Stéphane Bern : "le patrimoine est l'une des rares choses qui nous réconcilie"
Avant le grand verdict du "Monument préféré des Français" mercredi 17 septembre sur France 3 (à partir de 21h10), Stéphane Bern, l'iconique présentateur de l'émission, nous a partagé avec passion ses coups de cœur et anecdotes de tournage. A travers des révélations inattendues, l'ambassadeur du patrimoine français nous livre ses espoirs pour des sites méconnus et son attachement indéfectible pour des lieux chargés d'histoire.
Linternaute.com : Vous incarnez ce rendez-vous télévisuel depuis l’été 2014. Comment l'aventure a-t-elle commencé ? Est-ce un projet qui vous a été proposé ou est-ce une idée qui est née de votre passion pour l'histoire ?
Stéphane Bern : C’est le prolongement de ce qu’on avait fait pour “Le Village Préféré des Français”, dans l’idée d’être au cœur des régions et de défendre le patrimoine. Cela s’incarne dans des monuments. L’idée que j’ai apporté simplement est de faire un peu comme le concours des Miss France. C’est à dire qu’il y a une sélection régionale d’abord, et ensuite que chaque région envoie un monument qu’il estime être phare de sa région, au concours pour le titre de “Monument préféré des Français”. Ce qui veut dire qu’il y a 14 monuments en lice, et que ces 14 essayent de montrer la diversité et la richesse du patrimoine national sous toutes ses formes. Il y a toute sorte de typologie : il y a des ponts, des aqueducs, des forts militaires, des châteaux, des églises et c’est ça la diversité du patrimoine !
"Mon objectif est de montrer la variété, la diversité et la richesse du patrimoine"
Ça peut être la place du capitole à Toulouse aujourd’hui, comme il y a deux ans il y a eu la place Stanislas à Nancy, ça peut être le Pen Duick cette année, le bateau mythique d’Eric Tabarly, comme ça a été le circuit mythique des 24h du Mans l’année dernière. C'est le patrimoine au sens large ! Ce n'est pas le plus beau monument qui est élu, c’est le monument préféré des Français, celui qui reçoit le plus de voix. C’est simplement une mécanique de jeux pour la télévision qui fait qu’il y a une sorte de suspense. Maintenant pour moi, les 14 méritent de gagner : il n’y en a pas un plus beau que l’autre, un plus intéressant que l’autre ! Et quand bien même, mon objectif est surtout de montrer la variété, la diversité et la richesse du patrimoine. Il y a évidemment la prime qui revient au monument préféré qui aura sa plaque qui est accrochée sur le monument, sur la place ou peu importe. Les téléspectateurs ont ensuite toujours plaisir à les photographier.
Y a-t-il des critères précis pour qu’un monument soit éligible au vote des Français ?
C’est un peu arbitraire. Je commence à connaître assez bien les monuments, avec la production aussi, on essaye de varier les plaisirs avec les grands monuments (il y a eu le Canal du Midi qui est un monument historique, Fontainebleau l’année dernière, Chenonceau cette année). Vous avez des mastodontes comme ça mais ça n'est pas toujours eux qui gagnent. Je dirais même que ce sont rarement eux qui gagnent parce qu’ils sont très visités, très connus…
Qui décide de ces choix ?
On est plusieurs : il y a la production, la rédactrice en chef et puis la chaîne valide nos choix et au passage, j’ai donné mon avis.
Vous donnez toujours votre avis ?
Evidemment, c’est une émission où je suis directement impliqué. Je ne suis pas seulement animateur/présentateur, là je suis carrément l’incarnant du projet, donc je donne mon avis.
Y a-t-il un monument ou un moment de tournage qui vous a particulièrement marqué personnellement ?
Oui, ce qui me marque à chaque fois, c’est qu’il y a toujours un 15e monument qui est le “monument secret”. Ce 15e monument c’est celui dans lequel je tourne le plateau. Vous comprenez que je peux pas tourner dans le monument qui a gagné puisque ça révélerait sinon immédiatement le monument qui a gagné ! Donc, je tourne dans un autre monument et chaque année, on essaye de varier les plaisirs. L’année dernière, on avait tourné au château de Rambouillet que les gens ne connaissent pas forcément, et où on avait restauré les appartements présidentiels (parce que le président de la République y logeait évidemment).
Une année, on a tourné pour l’ouverture de l’hôtel de la Marine place de la Concorde en avant-première, et cette année, le 15e monument qui m’a beaucoup plu, c’est un endroit que j’aime beaucoup et que les gens ne connaissent pas ! Pendant le tournage on a eu seulement 5 visiteurs qui nous ont dérangés ! En plein Paris, place du Trocadéro, dans le Palais de Chaillot, il y a ce qu’on appelle la Cité de l’architecture et du patrimoine : ce musée voulu par Viollet-Le-Duc avec toutes les maquettes et tous les moulages des grands monuments français est totalement méconnu. C’est pourtant un voyage car, sans bouger de Paris, je peux y voyager dans toute la France ! Tous mes plateaux de cette nouvelle édition ont été tournés là : ça fait découvrir aux Français ce lieu qui est magique, qui est un musée ancien voulu au 19e siècle par Viollet-Le-Duc, installé après 1937 dans les bâtiments du Palais de Chaillot, que les gens ne connaissent pas. Et pourtant il y en a des trésors à découvrir !
"J'étais persuadé qu'un monument gagnerait et il n'est pas arrivé premier"
Le vote des Français révèle-t-il une tendance régionale : les habitants ont-ils tendance à voter pour le monument de leur propre région ?
Bien sûr, c’est comme pour Le Village préféré des Français, il y a une forte identité régionale ! Mais il y a plusieurs phénomènes. Les gens votent d'abord rarement pour le monument francilien. Qui se réclame francilien en même temps ? J’ai donc été assez surpris : les monuments franciliens sont souvent en queue de peloton, un peu comme les monuments corses pour une autre raison. Tout le monde sait que la Corse c’est ce qu’il y a de plus beau, mais les Corses ne veulent pas trop que ça se sache ! Et il y a des régions qui sont plus fortes que d’autres, qui se mobilisent.
Au fond, le vote, ce n'est qu’une mécanique de jeux. Il y a vraiment des gens qui se sont mobilisés pour le circuit mythique du Mans (vainqueur l'an dernier ndlr). Je ne m’y attendais pas du tout. Ce sont ceux qui ont la plus forte communauté. Mais là aussi, y a des surprises, vous allez voir ! J’étais persuadé qu'un monument gagnerait et il n'est pas arrivé premier. Mais ce n'est pas grave !
Donc ce sont ceux qui sont les plus visibles sur Instagram par exemple ?
Il y a des monuments plus ‘instagrammables’ que d’autres.
Le circuit des 24h du Mans est-il tant que ça plébiscité par les influenceurs ?
Non, mais on est dans le cas d'une communauté de passionnés d’automobile et qui sont très fans du circuit des 24h très populaire. La place Stanislas, j’étais content parce que j’ai vécu à Nancy et j’adore cette ville, mais là est-ce que la place du Capitole à Toulouse va gagner ? Il y a des gens qui sont dingues du phare de Cordouan par exemple, parce que les phares, ça passionne les gens. Et il y a des gens qui me parlent du Pen Duick, le bateau mythique d’Eric Tabarly...
N'était-ce pas une énorme surprise d'ailleurs le circuit des 24 Heures du Mans élu en 2024 ?
Je ne m'y attendais absolument pas mais ça a été une bonne surprise ! D'abord parce que j'ai eu la chance de monter à bord d'un autre monument historique qui est une Bugatti de 1905 et que c'était le Centenaire du Circuit des 24h du Mans. En fait j'avais peut-être des a-priori idiots et j'ai vu que c'était vraiment une course mythique et historique.
Et vous, y a-t-il un monument qui vous tient à cœur au point que vous rêveriez de le voir un jour concourir dans l’émission ?
Oh, je les aime tous, les monuments. La Cathédrale de Chartres, j’y étais ce matin même et elle me fait rêver. Je trouve ce bâtiment absolument unique. Surtout quand j’ai la chance de descendre dans la crypte originelle, où il s’est passé des choses il y a plus de 1 000 ans : Waouh ! Il y a le poids de l’histoire et en même temps, on se sent peu de choses. Quand vous êtes dans un monument historique, vous vous dites : ‘on a survécu à tout’. Vous relativisez un peu les urgences du monde. Vous savez quand on s’angoisse sur la vie politique, la vie économique... Et bien, la Cathédrale de Chartres elle en a vu de telle pendant mille ans et elle est toujours là !
Elle est comme un refuge hors du temps pour vous ?
Oui, ça permet d’avoir du recul, ça remet les choses en perspective, et puis on se sent humble.
Et pourtant vous en avez visité des cathédrales, mais celle-ci a une histoire particulière pour vous…
Oui, parce qu'elle est ma voisine. Et chaque jour, on doit vérifier son humilité, c'est très important. Soyons humbles à côté des monuments historiques !
"Il y a tellement de choses qui nous divisent en ce moment dans le pays, que le patrimoine est l'une des rares qui nous réconcilie et qui nous réunit"
Quel est l'impact pour le monument vainqueur sur sa fréquentation ? Avez-vous des chiffres ou des retours sur les monuments lauréats en termes de visites, financements, visibilité ?
On sait l’incidence que ça a sur la fréquentation. On sait qu’en moyenne, c’est 30% de visiteurs en plus. Comprenez que c’est très difficile de mesurer quand il s’agit d’une place comme la place Stanislas mais c’est plus facile avec le château de Sedan par exemple. lls nous ont expliqué qu’il y avait des retombées immédiates sur les tickets d’entrée ou les réservations d’hôtel. Même Will Smith va au château fort de Sedan et fait une vidéo qui devient virale sur les réseaux. Vous voyez ça a une incidence immédiate ! Deux jours avant les Journées du Patrimoine, je me réjouis de voir que l’émission peut avoir une influence bénéfique pour la visite des monuments. Il y a tellement de choses qui nous divisent en ce moment dans le pays, que le patrimoine est l’une des rares qui nous réconcilie et qui nous réunit. Et ça, on ne va pas s’en priver !
D'après vous, qu’est-ce que le succès du Monument préféré des Français révèle sur le rapport qu’ont les Français à leur patrimoine ? Est-ce le côté ludique et compétitif du vote, la beauté du patrimoine, ou simplement le plaisir de découvrir des sites méconnus ?
Je crois que c’est la beauté et qu'en même temps les gens sont fiers de leur région, ils ont envie de découvrir, ils aiment le patrimoine : en fait tout ça est assez mêlé ! Mais ce que je vois, c’est qu’il y a une appétence des Français pour le patrimoine, une appétence des Français pour l’histoire, et surtout pour les Journées du Patrimoine. On le voit, ils sont plus de 15 millions à visiter.
Cette émission parvient-elle à attirer un public plus jeune vers l'histoire et le patrimoine, ou touche-t-elle principalement un public déjà sensibilisé ?
On a de tout, parce que tout dépend si enfant vous avez été traîné dans les monuments par vos parents. C’est souvent comme ça que l’on découvre le patrimoine. Au fond c’est assez diffus, on demande aux gens comment ils ont connu tel ou tel monument etc et certains nous disent ‘on l’a vu à la télé’. Les motivations sont assez mélangées. Les Français aiment le patrimoine, ils sont attachés à leur histoire.
Quel avenir imaginez-vous pour l’émission ? Y a-t-il des évolutions prévues comme un élargissement à d'autres formes de patrimoine comme les patrimoines industriel ou scientifique ?
Il y a l’influence de la Mission Patrimoine que je mène ainsi que la 8e édition du Loto du Patrimoine. On voit bien que je fais en sorte qu’il y ait de plus en plus de patrimoine industriel et ouvrier. Bien qu’on ait toujours eu dans l’émission les hauts fourneaux, les terrils, les puits de forge... On n’oublie jamais le patrimoine industriel, ça fait partie intégrante du patrimoine. Et il y a aussi du patrimoine du 20e siècle qui est très important. Il y a un peu moins de ruines archéologiques, je le reconnais... Ca fait un peu moins rêver !
L'émission contribue-t-elle à la prise de conscience du grand public sur l'importance de protéger et de restaurer certains sites ?
Oui, les gens me connaissent maintenant comme “Monsieur Patrimoine” donc ils ne me parlent que de ça, ils en profitent pour me dire “oh, vous devriez regarder tel monument ou tel autre”. Oui, on me donne plein d’idées tout le temps !