Didier Raoult : quels "dysfonctionnements graves" à l'IHU ? Ses réponses
[Mise à jour le 6 septembre à 22h24] Le professeur Didier Raoult, particulièrement médiatisé au cœur de la crise de Covid-19, fait l'objet d'un signalement auprès du procureur de la République de Marseille, lancé par deux ministres, celui de la Santé, François Braun, et celle de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau. Une saisie de la justice à la suite de la remise d'un rapport, publié lundi 5 septembre 2022, conclusion d'une mission de huit mois menée par l'Inspection générale de l'Education, du Sport et de la recherche (IGESR) et l'Inspection générale des Affaires sociales (IGAS). Le document "met en lumière des dysfonctionnements graves de l'IHU concernant la qualité de ses activités de recherche et de soins", ont annoncé les deux ministres dans un communiqué commun.
Didier Raoult est en première ligne car il fut le directeur de l'IHU pendant 11 ans, jusqu'à la fin du mois d'août 2022. Le rapport fait part de "certaines pratiques médicales et scientifiques inappropriées répandues au sein de l'IHU, ne respectant pas la réglementation en vigueur et pouvant générer un risque sanitaire pour les patients." Didier Raoult s'en est défendu sur CNews : selon lui, il n'y a pas eu "d'essais cliniques non autorisés sur la tuberculose". En outre, le professeur a affirmé que le choix des traitements "était dicté par notre analyse de la balance bénéfice/risque médical pour les patients".
Par ailleurs, il est évoqué des "dérives dans les pratiques de management, pouvant générer harcèlement et mal-être au travail", ainsi que des "dérives dans la gouvernance". Ainsi, un compte rendu, en date du 24 novembre 2021, fait état "de brimades, de violences verbales, de dévalorisation, de propos misogynes, de comportements colériques de la part de certains chefs de service vis-à-vis des étudiants, mais également des personnels, notamment de la part de M. X", rapporte le Parisien. En outre, le rapport montre une "dégradation progressive de la situation financière de l'établissement."
Une information judiciaire a été ouverte, c'est-à-dire que le juge d'instruction doit à présent déterminer s'il y a eu une ou plusieurs infraction(s) au sein de l'établissement hospitalier sous la direction du controversé professeur. Cependant, pas de quoi inquiéter Didier Raoult. "Je suis serein. C'est un épisode de plus dans le fait que je sois harcelé pour avoir dit ce que tout le monde fait maintenant, y compris sur les vaccins. On a eu sept inspecteurs pendant des mois qui ont essayé de trouver tout ce qu'ils considèrent comme étant des erreurs administratives pour confirmer quelque chose qu'ils n'ont pas réussi à confirmer qui est une injection de deux ministres de prouver que nous faisions des essais illégaux sur la tuberculose et que nous harcelions des gens", a-t-il commenté sur CNews.
Je suis très serein, on a eu 7 inspecteurs qui ont essayé de confirmer quelque chose quils nont pas réussi à confirmer, cest-à-dire prouver que nous faisions des essais illégaux sur la tuberculose, et que nous harcelions les gens affirme Didier Raoult pic.twitter.com/C5c0CUm4pi
— CNEWS (@CNEWS) September 6, 2022
Que dit le dernier rapport qui vise Didier Raoult et l'IHU de Marseille ?
La synthèse du rapport pointe notamment "des pratiques médicales et scientifiques déviantes répandues au sein de l'IHU." Il est ainsi mis en avant plusieurs dysfonctionnements médicaux, dont plusieurs peuvent faire l'objet d'une qualification pénale selon les chargés de la mission. Concrètement, sur le plan médical, il est reproché à l'établissement hospitalier :
- D'avoir utilisé l'hydroxychloroquine et l'ivermectine contre le Covid, à l'encontre du protocole établi par l'Assistance publique – Hôpitaux de Marseille ;
- D'utiliser des molécules non-recommandées contre la tuberculose, certains traitement étaient même "hors autorisation de mise sur le marché", et de ne pas prescrire des molécules à l'efficacité démontrée ;
- Des manquements graves au regard de la réglementation de la recherche clinique : non-exhaustivité des consentements signés, mineurs inclus dans l'étude contrairement au protocole, consentement signé par des personnes non francophones et incluses, utilisation du consentement concernant d'autres recherches ;
- De fournir à des cliniciens des kits de diagnostic syndromique (c'est-à-dire qui permettent de rechercher les causes d'une maladie) non validés ;
- De travailler avec un guide de prescription des anti-infectieux, établi par l'IHU, présentant un certain nombre de non-conformités au regard des standards actuels et formalisant des prescription ne respectant pas le code de la santé publique.
Que répond Didier Raoult à ces accusations ?
A toutes ces affirmations, Didier Raoult a répondu, comme le veut la procédure. Le désormais ex-directeur de l'IHU regrette "une mission à charge ne retentant qu'une toute petite partie des 3000 documents que la mission nous a demandé de lui adresser", remettant en cause la méthodologie et notamment les propos mentionnés dans le rapport, issus d'entretiens anonymisés.
Par rapport à l'administration d'hydroxychloroquine, Didier Raoult affirme d'abord ne pas avoir traité tous les patients touchés par le Covid-19 avec ce procédé et dit être couvert par la liberté de prescription dont lui a fait part le Directeur général de la Santé. Par ailleurs, le Conseil de l'Ordre n'a également retenu aucune faute à son encontre à ce sujet. Enfin, il précise que certains médecins, même sans contre-indications, n'ont pas souhaité en prescrire à certains patients.
Contre la tuberculose, Didier Raoult assure que les traitements proposés l'étaient en vue d'expérimentations notamment pour "évaluer pour permettre la réduction de la durée du traitement", dont l'un, à la clofazimine, a été "évalué favorablement" avant d'être "invalidé par l'ANSM sans explication."
Sur le sujet du consentement dans la recherche clinique, le professeur réfute les manquements décrits, et évoque, au sujet du mineur objet d'une étude, 'une "erreur isolée." Il affirme par ailleurs que des interprètes ont été utilisés pour demander le consentement des patients étrangers et que Google Traduction était même utilisé par les praticiens et infirmières.
Il défend par ailleurs le guide de prescription des anti-infectieux, estimant que "les recommandations d'experts ne sont par définition pas une vérité scientifique, cela étant illustré par le fait que les recommandations de traitement sont différentes dans quasiment chacun des pays européens et outre-Atlantique."
Didier Raoult déjà visé par une enquête de Médiapart
En octobre 2021, une enquête de Mediapart et de L'Express révélait que plusieurs essais cliniques, réalisés à l'IHU de Marseille sous l'autorité du Professeur Didier Raoult, "bafouaient" la réglementation en matière scientifique. D'après l'enquête, à partir de 2017 et jusqu'en mars 2021, l'IHU avait prescrit un traitement à base de quatre médicaments que l'Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) s'y était pourtant opposée car ce cocktail était toxique plutôt qu'efficace. "Les dernières révelations sont une tempête dans un verre d'eau" avait réagit Didier Raoult le 25 octobre.
Deux jours plus tard, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) avait diligenté une inspection et saisie le parquet de Marseille sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale comme l'a confirmé le procureur de la République de Marseille, Dominique Laurens. "Après des signalements réalisés en mai 2021, sur de possibles manquements de l'IHU Méditerranée Infection à la réglementation des essais cliniques (…), nous considérons que certaines études auraient dû être menées conformément à la législation encadrant les recherches impliquant la personne humaine. Ceci n'est pas admissible" avait expliqué l'ANSM. Mais en juin 2022, le rapport d'inspection publié par l'ANSM a blanchi Didier Raoult, ne mettant aucunement en évidence de la recherche impliquant la personne humaine non autorisée.