Boudia Sylla (Auteur) "Il ne faut pas opposer le langage des cités au français enseigné. Il faut juste savoir basculer de l'un à l'autre en fonction des situations."
Le "Lexik des cités" est un ouvrage collectif écrit par onze jeunes qui ont baigné de la culture des banlieues. Boudia Sylla, styliste de 20 ans, nous explique ce que cette expérience a changé dans sa vie.

Pourquoi avoir choisi de réaliser le "Lexik des cités" ?
Nous étions plusieurs jeunes à travailler autour des mots dans l'idée de communiquer, certains dans un magazine, d'autres dans un groupe de rap féminin, ou encore dans le graff. Puis ensemble, avec l'association Permis de vivre la ville, nous avons répondu à un appel à projet "lutte contre les violences" lancé par le Département et la Préfecture de l'Essonne pour expliquer nos mots, pour se faire comprendre et arrêter les malentendus. Une main tendue.
En quoi consiste ce lexique ?
Il y a 241 mots illustrés ou graffés. Chaque mot a plusieurs entrées : une phrase contexte pour expliquer l'usage, le sens et, en fonction des mots, soit une étymologie réelle, soit une étymologie imaginaire, des troncations ou le verlan, quand il en est issu. Enfin, il y a une BD en deux cases qui met en scène un quiproquo entre une mère et sa fille.
Comment se sont déroulées vos recherches linguistiques ?
Avec le temps, les recherches linguistiques sont venues assez naturellement. On a demandé aux parents pour les mots d'origine étrangère. On a consulté des dictionnaires, on est allé en bibliothèque, on a surfé sur internet. Et bien sûr, on a aussi demandé à certains linguistes, profs ou amis de nous donner un coup de main, pour confirmer nos trouvailles.

Quel message souhaitez-vous faire passer à travers ce livre ?
Que ce vocabulaire n'est pas un appauvrissement du français et que c'est une chance de pouvoir parler avec nos amis avec nos mots. Nos mots ont une histoire, ils sont souvent issus du français académique, sans lequel rien n'existe. Donc il ne faut pas opposer le langage des cités au français enseigné. Il faut juste savoir basculer de l'un à l'autre en fonction des situations.
Ce dictionnaire compte une dizaine d'auteurs. Comment s'est déroulée cette collaboration ?
Pour l'écriture, on se voyait une à deux fois par semaine pour travailler tous ensemble. Parfois, on travaillait chez nous et puis on mettait en commun les résultats, on lisait et on s'autocritiquait...On a appris à accepter les critiques et à refaire. Pendant les vacances, nous sommes partis dans des endroits isolés, à la campagne, où il n'y avait rien, même pas de réseau de téléphone...pire que Koh Lanta, pour pouvoir travailler tranquillement.
Qu'avez-vous appris de vous-mêmes en rédigeant cet ouvrage ?
Ca m'a fait grandir. Déjà parce que j'ai tenu mes engagements pendant trois ans et je ne suis pas patiente de nature. Apprendre l'origine des mots m'a donné envie d'en savoir plus. Maintenant quand j'entends un mot, je veux savoir d'où il vient.
Avez-vous été surpris par l'origine de certains mots que vous pensiez bien connaître ?
Oui, par exemple "toubab", je ne savais pas que cela venait du "tebib" arabe. Je pensais qu'on l'avait inventé au Mali. "Daron, daronne" qui est un mot très ancien et aussi "balancer" qui vient de "balancer le chiffon rouge", sa langue, une expression de l'argot du XIXe siècle, je crois.
Qu'est-ce que ce projet a changé dans votre vie ?
Cela nous a fait sortir de notre quartier, de notre petit monde. On est parti loin. On a rencontré des linguistes, des journalistes, on a travaillé avec des profs. Avant, ça n'aurait pas été possible. Et puis, notre livre est dans des bibliothèques et des librairies. Cela fait plaisir, on est fiers.
Avez-vous un message à faire passer aux internautes ?
Lisez le lexique, vous allez en apprendre et la prochaine fois que vous entendez des jeunes parler entre eux, essayez d'écouter, de comprendre et ne soyez pas choqués tout de suite.