Uber Files : Nicolas Bouzou, ciblé, se justifie
C'est un nouveau raz-de-marée signé l'ICIJ, le Consortium international des journalistes d'investigation. 124 000 documents datés de 2013 à 2017 ont été transmis au consortium et à ses médias partenaires, dont Le Monde. On découvre l'envers du décor de l'application Uber : dans les années 2010, la start-up a tout fait pour s'implanter dans les grandes métropoles, et ce malgré le contexte réglementaire et législatif souvent défavorable (le groupe a ainsi souvent opéré dans l'illégalité). En France en particulier, le combat pour s'imposer face aux taxis traditionnels fut laborieux, mais l'entreprise a pu compter sur l'appui d'hommes politiques autant que d'entreprises privées... Et d'experts? C'est en tout cas ce qu'avance l'étude publiée dans le week-end. Certains économistes français, qui ont la double casquette d'expert et d'intellectuel, auraient été rémunérés pour réaliser des "études sur mesure" et "prendre la défense" d'Uber dans les médias. Tantôt, en le présentant dans les médias comme une "entreprise technologique" dans la légalité et symbole de modernité, tantôt en produisant des données chiffrées et des analyses économiques sur le cercle vertueux que représenterait l'intégration de l'entreprise dans l'économie française... Mais toujours en occultant les manœuvres de lobbying de la société de VTC.
En 2014, alors qu'Uber ne dispose pas de la meilleure réception et intégration en Europe, notamment à cause des accusations portant sur ses pratiques qui créent à terme une nouvelle catégorie d'emplois sous-payés et sous-protégés, la plate-forme a l'idée de faire appel à des académistes. "Ce dont nous manquons cruellement en France actuellement, c'est précisément de preuves scientifiques ou académiques soutenant nos arguments", aurait même écrit un cadre d'Uber dans un échanges de mail intercepté et vérifié par Le Monde. Cette caution académique devait donc servir à éloigner la menace de la réglementation, voire du bannissement de l'application. Uber souhaitait, par la voix d'experts, se présenter comme un vivier de dynamisme économique et comme un créateur d'emplois incontournable. Parmi les noms des experts qui se sont mués en "porte-parole" de l'entreprise (toujours selon le Monde), plusieurs se détachent : celui de l'économiste Nicolas Bouzou sort notamment du lot. De quoi est-il accusé ? Quelle est sa ligne de défense ? A-t-il apporté des preuves concrètes de son innocence ? On fait le point.
Les Uber Files mettent en cause Nicolas Bouzou
Nicolas Bouzou est cité, au même titre que d'autres universitaires comme le professeur d'économie Augustin Landier. Il a selon Le Monde, "noué un partenariat avec Uber au printemps 2015", via une coopération autour d'une étude qu'il a rédigée au nom de son cabinet de conseil. Dans son offre de service à la plate-forme, cette étude est décrite comme "une note synthétique qui démontrerait la contribution d'Uber à l'économie française". Publiée en 2016, elle traite du déploiement d'Uber en France, le présentant comme une chance pour le marché français : on y lit que son arrivée devrait "créer plus de 10 000 emplois. Facturée "10 000 euros hors taxes", cette étude était "assortie d'un service après-vente auprès de la presse et des parlementaires" dans le contrat. Et de fait, Nicolas Bouzou n'a pas hésité à jouer la surenchère dans les médias en vantant les mérites d'Uber, plaidant pour la "liberté d'entreprendre", "le libre-échange" et la prise de risques dans le secteur publique. Le Monde cite notamment un "petit déjeuner avec des parlementaires suisses à Genève". Sans jamais rien mentionner des actions illégales de la start-up ni des limites à l'utilisation de données fournies par l'entreprise, il a contribué à la notoriété d'Uber.
La réponse de Nicolas Bouzou aux accusations des Uber Files
L'affaire fait trop de bruit pour qu'il puisse se murer dans le silence. L'économiste a fini par décrocher aux appels du Monde, démentant d'emblée les accusations. D'abord, il a contesté avoir été payé pour faire la promotion de l'entreprise, estimant avoir toujours travaillé en indépendance. "Publier le nom du financeur, être transparent sur la méthode, sourcer l'intégralité des chiffres", cite-t-il pêlemêle pour défendre sa méthodologie. "J'aurais tenu le même discours libéral proconcurrence si Asterès [son cabinet, NDLR] n'avait pas travaillé pour Uber", avait-il même ajouté. Face au retentissement médiatique des révélations de l'ICIJ, il a pris la parole sur les réseaux sociaux en publiant un communiqué sur son compte Twitter.
Uber Files : mon communiqué pic.twitter.com/el0Quk3Snu
— Nicolas Bouzou (@nbouzou) July 11, 2022
Il justifie d'abord les soupçons de financement, rappelant que son cabinet Asterès est "financé par le secteur privé" et qu'il ne "reçoit pas de subvention publique". Il présente sa mission pour Uber comme une prestation marchande et ne dit rien sur l'importance des rémunérations qu'il a reçues. Il insiste sur sa "déontologie" : "Toujours publier le nom du financeur, être transparent sur la méthode, sourcer l'intégralité des chiffres, utiliser un maximum de sources publiques et mettre nos travaux à disposition des contradicteurs". Il précise d'ailleurs qu'un cahier des charges a été respecté au cours de la réalisation de l'étude pour Uber. L'entreprise aurait "signé la charte éthique" de son cabinet, ce qui donnerait l'assurance d'une "totale indépendance". Enfin, on peut voir dans sa phrase "À titre personnel, je me réjouis de l'entrée des VTC sur le marché français des transports urbains" une allusion à ses prises de parole médiatiques qui furent toutes à l'avantage d'Uber. Si le communiqué n'est, aux yeux de nombreux internautes, qu'un moyen d'éviter d'avoir à donner des preuves concrètes de ses rapports avec la start-up, l'économiste assure pour sa part qu'il défendra toujours "la concurrence, la liberté d'entreprendre et l'innovation" qui sont à ses yeux des "moteurs du progrès économique et social."