Expositions, ventes d'originaux… Le manga à la conquête d'une légitimité au sein de l'art contemporain

Expositions, ventes d'originaux… Le manga à la conquête d'une légitimité au sein de l'art contemporain Expositions muséales, ventes aux enchères qui défraient la chronique… Les originaux de comics et de bandes dessinées se sont imposés dans le monde de l'art contemporain. Mais quid du manga ? Les organisateurs de Manga Emu Art Fair souhaitent répondre à cette anomalie.

On l'appelle le 9e art, et pourtant longtemps l'art séquentiel a été snobé par les grandes instances du monde artistique. Après les comics et la bande dessinée, le manga rêve aussi d'une reconnaissance institutionnelle.

Le manga, à l'instar de la bande dessinée franco-belge et des comics américains, a longtemps été perçu comme un produit dérivé de la culture populaire, réduit à sa dimension mercantile.

Associé à des objets de consommation courante – affiches, vêtements, figurines ou autres " goodies " – il était cantonné à un rôle de divertissement de masse, souvent jugé superficiel ou infantile. Après tout, le mot " manga" ne se traduit-il pas par " images dérisoires" ?

Pourtant, derrière cette apparente légèreté se dissimule une richesse narrative et graphique que le grand public s'est appropriée depuis des années… et que les institutions culturelles commencent progressivement à reconnaître et à valoriser.

Quand le monde des bulles déboule dans les musées

Entré de l'exposition au Centre Pompidou "La bande dessinée au Musée" © Valentin Paquot

Tout un symbole : la dernière exposition majeure du Centre Pompidou – avant fermeture pour travaux de rénovation – a été dédiée au 9e art. Cet événement d'une générosité incroyable a entrouvert la porte aux planches de manga. Le musée Guimet proposera par ailleurs une exposition dédiée au manga du 19 novembre 2025 au 9 mars 2026, Manga. Tout un art !

L'art séquentiel n'a pas vocation à n'être reconnu qu'entre les murs d'un musée. Les dessinateurs ont eux aussi leur place dans les grandes ventes des commissaires-priseurs.

Des visionnaires, à l'instar de Daniel Maghen, ont permis d'établir en Europe un marché de la planche de bande dessinée. Certains auteurs de BD gagnent même plus d'argent avec la vente d'originaux qu'avec les droits d'auteur des ventes de leurs albums. On a vu récemment le galeriste belge Frédéric Lorge organiser la première exposition-vente de celluloïds d'animation japonaise. La maison Aibo Art Auction organise sa 10e vente dédiée aux celluloïds d'anime le dimanche 22 juin 2025 à 14h. Les œuvres sont visibles à la galerie Meutes Studio (61, rue du Faubourg Poissonnière, à Paris) du vendredi 20 juin au samedi 21 juin.

Si les chiffres des ventes s'envolent pour un original d'Hergé ou de Kirby, un mur semble persister, entre les parangons de l'art contemporain et les esthètes du 9e art. Et ce mur commence enfin à trembler…

Le manga, de l'art séquentiel à l'art contemporain

Au Japon, à l'initiative d'Azuma Takeshi, connu en Occident pour le titre Ultimate Otaku Teacher, une exposition-vente d'œuvres d'art originales créées par 8 mangakas et illustrateurs de renom baptisé Manga Emu Art Fair aura lieu à Tokyo du 3 au 8 juillet 2025.

© Manga Emu Art Fair

Azuma Takeshi estime que "dans un manga, le plus important est de transmettre une émotion ou un message aux lecteurs à travers une histoire. Le dessin passe souvent au second plan dans l'appréciation d'un manga, on aime l'histoire ou les sentiments générés par un manga avant d'en apprécier son art. Souvent, les mangakas ne sont pas reconnus comme des artistes à part entière. Comme si le manga était un genre mineur, indigne d'être considéré comme une pièce du puzzle "art contemporain". Il est temps de remédier à cette anomalie".

C'est animé par cette passion que l'artiste a contacté ses amis mangakas et illustrateurs. Après près de cinq ans d'organisation, la première édition du projet "Manga Emu Art Fair" voit le jour. Les ambitions sont grandes : chaque artiste va réaliser une ou plusieurs œuvres tirées de son imagination, autour de la thématique "Quelle est la définition du créateur, de l'artiste, dans l'ère de l'IA ?" Plus que jamais, il est crucial de défendre les créateurs.

Cette première édition accueille les artistes : Azuma Takeshi (Ultimate Otaku Teacher), Yun Koga (Loveless), Hiroshi Fukuda (5 minutes forward), Yoshinobu Yamada (Deathtopia), Kuroda bb (A-Channel), Satoshi Shiki (L'Attaque des Titans - Before the Fall), Akio Watanabe (chara designer de renom), Kuromaru (Kurosagi). Cinq d'entre eux ont une ou plusieurs œuvres publiées en France.

Plus qu'une exposition, cet événement a vocation à montrer que des amateurs d'art sont prêts à investir dans des illustrations réalisées par des mangakas, animateurs ou illustrateurs.

Pour que ces derniers aient une nouvelle source de revenus, de la part de ces mécènes modernes à travers des commissions artistiques analogiques ou numériques.

Le projet a convaincu à tel point que le groupe initial est déjà monté à 28 artistes pour sa seconde édition (probablement à la Singapore Art Week de Janvier 2026). Les noms de cette liste élargie ne sont pas encore publics, mais l'auteur de ces lignes a pu voir certains candidats et nous pouvons vous assurer que l'on parle de mangaka qui ont, chacun, vendu plusieurs dizaines de millions de tomes.

Une aventure qui semble s'inscrire dans la durée. Ne manquez pas cette première édition si vous avez la chance d'être à Tokyo.

Manga Emu Art Fair, 1ère édition, du 3 au 8 juillet 2025 Tokyo, Shibuya-ku, Jingumae 6-chome 31-21, Tokyu Plaza Harajuku Harakado 3F.

La France et la BD ne sont pas en reste

© Buck Danny Art Strips

Cocorico, une initiative portée par Jean-Louis Dauger, le fondateur d'Art Dynamics et la galerie L'Œil bleu, proposait une expo vente mettant en valeur Buck Danny, le chef-d'œuvre de Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon.

Les fans du champion de la BD d'aventure pourront découvrir des tirages limités – avec certificat d'authenticité signé par les ayants droit des auteurs originaux – en grand format d'une sélection de 12 planches ou cases tirées de l'univers de Buck Danny. Ainsi qu'une box contenant l'intégralité des illustrations en 30x20 cm sur papier fine art.

Fans de l'œuvre ou de l'art séquentiel, cet hommage revisitant les magnifiques originaux de Victor Hubinon était à ne pas manquer !