Dominique Le Guludec (HAS) : "Nous allons intégrer les vaccins bivalents à la stratégie vaccinale"

Dominique Le Guludec (HAS) : "Nous allons intégrer les vaccins bivalents à la stratégie vaccinale" Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de Santé, revient dans une interview accordée à Linternaute sur la forte probabilité d'affronter de nouveaux variants du Covid-19 à l'automne ainsi que sur l'aménagement de la stratégie vaccinale avec les vaccins bivalents.

A la tête de la Haute Autorité de Santé (HAS) depuis 2017, Dominique Le Guludec est devenue un des visages de la gestion de la crise sanitaire du Covid-19. Alors qu'une huitième vague épidémique se profile pour l'automne 2022, l'autorité français insiste toujours sur le recours à la vaccination. Qui est concerné ? La recommandation d'une deuxième dose de rappel va-t-elle s'étendre ? Les nouveaux vaccins bivalents Pfizer et Moderna vont-ils être intégrés dans la stratégie vaccinale ? Autant de questions auxquelles la présidente de la HAS a répondu à l'occasion d'une interview accordée à Linternaute.

Linternaute - Une huitième vague épidémique de Covid-19 est annoncée pour l'automne. Faut-il craindre un rebond épidémique aussi important que les précédents avec une hausse conséquente des contaminations et des hospitalisations ?

Dominique Le Guludec - Ce qu'on sait c'est qu'on ne sait pas. Mais ces dernières années nous ont montré à quel point l'évolution de cette épidémie est rapide et imprévisible. L'institut Pasteur et Santé publique France sont plus à même de faire des projections mais il est probable que nous ayons à affronter une nouvelle vague à l'automne et affaire à de nouveaux variants. C'est une probabilité que nous sommes obligés d'anticiper et nous l'avons fait avant le début de l'été en pensant la stratégie vaccinale sur la base d'une réapparition périodique du virus. Ce scénario est d'ailleurs estimé par tous les scientifiques comme le plus probable.

Nous recommandons à toutes les personnes à risque de développer des formes graves de la maladie de faire un rappel de vaccination dans le but de diminuer l'impact de la prochaine vague. Parce que s'il y a une nouvelle vague de contamination, il faut surtout s'interroger sur le nombre d'hospitalisations, de réanimations et de décès. Et pour ça, il faut insister sur la vaccination des personnes vulnérables et de leur entourage.

Est-ce que le pic épidémique de cette nouvelle vague pourrait atteindre des niveaux semblables à ceux de juillet dernier où 135 000 contaminations étaient enregistrées par jour ? 

"Il est impossible de savoir si un autre variant comme le BA.2.75 va émerger en France et nous ne pouvons pas dire quel variant pourrait être responsable d'une vague automnale."

Personne ne peut répondre parce que personne ne sait avec quel variant arrivera cette nouvelle vague. S'il s'agit d'un variant plus virulent, nous pourrions voir apparaître plus de formes sévères de la maladie.

C'est surtout l'apparition d'un nouveau variant qui est redoutée avec la huitième vague. L'émergence du variant BA.2.75, dit Centaure, est-elle est plus inquiétante que celle d'une autre mutation ? Faut-il craindre l'arrivée de nouveaux variants ?

Des variants il y en a en permanence et il y en a plusieurs qui sont sous surveillance notamment BA.5 (sous-lignage d'Omicron majoritaire en France, NDLR) mais aucun n'a fait la preuve de sa plus grande contagiosité ou virulence. Il reste impossible de savoir si un autre variant comme le BA.2.75 va émerger en France et nous ne pouvons pas dire quel variant pourrait être responsable d'une vague automnale. C'est ce que nous a appris l'épidémie : il y a beaucoup d'inconnues et nous devons suivre son évolution de très près et nous adapter en permanence.

Si un autre variant venait à devenir dominant ou à émerger en France, serions-nous protégés grâce à la vaccination ?

Nous ne savons pas encore si les vaccins actuels sont efficaces contre BA.2.75. Quand un nouveau variant arrive, il y a trois questions à se poser : quelle est sa contagiosité ? Quelle est sa virulence ? Et quelle est sa résistance aux vaccins ? Ces trois informations nous ne les avons pas, mais il faut anticiper en espérant que, comme pour les précédentes mutations, les vaccins gardent une efficacité contre les formes sévères de la maladie. Ils ont effectivement perdu un peu d'efficacité sur l'infection, en revanche ils protègent encore très bien contre le développement des formes graves et ce même face à un nouveau variant du Covid-19. Nous pouvons aussi compter une immunité solide grâce aux 37 millions de Français vaccinés, c'est une forme de protection très importante contre les formes sévères.

Une campagne de vaccination se prépare pour l'automne, comment va-t-elle se passer ?

Il va y avoir une campagne beaucoup plus intensive. Nous avons conseillé de coupler le rappel avec la campagne de vaccination contre la grippe puisque ce sont les mêmes populations qui sont vulnérables aux deux maladies. Il y aura aussi de nouveaux vaccins pour cette campagne avec les vaccins bivalents qui arrivent.

Nous avons déjà analysé les résultats des vaccins bivalents Moderna et Pfizer-BioNTech contre le variant Omicron (BA.1). Nous étions sur le point d'annoncer leur place dans la stratégie mais nous avons eu l'information que l'Agence européenne de médicaments (EMA) avait accéléré son calendrier et allait examiner très rapidement les bivalents ciblant BA.4 et BA.5. Nous examinons donc leurs données et allons les intégrer dans la stratégie vaccinale.

 "Si un variant plus virulent arrivait, il est évident que nous changerions notre stratégie vaccinale."

Nous connaissons les profils des personnes à risque pour qui la deuxième dose de rappel est recommandée. Est-ce que le recours à un second rappel pourrait être étendu à d'autres personnes cet automne ?

Aujourd'hui, nous avons suffisamment de recul pour savoir qui sont les personnes qui se retrouvent en réanimation ou qui décèdent. Nous savons que les individus qui ont à la base des comorbidités multiples, toutes les personnes à risque mais aussi celles qui s'en occupent, soit les profils définis avant l'été sont concernés. Ce sont ceux-là qui doivent faire un deuxième rappel. Pour les personnes de plus de 80, le rappel doit être fait à partir de trois mois après la vaccination ou l'infection précédente, pour les autres c'est plutôt six mois de délai.

Dans le contexte épidémique actuel, nous ne recommandons pas le recours à une seconde dose de rappel à d'autres populations. Évidemment nous nous adaptons en permanence à l'épidémie et si un variant plus virulent arrivait, il est évident que nous changerions notre stratégie. 

Est-ce qu'une troisième dose de rappel pourrait être recommandée ou devenir obligatoire pour certains profils dans les prochains mois ?

La troisième dose de rappel est déjà recommandée et administrée aux personnes immunodéprimés. Pour ces personnes qui répondent très mal à la vaccination, nous adaptons les rappels à leur anticorps. Mais pour les autres il est beaucoup trop tôt pour l'envisager.

"Nous allons intégrer les vaccins bivalents dans la campagne de vaccination. Il faut qu'on se penche sur leur positionnement respectif dans la stratégie vaccinale".

Vous devez rendre votre avis sur les vaccins bivalents de Pfizer et Moderna à la mi-septembre. Cela veut-il dire que la campagne de vaccination ne débutera pas avant cette date ?

La HAS est très claire là-dessus : pour les personnes à risque, les personnes fragiles, les personnes âgées, les immunodéprimés, les personnes avec de multiples comorbidités il ne faut pas attendre les vaccins bivalents. Il y aura certes un petit gain avec ces nouveaux vaccins, mais il y a une efficacité sur les formes sévères déjà importante contre Omicron avec les vaccins originels. Le risque d'attendre est supérieur au bénéfice d'attendre.

Un premier avis sur les vaccins bivalents était attendu le 5 septembre. Vraisemblablement la HAS va les approuver et ils seront utilisés lors de la prochaine campagne de vaccination, non ?

Je n'anticipe jamais car il s'agit de décisions collégiales, mais oui nous allons intégrer ces nouveaux vaccins dans la campagne de vaccination. Maintenant, il faut qu'on se penche sur leur positionnement respectif dans la stratégie vaccinale. Il y a différentes sortes de vaccins bivalents, ceux contre la souche de Wuhan et BA.1 (Omicron) et ceux contre BA.5, et nous devons encore déterminer quand utiliser plutôt l'un ou l'autre, s'il faut vacciner largement avec ces produits ou au contraire privilégier certaines cibles.

Savons-nous à quelle date les vaccins bivalents seront livrés et à partir de quand ils pourront être utilisés ? 

D'après les annonces des industriels, les premiers bivalents, ceux qui ciblent la souche de Wuhan et BA.1, devraient être livrés début octobre. Pour les autres nous ne savons pas encore.

En plus des vaccins, il était un temps question de médicaments anti-Covid mais aujourd'hui seul le Paxlovid est encore recommandé. D'autres médicaments sont-ils en développement ou en train d'être analysés ?

Le problème des anticorps utilisés dans les médicaments c'est qu'ils marchent plus ou moins selon les variants. Par ailleurs, il y a un certains nombres d'anticorps qui étaient efficaces mais qui ne le sont plus. Le Paxlovid est le seul qui demeure vraiment efficace contre les différentes mutations. Il faut faire en sorte que les professionnels le prescrivent davantage pour que les patients puissent en tirer un bénéfice et il faut le prescrire vite pour prévenir les formes sévères.

"Les vaccins à administration nasale sont très intéressants [...] on pense qu'il pourrait peut-être bloquer davantage la transmission du virus."

Les autorités chinoises ont approuvé le 5 septembre l'utilisation d'un vaccin anti-Covid inhalable. Cette décision pourrait-elle ouvrir la voie à l'autorisation de ce type de vaccin en France ?

Pour ce qui est des vaccins à administration nasale, oui c'est un concept très intéressant parce qu'on pense qu'il pourrait peut-être bloquer davantage la transmission du virus. Nous serions protéger localement et nous nous défendrions mieux contre la transmission. En revanche sur ce vaccin en particulier je n'ai pas d'avis parce que je n'ai vu aucune donnée ni aucune évaluation par des autorités scientifiques.

L'obligation vaccinale a eu pour conséquence la suspension des soignants non-vaccinés. Savons-nous quand ces professionnels de santé pourront être réintégrés dans les hôpitaux ?

La décision de réintégrer ou non les soignants est une décision gouvernementale et très complexe. Notre dernier avis [rendu le 22 juillet] ne visait pas à recommander l'obligation vaccinale. Nous avons été interrogés sur la pertinence de lever cette obligation et nous avons pensé que ce n'était pas le bon moment pour la lever dans la mesure où le vaccin reste sûr et efficace sur les formes sévères pour les plus fragiles mais également parce que nous sommes dans une grande incertitude sur l'évolution de l'épidémie dans les mois qui viennent. Il ne s'agit pas de faire le yoyo avec l'obligation vaccinale et ce grand point d'interrogation que nous avons pour l'automne fait que nous avons pensé que ce n'était pas le moment de suspendre cette obligation.

"Compte tenu des incertitudes de l'automne, la réintégration des soignants non vaccinés nous semble prématuré."

A priori il ne faut pas s'attendre à une réintégration des soignants dans le courant de l'automne ou de l'hiver...

Je ne suis pas sûre qu'en pleine vague Covid ce serait vraiment pertinent. En tout cas, compte tenu des incertitudes de l'automne, cela nous semble prématuré. Mais nous espérons bien qu'un jour nous serons suffisamment à distance de cette épidémie pour changer d'avis. C'est pour ça que la HAS assure une veille permanente et nous changeons d'avis dès que c'est nécessaire sans avoir peur de nous contredire, parce que malheureusement les données changent et il faut s'adapter.

Avec l'arrivée d'une huitième vague, le retour des restrictions sanitaires est-elle une hypothèse à laquelle il faut se préparer ?

Là encore, tout dépendra du variant, de sa virulence et de sa contagiosité. La décision de maintenir ou de lever les restrictions revient au gouvernement et tient compte des données scientifiques et épidémiques, mais aussi bien plus. Il y a une question d'acceptabilité des restrictions. Depuis deux ans, il y a eu de nombreuses restrictions et les Français ont vraiment joué le jeu, cela a aidé à limiter le nombre de formes graves et de décès.

Mais certaines mesures restent obligatoires comme le port du masque dans les lieux de soins et de santé. C'est un peu du bon sens : il vaut mieux garder le masque dans les lieux fermés, faire attention à la ventilation des pièces, etc. Il faut garder comme cap de protéger les gens à risque, ceux pouvant développer des formes graves et adapter notre conduite. Puis il faut garder à l'esprit que la levée des restrictions n'est pas synonyme de la fin de la vigilance.

A ce sujet, la question du port du masque obligatoire s'est posée avant l'été notamment dans les transports. Est ce que cette mesure sanitaire en particulier pourrait redevenir obligatoire ?

Il appartient au gouvernement de prendre ces décisions. Je crois que cela dépendra beaucoup de la virulence du variant dominant. C'est difficile de spéculer parce que ça dépendra énormément de la situation épidémique.

Les écoles suivent leur propre protocole sanitaire et cette année la rentrée s'est passée sans véritable restriction. C'est une décision raisonnable ou il aurait mieux fallu prendre des précautions supplémentaires ? 

Nous n'avons pas été saisi sur ce sujet mais c'est un point encore plus compliqué car les restrictions sont des contraintes importantes dans le quotidien des enfants. Dans la situation épidémique que nous connaissons début septembre, le protocole mis en avant paraît raisonnable. Les autres niveaux du protocole sanitaire pourront être activés selon la virulence de la vague épidémique mais est-ce qu'ils seront suffisants ? J'ai bien du mal à le dire tellement les incertitudes sur cette huitième vague sont importantes.

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