité avec les copines, le rapport à la famille, la façon de s'adresser aux parents, aux garçons qui vous draguent maladroitement. Forcément, je m'en suis inspirée un petit peu, mais après je trouve que la BD se suffit à elle-même. Le fait d'avoir lu 6 tomes, ça permet aussi de creuser son personnage.

Aya veut devenir médecin contre la volonté de son père qui ne pense qu'à la marier. Diriez-vous que c'est un personnage féministe ? C'est un élément important pour vous ?
Oui, c'est une figure féminine très positive car elle en parle tout naturellement. Ça lui paraît évident parce que ça fait partie des outils qu'on lui donne. Elle va à l'école, elle est respectée dans sa famille. Pour Aya, il est inenvisageable de ne pas faire quelque chose de tout ça. Oui, c'est une figure féministe, mais je dirais toute naturelle, sans posture militante. Et ça fait partie de l'identité de la BD. C'est une BD très moderne, on n'est pas dans des considérations rétrogrades. Dans les tomes suivants par exemple, ils ont même abordé la question de l'homosexualité.

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Aya et ses deux meilleures amies, Adjoua et Bintou © UGC Distribution

Pensez-vous que ce projet puisse mettre fin à certains clichés sur le continent africain ?
Un film ne peut pas combattre des siècles, et même des années de construction de l'imaginaire qui vont dans le sens des clichés. Ça peut juste participer à porter un autre point de vue, un autre éclairage. Après je pense qu'il y a des gens qui n'iront pas voir le film pour ça, qui en tireront autre chose, mais je ne sais pas si le film a tant de vertus pédagogiques que ça.

On éprouve un vrai dépaysement en regardant le film. L'avez-vous ressenti également ?
Oui, c'est un dépaysement et, pour moi, c'est aussi lié à quelques souvenirs. J'ai cru reconnaître, même si c'est Abidjan, des morceaux de capitales auxquels je suis attachée, que ce soit Ouagadougou au Burkina Faso, Bamako au Mali ou Dakar au Sénégal. Il y a quand même des architectures communes, une idée de la circulation des véhicules, la présence de l'autre aussi dans la ville... J'ai ressenti du plaisir à retrouver tout ça.

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Magnifique Aïssa Maïga © Marion Thuillier - Linternaute.com

Les hommes sont en revanche présentés de façon assez négative. Est-ce que vous n'avez pas peur de donner une mauvaise image d'eux ?
Les filles en prennent aussi pour leur grade, notamment les deux copines d'Aya. En même temps, les hommes sont tous de pères ! Ce que je veux dire, c'est qu'on n'est pas dans une présentation un peu binaire avec les femmes qui sont des figures positives et les hommes qui se font massacrés. Ça m'aurait déplu. Les pères de famille assument leurs responsabilités de père de famille... En revanche, leurs responsabilités d'époux pas toujours. On est vraiment dans le cadre d'une comédie de mœurs. On n'est pas en train de dire : "Voilà comment est l'Africain, comment est l'Africaine." On accompagne des personnages à travers ce qu'ils sont, leur personnalité, les obstacles qu'ils rencontrent, la façon dont ils vont les résoudre ou pas. C'est ce côté comédie de mœurs qui m'a beaucoup plu. Du coup, on est avec des personnages qui sont attachants, mais qu'on traite sans complaisance et qui restent attachants. Et qu'on continue à respecter, aussi bien les figures féminines que masculines. Entre Monsieur Sissoko, propriétaire de la société de bière locale qui représente vraiment la toute-puissance, et le père d'Aya qui fait très sérieusement son travail, mais qui a envie de se trouver un deuxième bureau, et d'ailleurs qui le fait à travers sa maîtresse, il y a quand même l'idée d'hommes africains qui sont présents et qui sont là pour les leurs. Dès qu'on se pose un peu, on se rencontre que derrière ce vernis de respectabilité, il y a autre chose, mais ça c'est universel.

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EN VIDEO : la bande-annonce

"Aya de Yopougon"