Clowes World : le monde de l'auteur de BD Daniel Clowes

Clowes World : le monde de l'auteur de BD Daniel Clowes Son "Rayon de la mort" sort en français aux éditions Cornelius. Sens de l'étrange et regard sensible, humour ravageur et finesse de l'observation : Dan Clowes, l'auteur de "Ghost World", est l'un des meilleurs auteurs de BD contemporains.

Si vous ne connaissez pas Dan Clowes, alors vous avez de la chance : il vous reste à découvrir l'un des meilleurs créateurs de bande dessinée de ces 20 dernières années. Un scénariste et dessinateur exigeant dont la carrière aurait très bien pu s'arrêter quelque part dans les années 1990, lors de la profonde crise qu'a subi la BD américaine.

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L'affiche - avec un dessin de Dan Clowes - du DVD américain d'Art School Confidential de Terry Zwigoff, d'après l'auteur. © Columbia / Tristar Films

Mais il a su capter l'attention d'un public de plus en plus large, cinéma aidant (il a signé l'adaptation de son Ghost World, réalisée par Terry Zwigoff, sortie en France en 2002), et son périodique Eightball (24 numéros publiés aux Etats-Unis depuis 1989 aux éditions Fantagraphics) a atteint un niveau de reconnaissance critique maximal.

Les débuts de l'auteur, né en 1961, ne laissaient pas toujours prévoir une pareille évolution. Dan Clowes est en effet passé de la caricature outrancière, parfois cynique ou revancharde (les histoires courtes regroupées pour la plupart dans un recueil en français intitulé Eightball, aux éditions Cornélius), à des récits d'une rare subtilité (Caricature, David Boring, Ice Haven ou Le Rayon de la Mort - ces trois dernières oeuvres également aux éditions Cornélius).

Et si les premiers Eightballs faisaient preuve d'un humour ravageur, il manquait à Clowes la force évocatrice et la profondeur de vue qui est à l'oeuvre depuis au moins Ghost World.

Rien d'étonnant donc à ce que ce soit cette histoire qui, la première (a suivi Art School Confidential, également réalisé par Terry Zwigoff et lointainement basé sur une courte - et hilarante - BD tirée d'Eightball 7), a fait l'objet d'un passage sur grand écran.

Derrière la parodie, la compassion

Si l'on pouvait déceler chez le Clowes des années 1980 et du début des années 1990, derrière la satire féroce, un sens aigu des dysfonctionnements de la société, marqué par un profond pessimisme, les premiers récits n'affrontaient pas directement ce qu'ils dénonçaient par le biais de l'humour (noir) ; la détresse et la solitude de personnages urbains, middle-class, ne témoignaient pas encore, étouffées par l'outrance de la parodie, la compassion qui s'est déployée plus tard.

Clowes n'est cependant pas un donneur de leçons : au pire il exacerbe les archétypes, au mieux pointe, loin d'un quelconque deus ex machina, la bétise de tout un chacun, et la faible propension de l'individu à s'extraire de ses préjugés.

Si certains pamphlets restent maladroits (les sorties de l'auteur sur le sport en particulier, excessivement méchantes), l'alchimie entre l'observation sociale et le vécu intime (ce qui manquait à ses travaux les plus anciens), évitant ainsi toute généralité hâtive, est la marque de son oeuvre récente.

De l'étrangeté à la David Lynch et un graphisme étonnant, sobre mais expressif

A ce regard sensible est allié un sens de l'étrange (Comme un gant de velours pris dans la fonte) qui rappelle l'univers de David Lynch, et un graphisme étonnant, lorgnant parfois vers le cartooning, de facture classique, sans effet ostentatoire, mais marqué d'un style immédiatement perceptible.

Tout comme ses personnages, le dessin de Clowes est emprunt d'immobilisme, mais ne nous méprenons pas : il s'agit moins de statisme que d'une invitation à la contemplation et à la réflexion, proche du travail de l'illustrateur - chez Clowes d'ailleurs, le texte soit abonde soit brille par son absence.

Où se situe l'art ? Est-il un échappatoire ?

Publié en 1995 aux Etats-Unis, Caricature marque de manière éblouissante l'entrée dans la deuxième période de Dan Clowes. Avec David Boring, il s'agit sans doute ce que l'auteur a réalisé de meilleur.

Caricature est, en seulement 16 planches, une réflexion puissante sur le rôle de l'art (mineur ou majeur). Le récit, selon un schéma typique chez Clowes, met en scène le caricaturiste Mal et sa rencontre avec une adolescente, Theda (une anagramme pour "death" ?), mystérieuse, ironique, qui se joue de lui tout en l'admirant.

Aucun de ces deux personnages n'a le beau rôle. Ni Mal, qui s'amourache sans raison véritable, ni Theda, irresponsable et incertaine, dont la relation à l'art oscille entre le dégoût (ses parents seraient des célébrités du monde artistique) et la dévotion à une forme de culture alternative, dont elle voit en Mal une sorte d'incarnation la moins mauvaise (et la plus proche d'elle).

Le lecteur et Mal seront d'ailleurs laissés dans le doute. A la fin de Caricature, la confiance de Mal en son talent s'est étiolée et la relation ambigue qu'il vient de nouer le plonge autant dans le malaise qu'elle aura constituée la possibilité d''un échappatoire.

On pourrait d'ailleurs résumer une grande partie de l'oeuvre de Dan Clowes par cette dernière phrase. Ce serait toutefois courir le risque de passer sous silence la grande liberté dont il fait preuve, dans la narration comme dans ses choix de carrière.

Pour cet homme de bientôt 50 ans, la BD n'est plus désormais la seule activité et le rythme de sa production s'en ressent. Outre les films, Clowes a aussi contribué à des magazines comme The New Yorker ou The Village Voice, illustré des pochettes de disque, ou encore l'affiche du film Happiness de Todd Solondz.

Il a rencontré un succès autant critique que publique : la BD Ghost World a ainsi dépassé les 100 000 exemplaires vendus aux Etats-Unis, une véritable performance pour une production de ce type sur le marché outre-atlantique.

Cette année 2010 verra la sortie de Wilson aux Etats-Unis, sa première BD complète depuis six ans (et la sortie américaine du Rayon de la Mort, aujourd'hui disponible en français chez Cornélius).