Dossier : Manga, pourquoi et comment inviter un mangaka ? (3/3)

Dossier : Manga, pourquoi et comment inviter un mangaka ? (3/3) Aujourd'hui les mangakas sont de véritables stars dont la venue peut déchaîner les foules. S'il est indéniable que tout éditeur souhaite faire venir des mangakas en France, comment choisir qui inviter ? Comment organiser la venue d'un auteur ou d'un duo créatifs ? Quelles contraintes ? Et pourquoi ? Linternaute.com répond à vos questions.

Enfin, après des mois de tractation le saint graal est arrivé : l'auteur a accepté l'invitation à venir en France. Yatta s'exclament certains, mais ceux qui savent que le plus dur du travail reste à venir esquissent juste un sourire...

Dans cette troisième - et dernière - partie de ce dossier, interviennent Satoko Inaba directrice éditoriale des éditions Glénat Manga, Perrine Baschieri directrice marketing des éditions Glénat Manga, Clarisse Langlet responsable événementiel aux éditions Pika, Stéphane Duval directeur des éditions du Lézard Noir, Bruno Pham directeur éditorial des éditions Akata, Ahmed Agne directeur des éditions Ki-oon et Stéphanie Nunez directrice de la communication aux éditions Kana.

Annoncer la venue de l'auteur

La venue d'un auteur étant avant tout une occasion de communiquer sur une série, de booster sa notoriété, il convient donc d'en préparer subtilement l'annonce. Après des mois de négociations, la venue d'un auteur est un soulagement. Mais le travail ne fait que commencer. "On est tout d'abord euphorique, mais très vite la panique arrive, car la charge de travail associée à sa venue devient tout à coup concrète", analyse Satoko Inaba.

© Glénat

Le moindre visuel, wording d'annonce doit être validé par les ayants droit. Quand l'invitation est associée à un festival ou un salon, il faut de surcroît s'aligner avec l'agenda de ce dernier. Chaque phrase est travaillée une bonne dizaine de fois avant de trouver l'accroche la plus percutante. Même l'heure de l'annonce n'est pas laissée au hasard.

Le casse-tête des dédicaces

Si le mangaka accepte de réaliser des dédicaces se pose en premier lieu la question de la quantité et du type de dédicace. Si dans l'Hexagone les lectrices et lecteurs sont habitués aux dédicaces dessinées, au Japon la norme est la signature. Il faut expliquer cette différence culturelle aux éditeurs et mangaka japonais. "On essaye de demander une illustration inédite que l'on imprime sur ex-libris. Si cela est possible avec le planning du mangaka bien évidemment", explique Bruno Pham.

Le nombre et la durée des créneaux de dédicace ayant été négociés en amont lors de l'établissement du planning, il reste à convertir ces derniers en nombre de dédicaces. L'éditeur demande au représentant de l'ayant droit, le type de dédicace souhaité : signature, dessin ou mix des deux. Et ensuite, le temps moyen pour chaque acte, estimé par le mangaka. Un mangaka réalise dans un temps imparti plus de signatures que de dessins.

Certains mangakas arrivent avec leur tampon traditionnel, qui donne un cachet supplémentaire à la signature. "Natsumi Aida avait elle-même taillé un tampon avec un véritable dessin. Un travail d'orfèvre", se remémore Bruno Pham.

Les séances de dédicaces durent en général de 1h à 1h30 pour ne pas exténuer l'auteur. Le nombre de dédicaces est de facto limité. Chaque interaction entre le mangaka et ses fans est chronométrée, en moyenne de 3 à 5 minutes, afin d'assurer un maximum de rencontres.

Une fois qu'un choix sur le format des dédicaces a été arrêté, il reste à choisir le lieu. Dans le cadre d'une invitation conjointe à un festival, celles-ci s'y déroulent parfois dans un espace tenu secret, comme pour Hajime Isayama. Si l'invitation est hors festival, la question du lieu s'avère cruciale : "Dès que nous avons communiqué sur la venue d'un mangaka, nous recevons des sollicitations de librairies, soit en direct, soit via notre distributeur ou nos représentants auprès des libraires. On aura tendance à privilégier les librairies avec qui l'on travaille le plus", explique Clarisse Langlet.

Pour Bruno Pham, "la dédicace c'est avant tout un moment d'échange entre les autrices et leurs lecteurs. Comme c'est impressionnant de voir un auteur, j'ai quelques questions qui permettent de mettre le lecteur à l'aise et de briser la glace. Par exemple, je demande souvent quel est le personnage préféré ou bien une scène qui vous a marqué. "

Ahmed Agne rappelle que "lorsque nous construisons un habitacle pour préserver l'anonymat de l'auteur pendant une dédicace cela peut ajouter de nouvelles contraintes. Par exemple pour la venue de Jun Mochizuki, l'autrice de Pandora Hearts, nous avons construit une pièce avec des rideaux, pour être dans le thème du manga. Mais ce type d'espace clôt à tendance à augmenter la température, il faut rester prudent."

Enfin, Clarisse Langlet nous apprend que pour les auteurs invités par les éditions Pika ou Nobi Nobi, l'éditeur fait venir un stock de stylos et marqueurs du Japon. "Tout le monde dans le staff à des stylos en stock au cas où. Notre plus grande hantise lors d'une séance de dédicace est la panne de marqueur ou un choix d'ustensile qui perturberait l'auteur".

Est-il possible que les derniers-nés de chez Copic, la gamme Acréa s'impose ? Aujourd'hui la gamme qui a le plus la cote pour les séances de dédicace est celle des stylos marqueur McKee (マッキー).

Il n'existe pas de solution miracle pour satisfaire tous les fans. Si l'on prend les chiffres pour la venue d'Hajime Isayama ou de Kamone Shirahama, plusieurs milliers de personnes ont tenté leur chance.  Pour Moto Hagio ou Junji Ito, certaines personnes ont commencé à faire la queue à 2 heures du matin.

Certains éditeurs proposent un tirage au sort en amont précédé d'un quiz, dans le but de sélectionner les fans éviter les petits malins qui collectionnent les dédicaces pour les revendre !

Perrine Baschieri précise que l'on ne gère pas une queue de la même manière selon qu'il s'agit d'un public adulte ou d'enfants. Lucide, elle ajoute "Il faut toujours annoncer en amont, sur les réseaux sociaux, que le message soit bien clair. Sinon on risque de provoquer de la déception. On a essuyé des plâtres, alors on a bien compris".

Certains éditeurs proposent, en accord avec les ayants droit, un golden ticket caché au sein d'un volume. Comme lors de la venue des mangakas Masashi Kishimoto et Mikio Ikemoto. La méthode du premier arrivé, premier servi reste la plus populaire côté éditeur tout simplement car c'est la plus simple à mettre en place. Même si tout le monde ne peut se permettre de camper toute une nuit devant une librairie…

Les conférences, masterclasse, expositions, goodies…

Le champ des activités possibles semble sans illimité : exposition, conférence, live drawing, etc. Les éditeurs s'adaptent à la cible du manga, et aux attentes envers ce dernier afin de proposer les actions les plus adéquates. Il faut aussi tenir compte de la personnalité du mangaka et de ses envies. Une autrice qui ne souhaite pas que l'on enregistre sa voix ne participe pas aux mêmes évènements qu'un mangaka qui l'accepte.

Paradoxalement, un live drawing est plus adapté pour un auteur timide, pas forcément besoin de parler pendant que l'on dessine. À l'inverse, une battle de dessin est une activité proposée aux mangakas les plus extravertis, à l'instar d'Hiro Mashima qui s'est prêté au jeu avec plaisir avec Renaud Lemaire. Ces derniers ont même eu l'occasion en novembre 2024 de participer à un évènement ensemble à Tokyo.

© Francois Pene, Francois Edison - All rights reserved

"Si le mangaka est à l'aise avec le public, on propose des rendez-vous plus interactifs. Par exemple, pour les séries jeunesses comme Les trois mousquetaires, nous avons organisé des interventions dans des écoles. Les auteurs ont pu échanger avec des enfants qui ont lu l'œuvre de Dumas. Ils ont posé pleins de questions, il y a eu un vrai dialogue, c'était formidable", se souvient Clarisse Langlet.

Ahmed Agne abonde dans ce sens "Il ne faut pas que cette venue soit une épreuve pour l'auteur. Il est crucial de cibler le profil de l'auteur, savoir ce qu'il a envie de faire, ce qu'il se sent de faire, ce qu'il est capable de faire. Dans le cadre de l'invitation de Shinichi Sakamoto, on savait grâce à ses interviews en France et ses conférences au Japon qu'il était à l'aise à l'oral. C'est pour cela que j'ai proposé une master classe dès le départ. Mais même avec sa grande expérience, il était un peu stressé en montant sur la scène du théâtre d'Angoulême".

Moto Hagio lors de sa conférence aux côté de Xavier Guibert et Léopold Dahan © Valentin Paquot

Dans le cadre d'une conférence, pas de surprise, tout est réglé comme du papier à musique. Satoko Inaba nous explique "tout le contenu d'une conférence doit être construit en amont. Les questions évidemment, mais même les visuels utilisés pour annoncer et promouvoir la conférence. On prévient aussi en amont de la date de communication, car, d'un seul coup, un auteur risque de voir débarquer un grand nombre de mentions en Français sur Twitter, afin qu'il ne soit pas surpris". 

Il arrive que l'auteur lui-même propose des évènements. Par exemple, "Takahiro Oba, l'auteur de Sky High Survival, a réalisé pour sa venue au festival Made in Asia, une vidéo passionnante pour résumer une journée de mangaka", raconte Stéphanie Nunez.

Enfin, détail à ne pas oublier, si l'auteur obtient un prix, il faut le prévenir pour qu'il ne soit pas surpris par le côté protocolaire d'une telle distinction. Les goodies ont une particularité supplémentaire c'est qu'ils font en général le cas d'un avenant au contrat. "Quand c'est possible on demande si l'auteur peut réaliser un dessin pour l'occasion. S'il réalise un dessin comme support de dédicace, c'est considéré comme de la promotion de base, c'est donc gratuit. Mais s'il réalise un dessin qui sera utilisé pour une affiche, poster, ou marque-page alors c'est payant. En général pour un coût entre 300 à 1 000 €", révèle Perrine Baschieri.

Les interviews, le dernier défi

La venue de mangaka est un moment fort dans la vie d'un responsable presse, c'est le moment où la tendance s'inverse enfin.

D'habitude la personne chargée des relations presse court après les journalistes, qu'ils soient spécialisés, grand public afin que ces derniers parlent de tel ou tel manga. Dès lors que l'invitation d'un mangaka le téléphone sonne enfin.

"En tant que petite maison d'édition on est trop souvent snobé par la presse, raconte Bruno Pham, on se bat tous les jours pour avoir de la visibilité dans la presse. La venue d'un mangaka aide, mais il serait préférable que les acteurs de la presse jouent le jeu toute l'année et pas seulement lors d'événements".

Abondance de bien peut nuire, ainsi lors de certains évènements comme Japan Expo, le nombre conséquent d'invités peut contraindre les médias à faire des choix.

Le nombre et le type de créneau d'interview sont négociés en amont de la venue de l'auteur, au moment de la validation du planning. Les éditeurs français tentent d'avoir le maximum de créneaux possibles, sans fatiguer l'auteur bien évidemment. Le choix des heureux élus n'est jamais le fait de l'éditeur français, nous explique Clarisse Langlet. "Nous proposons la liste des demandes, avec des indications sur la dimension du média, son importance en France. Mais ce sont les éditeurs japonais qui décident s'ils veulent plus de presse spécialisée, généraliste. Écrite, numérique, radio ou télévision".

@lagrandelibrairieftv Hajime Isayama, créateur de lAttaque des Titans, nous confie les secrets dune bonne histoire #lagrandelibrairie #hajimeisayama #attaquedestitans #booktok son original - La Grande Librairie

Pour pallier le manque de créneaux d'interview vis-à-vis de la demande croissante des médias, les éditeurs proposent des sortes de tables-rondes. Les questions doivent être envoyées avant l'entretien sans certitude qu'elles soient posées. Un format qui fait de plus en plus grincer les dents de la profession... Pourtant, selon Clarisse Langlet, "Il est rare que des questions soient refusées, mais cela peut arriver et dans ce cas on risque de voir le média rétracter sa demande. En règle générale, cette demande d'avoir les questions en amont est plus pour rassurer l'auteur. Une interview peut être assez stressante pour un mangaka qui n'a pas forcément l'habitude d'être sollicité, même au Japon."

Des souvenirs inoubliables

Les éditeurs accompagnant les auteurs presque 24h sur 24 pendant une semaine à dix jours, tissent nombreux liens entre eux et constatent qu'il en est de même pour les mangakas et leurs équipes. Par exemple, avant leur venue en France, Takeshi Obata et Akinari Asakura s'étaient rencontrés une seule fois, alors qu'ils travaillent ensemble sur le même manga. Il n'est pas rare que les scénaristes et les dessinateurs discutent peu entre eux, l'éditeur faisant en général l'intermédiaire. Ces rencontres sont des moments humains forts.

"Natsumi Aida, l'autrice de Switch Girl, aime manger des produits aux saveurs très riches, disons le clairement, qui puent, comme le poisson fermenté. Nous l'avons donc emmené dans un restaurant spécialisé dans les tripes, les abats. C'était très original. Pour son arrivée je lui avais acheté un maroilles, mais le personnel de l'hôtel a refusé qu'elle le garde dans sa chambre", se remémore en souriant Bruno Pham.

Quand il a lu le dernier chapitre du manga Perfect World de Rie Aruga en prépublication, Bruno Pham n'a pas pu empêcher une larme de couler :  je ne m'y attendais pas du tout. Voir les personnages de ce manga en France. Il y avait énormément de clins d'œil à nos échanges avec l'autrice, lors de sa venue en France. Ce n'était pas prévu mais on a remué ciel et terre pour faire une édition collector de ce tome 12, avec des témoignages de lectrices et lecteurs marqués par leur rencontre".

Suite à son passage à la YCon, Tamekou a aussi croqué une librairie française dans son manga, mon petit ami genderless.

"Atsushi Ohkubo, en 2018, avait demandé d'assister à un match de football pendant la Coupe du monde. Il avait même acheté et porté un de ces chapeaux en mousse au stade. Il a même pu tirer au but. Il était tellement communicatif dans sa joie que j'en garde encore un souvenir chaleureux", confie Stéphanie Nunez.

La directrice de la communication aux éditions Kana enchaîne en riant, "Inio Asano avait souhaité voir comment vivait un vrai Parisien. Je lui ai proposé de visiter ma collocation, on a fini par prendre le thé chez moi. Imaginez la scène, Inio Asano, son éditrice, l'interprète et moi en train de prendre le thé dans mon petit salon parisien. Dire que dans mon entrée avec mes collocs nous avions mis une PLV de Justin Timberlake "…

Stéphanie Nunez dans le manga d'Inio Asano : Dead Dead Demon's Dededede Destruction © Photo Stéphanie Nunez

Pas avare en anecdotes, Ahmed Agne, nous régale avec de précieux souvenirs. Le premier, "lors de la venue de Kaori Mori, l'autrice de Bride Stories, dans la première version du planning nous avions prévu 1h30 de dédicaces avec un objectif d'une trentaine de dessins. En général, les éditeurs nous demandent de diminuer la durée de la session. Pour la première fois un éditeur nous a demandé d'augmenter les créneaux de dédicaces. L'éditeur nous a demandé d'ajouter des créneaux, suggérant qu'elle allait faire trois fois plus de dessins que ce que nous avions estimé. La mangaka a même suggéré que les créneaux de signatures soient portés à trois heures".

Plus riche en couleur, le second souvenir fait penser à la fameuse loi de Murphy. "Lors de la venue d'un mangaka, toutes les craintes et les attentions sont focalisées sur ce dernier. Va-t-il être ouvert ? Va-t-il avoir du bon temps ? Comment le mettre à l'aise…  Mais cette fois, nous avons eu une aventure plus que pittoresque. Ce qui nous a surpris, ce n'est pas le mangaka mais son tanto. C'était un jeune un peu trop enthousiaste à l'idée d'être en France. Le second soir, il a vidé le minibar de sa chambre d'hôtel. Et ivre, il est sorti dans les rues de Paris, il s'est battu avec des touristes américains, et avec le chauffeur de taxi qui l'a ramené à l'hôtel. À la fin, il est tombé dans les escaliers de l'hôtel. Bilan ? Un passage aux urgences et le pied cassé. Je me souviens encore de l'auteur qui le regardait comme un père qui regarde son adolescent et qui souffle fort… Un moment inoubliable".

L'autrice Junko Kawakami, du manga "It's your world" a elle aussi dessiné Stephanie Nunez © Photo de Stéphanie Nunez

Pour finir, une histoire digne d'un manga. "Une fois, un mangaka que l'on avait invité était resté en France à l'issue de l'invitation, pour y passer un peu de temps personnel. Alors qu'il travaillait sur les planches de son manga, il a oublié sa pochette dans le train. Un chapitre entier. Pour un magazine mensuel, on parle de l'ordre de 50 à 60 pages. Le séjour qui s'était parfaitement passé jusqu'à présent à tout à coup viré au cauchemar absolu. Tout le monde était en panique, à commencer par son tanto qui craignait de se faire renvoyer. Nous avons refait son voyage, étape par étape, et par chance, les objets trouvés nous appellent pour nous dire qu'une personne leur avait déposé la pochette en disant qu'un étudiant en art plastique avait dû oublier ses gribouillages dans le train. Je n'ai jamais autant béni une personne que ce jour-là. Aujourd'hui je peux raconter cette histoire en riant, mais sur le coup j'étais stressé à un point incommensurable. Au-delà de la perte du chapitre, cela aurait pu compromettre toutes les futures invitations que Ki-oon aurait pu faire".

Stéphanie Nunez se remémore aussi un souvenir qui la fait rire aujourd'hui mais qui l'a paniquée sur coup : "nous avons eu des auteurs qui voulaient absolument aller jouer dans un Casino. Le problème c'est que le seul quartier où il y en a est dans un coin un peu glauque de la ville. Ils souhaitaient marcher jusqu'à l'hôtel sur le retour, mais nous étions tellement inquiets que nous leur avons imposé un taxi".

Stéphanie Nunez dans un Omake du manga Sky High Survival © Photo Stephanie Nunez

Pour Clarisse Langlet, "les rencontres avec des mangakas sont des moments incroyablement riches en émotions. C'est la concrétisation de mois de travail et de sacrifice, mais ce que je retiens, c'est la joie communicative des fans quand ils rencontrent leurs auteurs préférés. Je peux vous dire qu'il y a eu des torrents de larmes lors de la venue d'Hiro Mashima en 2018. Je me remémore, avoir mangé une fondue avec le mangaka, c'était un moment hors du temps. C'était la première fois que je gérais la venue d'un auteur. Quand Monsieur Mashima est parti, au moment des adieux, submergé par l'émotion, je me suis mise à pleurer, et tout le monde m'a imitée. Dans Eden Zero, maître Mashima a glissé un personnage qui pleure tout le temps et il m'a dit que c'était moi".

Stéphanie Nunez, se souvient d'un auteur épuisé "qui s'était endormi à table en mangeant sa soupe. Nous n'éprouvions alors qu'une envie, le reconduire à son hôtel, mais son éditeur avait encore faim et s'est resservi plusieurs fois !"

Les mangakas aussi sont marqués par ces rencontres et repartent avec des souvenirs chaleureux. Yukito Kishiro a publié plusieurs vidéos de sa visite à Angoulême sur sa chaîne YouTube : 

De nombreux partenaires du milieu du manga francophone se retrouvent dessinés dans des mangas. Clarisse Langlet de chez Pika, mais aussi Mehdi Benrabah le directeur éditorial de Pika, Thibaud Desbief le traducteur émérite, mais aussi Charlotte Perennès de chez Glénat. La palme des clins d'œil revient à Stéphanie Nunez de chez Kana, qui se retrouve dans plus de mangas que nous avons de doigts sur la main (sauf si vous dessinez une main via chat-gpt peut-être).

Hisashi Eguchi, se recueillant, devant la tombe de Moebius au Cimetière du Montparnasse © Lézard Noir

Stéphane Duval, ému, nous partage deux souvenirs marquants. Shinzo Keigo l'a accompagné chercher son fils à l'école avant une séance de dédicace. Hisashi Eguchi, lors de sa visite en février 2020, n'a eu qu'une demande personnelle. Il souhaitait visiter la tombe de Moebius au Cimetière du Montparnasse. Rebondissant sur la gare, un mauvais souvenir revient à la mémoire de l'éditeur "une année, une grève des trains a eu lieu. Rejoindre Angoulême à partir de Charles De Gaulle a été un véritable enfer".

@legrandrex Masashi Kishimoto et Mikio Ikemoto étaient au Grand Rec pour la Konoha Experience ! #konohaexperience #naruto #boruto #masashikishimoto #mikioikemoto #narutoshippuden #manga #anime #legrandrex son original - Le Grand Rex

En conclusion, la venue d'un mangaka en France est un véritable parcours du combattant. Même si avec les années d'expérience une certaine confiance à fini par s'établir entre les représentants des ayants droit et les éditeurs de l'Hexagone, le taux d'acceptation d'une invitation reste extrêmement bas. L'industrie, très éprouvante de la création de manga, en particulier pour les séries au rythme de publication hebdomadaire ou bi-mensuelle ferme énormément de portes. Avec l'explosion des réseaux sociaux et du cyber-harcèlement, voire du doxxing, de nombreux mangakas sont réfractaires à se montrer en public.

Envoyer une invitation est un véritable investissement humain et financier de la part des éditeurs, et pourtant chaque invitation va irrémédiablement générer des frustrations : pas assez de créneaux d'interview, de dédicaces, une communication parfois trop tardive… Inviter une autrice ou un auteur est "un travail de logistique énorme en plus de leur charge habituelle, qui génère énormément de stress et de fatigue, note Bruna Pham. Et parfois certaines contraintes ne peuvent être publiquement expliquées mais pensez aux humains qui travaillent avec acharnement pour la venue de mangakas avant d'exprimer vos frustrations".

Méfiez-vous aussi des traducteurs automatiques, si vous interpellez un mangaka sur Twitter ou autre réseau social, l'expression d'une frustration pourrait être ressentie comme une réprimande et gâcher le voyage de l'auteur. Alors, profitons de ce dossier pour remercier les équipes qui œuvrent sans relâche à faire venir les auteurs qui bercent nos imaginaires. Et bien sûr remercier les auteurs, en rappelant que la venue d'un auteur n'est pas une période de congés pour eux, bien au contraire.

Retrouvez la première partie de ce dossier en cliquant ici et la seconde en cliquant là.