Jean-Benoit Nadeau "Il n'y a pas de déclin de la langue française"

le français, quelle histoire
Le français, quelle histoire © Editions Télémaque

Vous venez de publier votre deuxième livre sur l'histoire de la langue française. Le sujet semble beaucoup vous intéresser...

Oui, la langue française est un univers, beaucoup plus large que la France. Lorsque mon épouse et moi sommes venus étudier ici, nous avons voulu faire une sorte de géopolitique de la langue, et finalement nous avons fait une petite anthropologie linguistique.
Nous nous sommes beaucoup documentés, nous avons cherché à comprendre comment le français s'était répandu, avec ses mots et sa culture, entendue au sens large : la littérature, la science, l'industrie...

 

Comment expliquez-vous le pessimisme des Français vis-à-vis de leur culture, cette idée répandue du déclin de leur influence ?

Il y a plusieurs réponses, sans doute. D'abord, l'apologie de la France, tout comme la critique, est un vieux genre littéraire. On entend depuis tant d'années que la France "ce n'est plus ce que c"était" et on constate une grande nostalgie d'un supposé âge d'or de la langue, où toute l'Europe parlait français. Eh bien, ce n'est pas vrai du tout, et pendant très longtemps, jusqu'au XVIIIe siècle, 75% du territoire hexagonal ne parlait pas français, qui était une langue d'élites et de Cour. De même, on se réfère aussi à l'idée qu'il existe quelque part une sorte de français "pur", qui n'a bien sûr pas existé. D'où cette idée permanente du déclin.
Et puis il y a aussi un autre phénomène, qui émane de l'histoire de la décolonisation, et du fait que vous associez la francophonie au colonialisme. La langue est souvent "de droite" en France. Le nationalisme, même culturel, n'est plus une valeur à mettre en avant, et le dénigrer est plutôt tendance.

 

Vous montrez bien comment s'est développé, organisé et institutionnalisé une grammaire, une langue écrite très stricte sur son intégrité, sur ses règles...

Oui, mais ce "purisme français" qui est devenu un grand véhicule de la langue il y a quatre siècles, est aussi devenu un peu castrant. Les gens ont tendance à penser que le purisme, c'est la langue, alors que l'on peut très bien pratiquer la langue française de façon moins orthodoxe. Il suffit de lire Montaigne ou Molière pour se rendre compte que l'on peut écrire avec désinvolture.