Allegro, piano, crescendo : tout sur l'histoire rythmée des musiques d'animes

Allegro, piano, crescendo : tout sur l'histoire rythmée des musiques d'animes Omniprésentes dans les boutiques spécialisées et chez les fans, les musiques de dessins animés japonais ont explosé en France dans les années 90. Plus discrètes à partir de la fin des années 2000, les "anisongs" et OST connaissent un nouveau boom depuis 2015. Décryptage du phénomène.

Fin des années 80, la musique d'anime débarque en France et très vite elle conquiert le cœur des fans. Dès lors, elle connaît une croissance continue portée par des artistes comme Yôko Kanno, Kenji Kawai et Shunsuke Kikuchi. Aujourd'hui, demandez à un fan d'anime qui est LiSA et vous aurez 9 chances sur 10 de l'entendre fredonner "Sayonara arigatô koe no kagiri", les paroles de la chanson Homura, générique du film Demon Slayer: le train de l'infini.

Le clip de LiSA cumule près de 230 millions de vues en un an.

Comment est né l'engouement pour ces musiques et chansons (allegro)? Pourquoi ont-elles connu le déclin (piano) et d'où provient la nouvelle vague de popularité qui porte ces musiques (crescendo) ?


Au commencement, il y avait Goldorak

Le premier fer de lance de la culture nippone en France est sans contexte UFO Robot Grendizer, l'anime adapté de l'œuvre de Go Nagai, connue ici sous le nom de Goldorak.

Sans cette génération Goldorak, peut-être que le marché français ne serait pas aujourd'hui aussi ouvert aux mangas et animes.

© Ynnis édition

Olivier Fallaix, auteur du livre La Belle Histoire des génériques TV publié aux éditions Ynnis, revient sur les premières notes d'un futur genre à part. "Le déclencheur de la mode des génériques de dessins animés c'est Goldorak. Haim Saban, qui en a récupéré les droits, doit refaire un générique en urgence en 1979. Il enregistre son disque avec son jeune protégé Noam. Il prend tous les risques et investit son argent car personne ne veut le distribuer. Il vend très rapidement 2 millions de 45 tours (4 millions au total). C'est aujourd'hui encore le générique de dessin animé le plus vendu en France. Haim Saban comprend alors l'équation "télévision = promotion gratuite et universelle". D'autant plus qu'à l'époque, il n'y a pas beaucoup de chaînes. De plus, il a réalisé que produire le générique français d'une série ou d'un dessin animé lui permet d'en contrôler les droits. Il part à Los Angeles pour monter un studio et c'est le début d'une grande aventure. Il réalise tous les génériques - en français et en anglais - des programmes créés par Jean Chalopin (Ulysse 31, L'Inspecteur Gadget,…). D'autres, comme AB ou Silvio Berlusconi, suivent son exemple et refont systématiquement chaque générique et chaque chanson. Entre les droits Sacem liés à la diffusion télévisée et les ventes de disques, le marché est des plus florissants."

Sans oublier la radio Superloustic spécialisée dans les génériques de dessins animés. Avec 98% de génériques français, elle fut toutefois la première radio francophone à diffuser des génériques en japonais.


Un démarrage en fanfare

Pour Pascal Lafine, éditeur historique de Tonkam et responsable des achats au Japon pour la boutique Tonkam, le vrai boom de la musique d'anime japonaise remonte à la fin des années 1980. "Pour moi tout a commencé, par hasard, grâce à la librairie japonaise Junku en 1989. En nous y rendant avec des amis pour acheter des artbooks, nous avons entendu qu'en musique de fond le magasin diffusait la BO de Saint Seiya, la saga d'Asgard. Sollicitée, la vendeuse nous explique que le CD est une erreur de commande – le mauvais code avait été entré – et que le gérant avait décidé de l'utiliser en musique d'ambiance pour ne pas gâcher. Un nouveau monde s'est ouvert alors à nous : l'existence de BO d'anime en CD. À l'époque, tout le monde n'avait pas de lecteur CD, la K7 audio était la norme. Dès le lendemain, nous avons commencé à commander de nombreux albums CD via Junku. L'adresse de la boutique a été mise dans un magazine important de l'époque (à gros tirage et diffusion nationale) et la boutique s'est mise à recevoir des commandes par milliers, au point que le gérant nous a demandé d'arrêter de faire de la publicité pour ce service annexe de la librairie."

Avec l'ouverture de la boutique Tonkam à Paris, rue Keller (15e), en 1991, en même temps que la création du magazine AnimeLand, l'engouement pour l'animation et les mangas passe un nouveau cap. "En discutant avec Dominique Verret (fondateur de Tonkam), nous l'avons convaincu que les jeunes aussi étaient passionnés par le Japon. C'est d'ailleurs via AnimeLand que Tonkam a eu son premier fournisseur basé à Tokyo", se souvient Pascal Lafine.

Réédition du double cd de Robotech. © Pascal Lafine

Venu à la boutique pour ce qui devait être un dépannage d'un mois, Pascal Lafine s'amuse d'y travailler encore 27 ans plus tard. "La BO de Macross ou plutôt Robotech était un best-seller. Sa particularité était que l'album était disponible hors import en France. On le trouvait même aux Galeries Lafayette du boulevard Haussmann, avant même que le dessin animé ne soit diffusé en France. Puis j'ai proposé au gérant de remplacer les K7 par les CD et LaserDisc qui étaient ma passion à l'époque et qui commençaient à se développer. J'en ai commandé énormément et Dominique en a profité pour commander de la J-music, surtout de la J-pop à l'époque. On a démarré avec deux bacs dans la boutique: un bac anime et un bac J-pop. Très vite, cet espace ne suffisait plus et on a dû faire un rayon entier".

Photo de la boutique Tonkam, rue Keller. L'apogée de la musique d'anime et J-music dans la boutique. © Nicholas Baqué


Des ventes qui décollent… grâce aux jeux vidéo

"Les premiers CD qui se sont vendus en nombre ce sont ceux de Dragon Ball, se remémore Pascal Lafine, mais c'était celui du jeu Super Nintendo : Dragon Ball Super Butôden, car les bandes originales des animes n'étaient pas disponibles alors les fans se sont rabattus sur celles des jeux vidéo. Il y a aussi eu sur Dragon Ball beaucoup de chansons qui n'existaient pas dans le dessin animé. Mais les gens désiraient les BGM (background music) composées par Shunsuke Kikuchi, pour retrouver l'atmosphère du dessin animé. L'une des premières BO disponibles est celle de l'OAV (direct to video), inédite à l'époque, Le Plan d'éradication des Super Saïyens, qui s'est vendu comme des petits pains. On a passé les 6000 ventes en trois mois. La consécration de Dragon Ball, c'est le coffret blanc : le Great Collection, la première vraie intégrale, collector aujourd'hui.


Une production parfois pléthorique

Certaines séries, en particulier celles produites par le studio Pierrot, avaient la particularité de changer de générique de début et de fin très fréquemment. Et souvent, par la même occasion, ils changeaient la bande originale, raconte Pascal Lafine. Ce qui explique la profusion d'OST pour des séries comme Maison Ikkoku et Kimagure Orange Road. Comme en France on ne gardait qu'un seul générique, ces modifications d'ambiance musicale étaient moins compréhensibles. Aujourd'hui, comme les saisons d'animes sont plus courtes, très souvent de 13 ou 26 épisodes, les producteurs ne remplacent que les openings et endings et plus les OST. Moi, quand je me réincarne en slime, est l'une des rares exceptions où ils changent très souvent la BO.


Les stars et best-sellers historiques

Deux tendances s'imposent très vite à la boutique Tonkam : l'intérêt pour les séries et les compositeurs – les chanteurs arriveront dans une vague ultérieure. Pascal Lafine raconte: "La première star de la boutique, c'est Yôko Kanno, qui s'est imposée comme LA référence à avoir en stock tout le temps. Elle n'enchaîne que des hits, tout ce qu'elle touche se change en or. Les autres compositeurs aux doigts d'or étaient Kenji Kawai, Joe Hisaishi et Shunsuke Kikuchi. Quand on a eu la BO de Goldorak, elle s'est arrachée en un instant.

© Pascal Lafine

Ils formaient notre quatuor de stars. Joe Hisaishi était déjà plus grand public et Kenji Kawai plus pour les initiés, ce qui ne l'empêchait pas de vendre énormément. La BO de Ghost in the Shell à l'époque s'était écoulée à plus de 5000 exemplaires. Kenji Kawai a aussi travaillé sur Maison Ikkoku (Juliette je t'aime), il était déjà culte, pour moi c'est l'un des compositeurs dont le style a le plus évolué. Il est devenu plus sérieux, plus sombre, depuis Patlabor il est même entré dans une dimension plus cinématographique. Kenji Kawai avait cette particularité de ne pas avoir une ligne conductrice sur une série. Il peut passer d'une musique loufoque à un son dramatique d'une scène à l'autre… Yôko Kanno, à l'époque, composait énormément de BO d'animes, ses musiques transcendent les animés eux-mêmes. Et elle changeait de registre à chaque œuvre : Macross Plus, Cowboy Bebop, Escaflowne (150 CD en une semaine) Elle a marqué cette époque de son empreinte audio. Si je dois ne retenir qu'un seul compositeur alors pour moi c'est Yôko Kanno. Elle a révolutionné la conception d'OST d'anime".

Concernant les licences phares, l'éditeur n'a pas à réfléchir très longtemps avant de dresser une liste qui ferait frémir de joie n'importe quel fan d'animation audiophile. "Touch et Miyuki se vendaient très bien, il y a eu une belle hype autour de Mitsuru Adachi dans les années 90. L'anime avait un vrai succès à la télévision. Parmi les best-sellers de l'époque, nous avions Kimagure Orange Road (Max et compagnie), les albums Sound Color 1 & 2 ainsi que Loving Heart et Single Heart, les deux best-of de la série. On les avait toujours en stock pour satisfaire une demande continue. Saint Seiya et Cat's Eyes étaient aussi très populaires, mais il était plus compliqué d'avoir du stock sur ces titres. La série City Hunter s'est imposée comme une licence incontournable, et ce, pour tous ses albums. L'album City Hunter 91 est celui qui s'est vendu le plus, dépassant les deux Dramatic Master, probablement car il s'agissait d'une nouveauté.La Symphonic Suite d'Akira aussi a dépassé les milliers de ventes. Sailor Moon réalisait des ventes incroyables, et son public, essentiellement féminin, achète alors littéralement tout ce qui sort, à l'opposé des fans de Dragon Ball qui n'achètent que certains titres. Ces séries phares ont résisté à l'épreuve du temps et sont restées dans le fond de notre catalogue pendant des années", explique Pascal Lafine.


Des absents pour cause technique

Certaines séries très populaires ne sont pas devenues des best-sellers en matière de génériques ou de musiques de fond (background music ou BGM), non pas parce qu'elles étaient passées de mode mais pour des raisons purement techniques. En effet, les enregistrements en studio sur bande nécessitent un remastering pour passer en numérique et un pressage de CD audio. Remastering que les studios ont parfois mis plusieurs dizaines d'années à réaliser, explique Pascal Lafine. "Il y avait une grosse demande autour des séries un peu plus âgées comme Cobra, Cat's Eyes OST 1 ou La Bataille des planètes, mais la production de ces séries était réalisée sur bande et ils n'avaient jamais fait le remastering pour le presser sur CD audio, donc ces titres sont devenus introuvable quand les vinyles ont disparu. Et pourtant, avec des pointures comme Maurice White et Bill Meyers, on aurait pu s'attendre à ce que les maisons de disque soient plus proactives pour passer sous CD audio les arrangements de La Bataille des planètes."


Un rayonnement au-delà des boutiques spécialisées

Nicholas Baqué, responsable des grands comptes Delcourt, Kaze, Panini et chef de produit chez le diffuseur Delsol, se remémore pour L'Internaute l'époque où il était chef de produit à la direction commerciale de la Fnac. "Je suis un grand consommateur et fan de musique japonaise et j'ai travaillé six ans à la boutique Tonkam où j'ai approfondi mes connaissances. En 2003, j'ai monté de A à Z la librairie de la Fnac, boulevard des Italiens. Avant, c'était une Fnac dédiée à la musique. Ils avaient des fournisseurs japonais et un catalogue un peu plus ouvert qu'une Fnac généraliste. J'ai commencé à glisser des CD d'import japonais à côté des mangas et j'en diffusais en musique de fond pour créer une ambiance. Comparé à Tonkam, c'était très anecdotique : on avait une trentaine de références et des ventes à un chiffre. On tournait sur les principaux classiques de l'époque : Akira, Ghost in the Shell, les Joe Hisaishi surtout Totoro et Princesse Mononoké. En groupe il y avait X-Japan et Anzen Chitai - le groupe de rock qui a fait des musiques de Maison Ikkoku -  que je poussais énormément, et quelques génériques français comme Les Mystérieuses Cités d'or que l'on gardait en fond. On a monté ces rayons pour ramener les fans des boutiques spécialisées vers la Fnac plus que pour vendre les CD. À la boutique Tonkam, quand on diffusait un nouveau CD, dès le samedi après-midi il était épuisé. À la suite de ça, je suis parti à la Fnac Forum des Halles en tant que responsable et on a monté un concept, "espace passion", dans lequel on retrouvait animation japonaise, manga et CD d'import. Et c'est quand j'ai rejoint le siège à la direction commerciale que j'ai pu standardiser et déployer ce projet partout en France. Ces espaces ont duré 5 ans, les gros magasins ont gardé un rayon J-music, mais aujourd'hui l'engouement audio dans les grandes surfaces de vente est trusté par la K-Pop", explique Nicholas Baqué.

La fin de la première vague


L'arrivée d'Internet

Le déclin a commencé entre fin 90 et début 2000. Avec l'arrêt du Club Dorothée en 1997, il y a eu moins d'animes à la télévision. Et puis, le premier coup de grâce a été porté par la profusion de CD SM Records (SonMay Records, éditeur taïwanais qui a inondé le marché de versions pirates) et consorts, ces copies de mauvaise qualité que l'on pouvait trouver dans des boutiques moins regardantes. Pascal Lafine explique: "Un CD importé du Japon coûtait 250 francs, sa copie seulement 30 francs. Pour cette différence, beaucoup de gens fermaient les yeux sur la baisse de qualité. Tonkam a importé de moins en moins de CD et, sans notre travail sur de sélection, ces magasins se sont mis à importer tout et n'importe quoi et ont planté le premier clou dans leur cercueil avec une baisse de la qualité musicale de l'offre. Le second clou a été le téléchargement illégal bien entendu."

S'il y a eu des soubresauts grâce aux diffusions éparses à la télévision, comme avec Fullmetal Alchimist sur Canal+, cela restait des événements fugaces et isolés. Pascal Lafine se souvient que quasiment aucun album de la bande originale de GTO ne s'est vendu à la boutique Tonkam, bien qu'excellente et très populaire.

© Pascal Lafine

Olivier Fallaix estime qu'un premier signe annonciateur du déclin à venir coïncide avec la disparition du vinyle en 1993 qui n'a pas été suffisamment remplacé par le CD. En 2001, il se souvient qu'avec le label Loga-Rythme, les compilations de génériques français et les BO japonaises rééditées cartonnent. Certains titres se vendent alors à 10.000 exemplaires. Mais entre le téléchargement illégal et une distribution non adaptée, le modèle n'était pas viable à long terme.  " Pour qu'un CD soit rentable, il fallait en imprimer un grand volume et le distribuer en boutique sur tout le territoire. Il n'y avait pas encore vraiment de vente en ligne comme aujourd'hui. On commençait à peine à pouvoir payer par carte bancaire."


Un changement drastique dans la production au Japon

La crise des années 2000 a frappé de plein fouet les studios d'animation. Conséquence directe, les gros budgets pour les bande originales d'animation fondent comme neige au soleil : exit les orchestres symphoniques, dites bonjour aux synthétiseurs.

Olivier Fallaix explique le changement: "On avait des investissements à hauteur des ventes générées. Avec des compositeurs comme Kenji Kawai, Yôko Kanno, Shiro Sagisu (Evangelion, Nadia, Kimagure Orange Road), Kohei Tanaka (Gunbuster et One Piece), le marché se porte très bien. Mais la majorité de ces artistes ont refusé de composer pour des synthétiseurs, et la musique a baissé en qualité. Ce qui déclenche un cercle vicieux : moins de ventes, plus d'économies de production, moins de ventes…"

Le spécialiste explique que Yôko Kanno et Seiji Yôkoyama sont incroyablement exigeants et refusent de transiger sur le plan artistique. C'est pour cette raison que Toei a remplacé Seiji Yôkoyama sur Saint Seiya, car ils n'avaient pas le budget nécessaire pour répondre à sa vision. "Quand elle a composé le score de Cowboy Bebop, Yôko Kanno a explosé le budget prévu mais, en voyant le résultat, son producteur a décidé de se battre pour avoir une rallonge. L'histoire leur a donné raison", raconte Olivier Fallaix.

Pour Sylvie Brevignon, general manager de Anime Limited France, la consommation numérique a permis d'assouplir la gestion des droits d'auteur au Japon. "La musique a toujours été importante dans la production d'animation japonaise. Mais entre le fonctionnement en comité, la multitude des statuts des divers intervenants musicaux et le calcul de royautés en France, le barrage légal a tué dans l'œuf de nombreux projets à l'époque", explique la responsable du label.

Autre effet de la crise, les comités de productions ont tendance à grossir, pour lisser le budget sur un plus grand nombre d'investisseurs. Alex Pilot, le directeur des programmes de Nolife, la première chaîne qui a diffusé en France de la J-music, explique: " Les tie-up, ces musiques qui sont découpées pour être utilisées ailleurs – publicités, dessins animés, etc. – ont commencé à apparaître dès 1990 avec City Hunter. C'est à partir de ce moment que les noms et l'atmosphère du dessin animé ont cessé d'être repris dans les openings et endings. Pour les fans de la première heure, n'entendre ni le mot "Evangelion" ni le nom "Shinji" dans l'opening d'Evangelion crée un manque de lien. Même si, musicalement et artistiquement, il y a de très bons choix. Et avec le temps, les labels ont préféré pousser des artistes de leur giron en quête de visibilité plutôt que de chercher les musiques les plus adéquates".


Salons, concerts, labels indépendant et Nolife entretiennent la flamme

Pour Olivier Fallaix, l'essor de nouveaux labels de niche dans les années 2010 comme Télé80 marche grâce à la nouvelle économie des ventes directes (le label était initialement distribué par 13bis avant de s'auto distribuer en ligne) en ligne: "Internet permet de trouver et de viser les niches tout en étant viable économiquement.".


Nolife

Alex Pilot explique que le but de Nolife, en ce qui concerne la musique, était de promouvoir la pop japonaise dans son ensemble. Les génériques d'anime sont une dimension intrinsèque de cet univers. "Concernant la sélection de ce que l'on diffusait, c'est très simple, on passait ce que l'on voulait bien nous donner. Les spectateurs pouvaient voter pour leurs morceaux préférés de la semaine et on réalisait un top 50 tous les week-ends. Et dès qu'un tie-up de dessin animé passait, les spectateurs votaient invariablement pour lui, car ils connaissaient déjà le morceau", se remémore le directeur des programmes. 

À titre personnel, le réalisateur, fan de vieux vinyles – ceux qui ont une histoire, un vécu, qu'il aime chiner lors de ses voyages à Tokyo – confie que son générique préféré est celui de Nadia, le secret de l'eau bleue: "Non seulement la musique correspond parfaitement à la série mais le réalisateur s'est arrangé pour que toutes les images soient synchronisées parfaitement à la musique". Il est à noter que Nolife a diffusé l'intégrale de la version rééditée et remasterisée par Cyril Lambin que Game One avait diffusée précédemment.

"La chaîne Nolife a fait un travail de curation de clips incroyable, c'est en partie grâce à eux que de nombreux acteurs de la J-music sont devenus connus en France. Ils sont l'un des piliers majeurs qui a amené ce pan de la culture auprès du public français", explique  Sylvie Brevignon.


Salons et concerts

Dès les années 2000, les salons et conventions spécialisés dans la culture japonaise éclosent ici et là, le plus célèbre d'entre eux, Japan Expo, est même aujourd'hui devenu l'un des plus grands salons culturels d'Europe. Mais alors qu'un marché de l'export se met en place, les professionnels nippons ne suivent pas sur tous les créneaux. Là où pour le manga, les jeux vidéo, l'animation et les goodies, l'offre devient pléthorique, pour la musique elle reste réduite à peau de chagrin. La principale raison est la complexité des droits autour d'un album musical. Très souvent, un disque est réalisé avec plusieurs intervenants indépendants (producteurs, musiciens, compositeurs, chanteurs) et les contrats japonais ne couvrent en général que le territoire insulaire. Refaire tous les contrats pour pouvoir réaliser des éditions locales est un véritable parcours du combattant et beaucoup baissent les bras. Si certains éditeurs comme Kaze et Loga-Rythme s'y essayent, l'offre reste anecdotique comparé aux jeux vidéo où les contrats sont dès le départ prévu pour une exploitation internationale. C'est la raison pour laquelle lorsqu'un groupe ou un chanteur est invité à Japan Expo, il est officiellement invité en son nom propre et non avec la licence qu'il défend.

Romain Dasnoy, créateur de Wayô Records et Overlooks Events, nous explique comment les salons et concerts ont mis en avant les musiques d'animes et jeux vidéo pendant des décennies.

Quand avez-vous créé ces sociétés et pourquoi ?

Romain Dasnoy : J'ai créé ces deux sociétés en 2010 car il n'y avait rien pour répondre à la demande des fans de vivre des concerts de musique d'animes ou d'écouter un album. Aujourd'hui il existe plus d'une dizaine de structures d'événementiel comme Overlook, spécialisées "pop culture", en France. Ce qui montre qu'il y a un vrai marché.

J'étais ancien salarié de Japan Expo et j'avais envie de faire des concerts de musiques d'animes et jeux vidéo en dehors des salons. Un concert symphonique de 3000 à 10.000 personnes, ça n'a rien à voir avec un salon de 200.000 visiteurs, surtout d'un point de vue qualitatif, d'audiophiles.

On a organisé pas mal de concerts dans des petites salles et on s'est rendu compte que l'on pouvait remplir des salles de plus en plus grandes. Avec Overlook, on a créé et mis en place des concerts sur des thèmes comme Dragon Ball, Tim Burton, Pixar, Disney, John Williams, Final Fantasy, etc.

Le premier concert de musique de jeux vidéo en France a eu lieu à Japan Expo, et j'étais aux premières loges, étant en charge de son organisation. Il a fallu attendre 2011 pour que Wayô organise son premier concert hors-salon avec en invité Masashi Hamauzu (Final Fantasy), et juste avant Video Games Live avait organisé le premier concert hors-salon en France au Palais des Congrès en 2010, alors qu'on visait initialement une représentation à Japan Expo.

© Dragon Ball : © Bird Studio/Shueisha, Toei Animation

Avec le temps, il a enfin été possible d'organiser des concerts autour des licences ? 

Avant Overlook, je travaillais à la production des concerts du festival Jules Verne Aventures au Grand Rex. Il n'y avait pas d'écran mais ça restait de la musique de film. Avec Overlook, on s'est concentré très vite sur les licences comme le cinéma de Tim Burton, ou l'animation comme Dragon Ball. Nous avons aussi co-créé le ciné-concert officiel Ghibli qui aujourd'hui tourne dans le monde entier. Et quand nos productions sont originales, ce qui est le cas de Dragon Ball, Saint Seiya ou John Williams, j'assure la direction artistique, car c'est bien le contenu qui va faire vendre des billets, et pas simplement un artiste à la mode.

Promoteur, producteur, quelle est la différence ? 

Quand nous présentons un show qui existe déjà, par exemple les concerts Lord of the Rings, Final Fantasy, Kingdom Hearts, alors notre métier est d'en faire la promotion et de vendre un maximum de billets pour que le show soit rentable. Très souvent, ce sont les artistes ou leurs ayants-droit qui sont producteurs et vendent une licence d'exploitation à un promoteur. Quand nous sommes producteurs, nous créons le show de A à Z. J'ai créé le concert John Williams à l'époque où il y avait très peu de ciné-concerts. On n'inclut aucune image des films car les studios ne veulent pas s'entendre entre eux, à quelques rares occasions comme Tim Burton. On a rajouté de la création musicale qui n'existait pas et créé des visuels originaux. Le modèle se développe maintenant beaucoup, et à côté il y a les ciné-concerts avec les films officiels qui tournent. En dix ans, on est passé du néant à une pléthore de propositions.

© Dragon Ball : © Bird Studio/Shueisha, Toei Animation

Et quand la création inclut le droit d'image ?

Parfois nous créons des show plus complexes avec des images comme pour les ciné-concerts Dragon Ball et Saint Seiya. La partie la plus complexe est celle de la musique et de la représentation artistique. Je dois faire une proposition de contenu. Sur Dragon Ball, il y a des centaines d'épisodes (153 pour Dragon Ball, 291 pour Dragon Ball Z) sans compter les films, et cela implique un matériau sonore d'une immense richesse. Comme le concert résume toute la saga des deux premières séries, il faut réussir à saisir cette richesse musicale de manière équilibrée et sans en perdre sa diversité, en deux heures. J'ai travaillé pendant plusieurs mois à écrire un script qui résume l'histoire principale de Dragon Ball et Dragon Ball Z. Puis j'ai choisi les motifs musicaux qui marquent les moments-clés, par exemple l'apparition de tel ou tel personnage. Petit à petit, on arrive à une setlist millimétrée pour coller aux images. Il y a énormément d'allers-retours avec le Japon qui valide chaque étape du processus de création. Une fois que l'on est d'accord sur le contenu du concert, on peut l'exploiter dans tous les pays où la licence bénéficie d'une grande notoriété. Notre rôle devient alors celui de tourneur, avec la spécialisation technique et artistique, afin de garantir un niveau de qualité élevé dans chaque pays, avec chaque orchestre et chaque équipe locale.

Dans quels pays ces ciné-concerts marchent-ils le mieux ?

Les USA sont de loin en tête, ils ont un système de production et d'orchestre très bien rodé. Il y a beaucoup de formations qui jouent leur propre répertoire partout, y compris avec des arrangements tirés de la pop culture. En Europe, l'Angleterre est le marché principal, puis viennent la France et l'Allemagne. L'Espagne et l'Italie ont un marché hyper dynamique, ainsi que la Pologne et la République tchèque. Le premier concert de Joe Hisaishi en Europe a eu lieu en Pologne.

Le Covid à mis à terre tout le milieu de l'évènementiel.

Et pour certains concerts, vous faites venir les artistes eux-mêmes ? 

C'est essentiel pour nous. Nous sollicitons tout le temps les artistes pour qu'ils viennent. Cela fait partie de l'expérience, car il ne faut pas oublier encore une fois que la pop culture va souvent au-delà des modes. Les gens inscrivent leur passion dans leur quotidien, la rencontre avec les artistes va de pair avec l'oeuvre qui est jouée, même si l'oeuvre peut vivre par elle-même, comme Dragon Ball.

Jusqu'à ce que le Covid-19 arrive et bouscule tout ?

Tout à fait, le Covid a mis à terre tout le milieu de l'évènementiel. Nous avons l'impression d'avoir été oubliés par les pouvoirs publics. Nous avons essayé de nous référer à des syndicats dans l'événementiel pour faire entendre nos voix. Il faut savoir que c'est un milieu essentiellement composé d'indépendants, nous travaillons sept jours sur sept, nous investissons notre argent et la marge est très faible. Ça n'est pas parce que l'on fait un concert avec 10.000 visiteurs que tout va bien pour nous. Les gros acteurs ont la confiance des banques, mais les petits doivent encore et toujours se relever les manches.

Pour des spectacles comme Dragon Ball et Saint Seiya, il faut des invités japonais, surtout s'il y a des chansons. La présence des chanteurs ou chanteuses originaux est un plus indéniable pour les fans et pour nous. Mais avec le Covid, on a tous dû faire face à des restrictions locales indépendantes entre elles. Par exemple, un Japonais qui vient en France, que ce soit pour le travail ou pour le tourisme, doit encore se soumettre à une quarantaine d'isolement au retour, tout en étant vacciné et testé à l'arrivée puis à l'issue de cet isolement (NDLR : le gouvernement nippon vient d'abaisser cette période à 3 jours). Certains des invités peuvent en plus avoir d'autres soucis de santé qui fragilisent les décisions de déplacement. Et nous ne maîtrisons pas le timing qui va avec. Contractuellement, on ne peut pas faire le concert sans les invités, on est tributaire de leurs disponibilités. Et comme il y a beaucoup d'intervenants sur chaque type de concerts, parfois venant des quatre coins du monde, c'est encore plus difficile de communiquer sans latence. Cela fait deux ans maintenant que nous ne pouvons plus travailler, et chaque report nous pénalise fortement.

© Milan records


La nouvelle vague : vinyles et SVOD mènent la danse

Pour Olivier Fallaix, l'essor de nouveaux labels de niche dans les années 2010 comme Télé80 marche grâce à la nouvelle économie des ventes directes (le label était initialement distribué par 13bis avant de s'auto-distribuer en ligne). "Internet permet de trouver et de viser les niches tout en étant viable économiquement", explique Olivier Fallaix.


Les plateformes de SVOD

Aujourd'hui, la puissance des plateformes de streaming est incommensurable, elles ont sur la majorité des tranches horaires détrôné la TNT. Tous ces acteurs, des spécialisés dans l'animation (Crunchyroll, ADN et Wakanim) aux généralistes comme Amazon Prime Video et Netflix touchent un panel très large et certains sont même devenus co-producteurs. Cette nouvelle manne financière permet de voir apparaître des productions plus prestigieuses qui tirent le marché vers l'avant. Pour se distinguer du lot, certaines productions vont même chercher des compositeurs avec qui les studios ne collaborent, voire ont dès le début des ambitions internationales. Pour Olivier Fallaix, "ces nouvelles productions sont plus proches d'un travail d'orfèvre que d'un travail à la chaîne. L'animation est plus léchée ainsi que les musiques. Par exemple, sur des titres comme L'Attaque des Titans ou Carole & Tuesday, les compositeurs ont fait un travail incroyable. J'ai récemment acheté la BO de The Ancient Magus Bride: son compositeur Junichi Matsumoto a composé pour et enregistré avec un vrai orchestre symphonique. La différence est notable et appréciable".

Pour Romain Dasnoy, les plateformes généralistes comme Netflix et Amazon Prime Video sont très pratiques pour donner de la notoriété à une licence, améliorer son référencement en ligne ou en magasin mais ne sont pas forcément des viviers à acheteurs. Contrairement aux plateformes spécialisées qui touchent directement les fans. "Les quotas télévisuels installés en 1986 ont provoqué peu à peu un appauvrissement de l'offre d'animation japonaise à la télévision. Fort heureusement, ces quotas n'impactent pas les plateformes de SVOD et, avec la force de plateformes comme ADN, Crunchyroll et Wakanim, on peut considérer qu'on n'est plus sur un marché de niche", analyse Sylvie Brevignon.


Spotify et Deezer : quand les playlists s'animent

Le marché de la musique japonaise, la J-music, a mis du temps à accorder ses violons et à s'ouvrir à l'export. Depuis les années 2010, la majorité des contrats incluent des clauses pour la gestion des droits d'auteur à l'étranger. Et le marché physique (CD audio surtout) étant très fort au Japon, les services type Spotify et Deezer n'ont pas percé sur l'archipel nippon avant 2015. C'est pourquoi une grande partie du catalogue des musiques d'animes a autant tardé à rejoindre les plateformes de streaming. Et pourtant l'appétence du public pour la J-pop et le J-rock, portés par les musiques d'animes, était très forte. Depuis 2019, Spotify a mis en place plusieurs hub (regroupements de playlists) d'animes. Pour Romain Dasnoy, ces plateformes ont suivi le mouvement, qui a été facilité aussi par le rachat de plusieurs labels et catalogues par des grosses majors internationales: "Universal a récupéré la gestion du catalogue de Joe Hisaishi. Ghibli Records s'est mis à s'autodistribuer à l'étranger. Sony Music depuis peu pousse la licence Naruto sur les plateformes de streaming audio." Cette explosion de l'offre légale donne enfin l'écrin tant attendu pour les fans du genre. En effet, si la qualité des productions a pu être impactée par la crise économique, le marché des fans d'animation japonaise lui n'a cessé de grandir depuis 25 ans. Et les acteurs locaux, eux, n'ont cessé de se professionnaliser. "Notre société existe depuis plus de dix ans et ce n'est qu'en 2020 que nous avons produit notre premier album audio de musique d'anime. Tant il était compliqué de libérer les droits", confie Romain Dasnoy.


Le vinyle, bien plus qu'un CD

© Wayô records

Depuis 2017, une certitude s'installe sur le marché du disque audio : le retour des vinyles n'est pas une simple tendance éphémère. Tous les acteurs sont unanimes: le vinyle n'est pas seulement un disque, c'est aussi et surtout un objet de collection. "Les Japonais se sont rendu compte qu'il y avait un marché de plus en plus important avec un produit de luxe, pour les collectionneurs. En effet, un vinyle coûte plus de dix fois plus cher à produire qu'un CD", explique Romain Dasnoy. Les CD audio étaient achetés par tout le monde mais ils ont majoritairement été remplacés par le streaming, que ce soit Spotify, Deezer ou même YouTube. Aujourd'hui, ironiquement, le vinyle est le vrai remplaçant du CD, mais avec un public restreint, celui des collectionneurs, explique Romain Dasnoy. "Nous vendons plus de vinyles que de CD chez Wayô Records, l'objet est plus important, plus "collectible"", analyse le producteur.

Et pourtant, un vinyle ne peut contenir que 20 à 25 minutes par face, bien moins qu'un CD. Impossible dès lors de proposer des intégrales: une bande son qui tiendrait sur 4 CD audio nécessiterait 10 disques vinyles et le coût serait trop élevé. Pour Olivier Fallaix, l'explication est très simple: "Un vinyle est un très bel objet, aujourd'hui certains achètent un vinyle pour l'afficher sur un mur, comme une figurine mais écoutent les musiques en mp3. Se lever pour tourner le disque fréquemment n'est pas compatible avec un usage courant."

Romain Dasnoy acquiesce: "On écoute un vinyle lors d'une soirée plaisir. Mais au quotidien on n'écoute pas de vinyle. La consommation de base aujourd'hui est portée par le smartphone ou l'ordinateur, pendant le travail, branché sur des écouteurs ou une chaîne hi-fi."

Aujourd'hui, Milan Records, Wayô Records, Kana Musique et All the Anime sont les principaux acteurs sur le marché européen.


Les particularités de la fabrication d'un vinyle

Réaliser un disque vinyle est bien plus complexe que de fabriquer un CD. Pour les CD, il y a très vite des économies d'échelle, alors que pour les vinyles, le coût est plus long à amortir par rapport au volume. Mais ça n'est pas tout. La majorité des musiques aujourd'hui sont produites et enregistrées numériquement, ce qui n'était pas le cas dans les années 90 où tout était analogique, des consoles d'enregistrement aux bandes magnétiques. Pour imprimer un CD audio, le master numérique est suffisant, mais pour presser un vinyle, il faut convertir le master numérique pour adapter les fréquences à l'analogique. Puis il y a le cutting, l'étape de création du moule à partir de ce fichier converti. "L'étape du cutting est cruciale, car tout défaut potentiel de ce master analogique sera gravé sur l'ensemble du pressage. C'est l'étape essentielle du contrôle qualité", explique Romain Dasnoy. Ce travail technique est réalisé en studio spécialisé et l'expert explique se rentre souvent chez ses partenaires pour écouter le rendu. Puis le moule est envoyé à l'usine qui réalise un press test. Pour vérifier que le transfert du moule n'a pas engendré d'artefact audio, qu'aucune poussière ne s'est incrustée lors de la phase de pressage. Cette première série d'étape prend généralement 2 à 3 mois. S'il y a le moindre problème, il faut reprendre le moule et refaire un press test, ce qui peut engendrer des mois de délais. Romain Dasnoy explique que c'est un business difficile, avec une chaîne de production onéreuse où chaque étape de la production est remplie d'incertitudes: prix de la matière première, coûts de fabrication, coûts de livraison et délais en font un domaine difficile et exigeant.

"Chez Wayô Record, notre production est réalisée en Europe. Pour la fluidifier, nous travaillons avec 5 usines différentes", explique le responsable de Label.

 Aujourd'hui Hollywood n'a plus le monopole des compositeurs iconiques. 


Wayô, All the Anime et Kana Home Vidéo, trois acteurs du marché du vinyle en France

Les ventes de Wayô Records oscillent entre 10.000 exemplaires pour les plus gros succès et 500 exemplaires pour les sorties plus confidentielles. Aujourd'hui, le marché du jeu vidéo est plus porteur. D'ailleurs plusieurs records de ventes de CD de jeux vidéo ont passé la barre des 100.000 unités et le marché vidéoludique rapporte plus de royalties aux ayants-droit que MTV. "Aujourd'hui Hollywood n'a plus le monopole des compositeurs iconiques. Les enfants spirituels des Williams, Morricone, Shore, Elfman se retrouvent aussi dans le monde de l'animation et du jeu vidéo", ajoute Romain Dasnoy.

Le label audio de All the Anime a surpris tout le monde avec la BO du film adapté du manga A Silent Voice. Depuis, l'éditeur a publié une quinzaine d'albums. Un travail de fourmi, explique Sylvie Brevignon: "Il faut deux ans entre le début de la négociation des droits et la publication d'un album." Si le plus gros succès du label est sans surprise L'Attaque des Titans, la majorité des projets ont un premier pressage européen de 2000 exemplaires et se retrouvent très vite sold out. Avec la pénurie des matières premières, il est très difficile de planifier des réimpressions, mais l'éditeur ne s'interdit pas d'y réfléchir, sauf sur les éditions deluxe qui sont en général limitées à un seul tirage, à l'instar de la précommande en cours pour l'OST de Jujutsu Kaisen en un coffret de 5 vinyles.

C'est en septembre 2020 que l'éditeur Kana Home Vidéo se lance dans le marché du vinyle de musique d'anime avec la BO du film One Piece Stampede. Le premier pressage pour tester le marché était de 800 exemplaires et a été épuisé en moins de trois mois. Pascal Benattar, ex-responsable multimédia production & simulcast Citel (éditeur vidéo du groupe Média participations qui possède Kana), ADN et Mediatoon, passé depuis chef de produit chez Microids, raconte le cheminement qui a accompagné la naissance de ce label:  "Je suis un fan de bande son d'anime depuis toujours. Depuis 14 ans, je souhaite ajouter des OST en bonus de nos coffrets DVD et Blu-ray, mais à cause des droits morcelés c'était impossible. Le déclic a été quand John Sulo a chanté le générique de One Piece en japonais avec des supporters nippons pendant la Coupe du monde de football."

"Nous souhaitions commencer par Naruto qui est notre série phare, le Dragon Ball de Kana, la série avec laquelle j'ai grandi ici, explique Pascal Benattar. Mais nous avons eu une validation plus rapide pour One Piece. Alexandre Darmon s'est occupé de la prod et de la fabrication de ce collector et pour le mastering nous avons fait appel à un grand professionnel du monde du jazz, et cela s'entend. Nous avons décidé de partir sur un vinyle de couleur bleue pour coller à la série. Mais sur ce type de produit, nous n'avons pas à régler que des droits audio mais aussi des droits d'images. Sur des licences très populaires comme One Piece, cela peut être compliqué".

Alors que le marché du DVD et du Blu-ray d'animes se rétracte de 20% par an depuis quatre ans, Kana Home Vidéo mise sur les vinyles comme relais de croissance. "Les ventes de vinyles en France sur les trois dernières années ont doublé. Nous recevons énormément de sollicitation sur les réseaux sociaux, ce qui nous conforte dans ce choix", explique Maxime Gaillard, chef de produits chez Kana. Ce dernier explique que, depuis septembre 2021, l'éditeur s'est lancé dans une course aux licences: "Nous allons sortir, juste avant la Saint-Valentin, Naruto Best Collection, un tirage en édition limité à 800 exemplaires, numérotés et signés, pour les 20 ans de la série à 40€, avec une sélection des meilleurs génériques. Et nous sommes actuellement en négociation pour plus d'une dizaine de licences."


Milan records : le label historique

Dans la distribution des films d'animation en France, Eurozoom est indissociable du marché francophone. Du côté de la musique, Milan Records est lui aussi un acteur historique du milieu. Jean-Christophe Chamboredon, son directeur, raconte pour L'Internaute comment le label a plongé dans la fièvre de l'animation et est devenu aujourd'hui une référence indiscutable avec un catalogue aussi riche que qualitatif.

Milan Records est un label construit sur les BO de films. D'où vient cette passion pour les musiques de films ?

Jean-Christophe Chamboredon: C'est mon père, Emmanuel Chamboredon, qui a créé le label il y a 40 ans. C'est arrivé un peu par hasard. Il a produit sa première bande originale après quelques échecs d'albums d'artistes. Il avait rencontré lors d'un événement Rainer Werner Fassbinder, le réalisateur allemand, qui cherchait quelqu'un pour sortir la BO de son film Lili Marleen. Il en a vendu 20.000 disques, de loin la meilleure performance de son jeune label. Mon père, comme moi, aime le cinéma et le théâtre presque plus que la musique elle-même, c'est donc naturellement qu'il s'est peu à peu spécialisé dans le domaine des musiques de films. En 1982, il a sorti la BO de Diva, le film de Jean-Jacques Beineix (qui a réalisé 37,2°C le matin par la suite), avec la chanson La Wally, interprétée par Wilhelmenia Wiggins Fernandez. Il a vendu 2 millions d'exemplaires de ce vinyle. Et depuis nous n'avons plus quitté le monde des bandes son.

Votre label, très tôt, s'est ouvert aux musiques de films d'animation japonais. Racontez-nous comment c'est arrivé.

Mon père avait édité la chanson de Robotech interprétée par Bernard Minet, mais il n'y a pas eu de volonté explicite de s'installer au Japon. Ce métier de directeur de label est avant tout un métier humain, ponctué de rencontres. Mon père, et là encore moi aussi, adorait voyager, rencontrer des gens de divers horizons. Sortir des musiques de films d'autres pays, pour avoir un impact hors de leur zone culturelle, est un véritable plaisir.  Dans les années 90, il avait sorti les bandes son des films de Takeshi Kitano, mais aussi ensuite des studios Ghibli et la perle Paprika de Satoshi Kon. Il allait assez régulièrement au Japon et ramenait des albums dans ses valises, plus via des rencontres humaines que par un intérêt particulier pour l'animation.

Moi je fais partie de ceux que l'on a baptisé "la génération Club Dorothée" et j'ai toujours eu une appétence pour le Japon. En 2014, mon père m'a dit que si je n'allais pas au Japon, jamais les éditeurs locaux ne travailleraient avec moi. Je m'y suis rendu en vacances en famille mais j'ai quand même pris quelques rendez-vous. Pour le premier, je m'en souviens comme si c'était hier, je me suis rendu à la Tôhô. Mon père avait travaillé avec eux pour distribuer en France la musique du film Les Enfants loups de Mamoru Hosoda, et ce dernier travaillait à l'époque sur Le Garçon et la Bête. Je suis tombé sous le charme de la composition de Masakatsu Takagi et je suis revenu avec les droits de distribution pour la France dans ma valise. Je suis retourné au Japon un mois plus tard pour signer plusieurs contrats et ai développé une relation amicale avec Haruo Sai, le responsable du département musique de Tôhô. Il m'a permis de découvrir la BO du live-action de L'Attaque des Titans. Si le film est moins bon que la série animée, la musique de Shiro Sagisu est un chef-d'œuvre.

Sai-san, avant d'occuper ce poste, était producteur et il avait produit le film d'animation Ninja Scroll. C'est le premier vinyle que j'ai édité. Nous en avions pressé 1000 exemplaires pour tester le marché américain. J'habite aux USA depuis 20 ans et, à l'époque, l'animation japonaise n'était pas du tout répandue. Le plus gros rassemblement américain, Anime Expo à Los Angeles, n'accueillait en 2014 que 10.000 visiteurs. Aujourd'hui plus de 100.000 fans s'y pressent. L'animation a explosé aux USA, bien portée par les services de SVOD mais aussi les célébrités acteurs ou rappeurs qui ont déclaré publiquement leur flamme à ce médium.

© Milan records

Obtenir les droits d'Akira semble avoir été un véritable combat, pourquoi était-il si important pour vous de le mener ?

Musicalement, le projet qui a tout lancé pour moi, c'est Akira. Dès le moment où je l'ai vu, je n'avais plus qu'un seul rêve, celui de publier sa bande originale qui n'était disponible nulle part. Les droits à l'époque étaient chez JVC, qui avait rejeté par courrier ma demande. Mais un jour au Japon, j'ai rencontré une personne qui travaillait chez JVC, j'ai poussé, poussé et finalement, au bout de trois ans, j'ai pu publier cet album. Comme cette licence était perçue comme intouchable, réussir à publier ce vinyle m'a ouvert de nombreuses portes. Montrer que j'étais capable de convaincre JVC, Shōji Yamashiro et la Kodansha a prouvé que j'avais la patience pour travailler au rythme du Japon. C'était le Graal dans tous les sens du terme. Les ayants-droit d'Akira sont extrêmement pointilleux et exigeants, ils ont des demandes que les labels européens et américains ne peuvent pas satisfaire, mais j'ai alors un luxe particulier: celui du temps. Le film étant sorti il y a 30 ans, il n'y a aucune urgence à sortir cette édition. Mais le compositeur d'Akira, Shōji Yamashiro, est un scientifique très rigoureux, on a dû refaire six fois le cutting du vinyle avant qu'il ne soit satisfait, c'était très dur. Je pensais trouver de l'ordre de 5000 fans, mais j'ai déjà vendu 50.000 exemplaires de l'album.

Kaneda de Geinoh Yamashirogumi est le morceau préféré de Jean-Christophe Chamboredon. Il explique: "Au-delà du domaine de l'animation, c'est pour moi l'un des morceaux les plus forts jamais créés. Il est tout simplement dingue et hors du temps. On peut le faire écouter à un musicologue, à un enfant, un fan d'anime, une ménagère de 50 ans, tout le monde sera convaincu. Il est très rare dans la musique de film d'avoir un morceau à l'épreuve du temps et universel. Sinon j'aime aussi énormément le morceau d'ouverture du film Paprika".

Qu'a changé le rachat par Sony Music ?

Milan Records a été acquis par Sony Music en 2019. Aniplex, le producteur d'animation, appartient à Sony Japan. Cela ouvre encore plus de portes que d'appartenir à la même famille. En termes de perspectives, c'est très excitant de travailler avec Sony.

Le premier projet que l'on a récupéré en arrivant chez Sony c'est la BO de Promare. On prévoit de sortir tout le travail de Hiroyuki Sawano et on a déjà édité 15 albums de ce compositeur de génie.

Après Promare, nous avons édité la série Fate, et nous venons juste de mettre en place le partenariat sur Naruto, que nous venons de rendre légalement disponible en numérique sur de nombreux territoires. Depuis 2015, la mentalité du Japon a changé vis-à-vis du numérique car, historiquement, c'est un marché très porté sur le physique et ils voyaient le numérique comme un ennemi. Il y avait une vraie angoisse à l'idée que la distribution soit monopolisée par des acteurs étrangers comme Apple ou Spotify, alors qu'avec le physique ils avaient le contrôle total sur la distribution. L'explosion de Line a beaucoup aidé à faire accepter le numérique dans de nombreux domaines au Japon. Il faut toujours publier le CD physique six mois avant d'autoriser l'exploitation numérique d'un album. Mais le tempo commence à changer, petit à petit.

Quelles sont vos plus belles surprises ?

En termes de ventes, sans contexte Cowboy Bebop. Nous avions estimé les ventes à 20.000 unités, ce qui était déjà un très bon chiffre, mais aujourd'hui on a passé la barre des 100.000 ventes. Et la série sur Netflix risque de mettre encore plus en avant cette magnifique bande son. Le double album Evangelion Finally est aussi un succès incroyable qui nous a pris de court.

L'objet vinyle, comme les beaux livres, peut servir à définir des gens 

Le format vinyle attire-t-il les collectionneurs ? 

Très probablement. D'ailleurs, dans l'industrie du disque, avoir des albums disponibles qu'au format physique peut sembler être une aberration en 2021. Mais sur certains titres de notre répertoire comme Akira ou Cowboy Bebop, nous ne possédons pas les droits numériques. Mais c'est un catalogue avec un public un peu fétichiste qui achète des figurines, DVD, Blu-rays, et l'objet vinyle peut s'inscrire dans cette dimension. Après, la mode du vinyle est bien plus qu'une mode. Tous les indicateurs prédisent au moins 20 ans de croissance. Au premier semestre 2021, le marché du vinyle aux USA a augmenté de 91%. Et quand je vais dans un magasin de vinyle, je suis agréablement surpris de l'éclectisme de la clientèle. On y croise tout le monde : du vieux rocker aux cheveux blancs à l'adolesccent qui achète son vinyle en payant avec le "sans contact" de son iPhone. Aujourd'hui d'ailleurs, avec la dématérialisation, l'objet vinyle, comme les beaux livres, peut servir à définir des gens. Quand on rend visite à quelqu'un, en un coup d'œil à sa bibliothèque ou sa discothèque, on sait à qui l'on à affaire.

Sur un marché de fétichistes, vous comptez privilégier les titres vintage ?

Nous allons sortir du vintage bien entendu mais aussi continuer sur le segment des nouveautés. Quand j'ai commencé à publier des vinyles d'animes aux USA, j'étais seul sur le marché. Aujourd'hui, il y a une vraie concurrence. Il est primordial de rester à la pointe de la nouveauté, que Milan Records soit reconnu comme un précurseur de tendance et un dénicheur de talent. J'ai 45 ans mais je regarde My Hero Academia avec plaisir. J'aime rester curieux et comprendre pourquoi des gens aiment des créations qui ne sont pas taillées pour moi.

Quelles sont vos recommandations au regard de la nouvelle vague de compositeurs ?

© Milan records

Il y a toute une génération de compositeurs talentueux. J'adore Kensuke Ushio, son travail sur Japan Sinks, Ping Pong ou Devilman est incroyable. J'aime aussi beaucoup Taisei Iwasaki, dont la touche jazz-funk accompagne très bien la bande son de Belle de Mamoru Hosoda. Yuki Hayashi, sur My Hero Academia, signe des compositions orchestrales et électroniques hyper entraînantes. Pour moi, ils figurent parmi les compositeurs les plus excitants aujourd'hui. Je trouve qu'il est difficile d'écouter une musique de film sans l'avoir vu, mais eux arrivent à créer ce lien émotionnel avec juste l'audio. Leurs bandes son, à l'instar des mangas, mettent en scène des émotions exacerbées, c'est ça qui me plaît le plus. On ne peut pas retrouver ces débordements de vie à Hollywood qui est bien trop normé de nos jours. On commence aussi à voir des nouveaux compositeurs qui acceptent enfin de réaliser des scores en dehors du Japon. Jusqu'à il y a peu, seuls Yôko Kanno et Ryuichi Sakamoto ont eu une carrière internationale. Ça n'est pas normal au regard des nombreux talents que recèle le pays du Soleil-Levant.

Un teasing ?

Nous allons sortir très bientôt la BO du dernier film de Mamoru Hosoda : Belle (sortie en France en décembre 2021).