Joël Le Scouarnec : de nouvelles victimes potentielles, où en est l'affaire ?
[Mis à jour le 20 décembre 2019 à 16h13] "Le nombre de victimes potentielles de Joël Le Scouarnec s'élève à 349,". Tels sont les premiers mots de la procureure de Lorient lors d'une conférence de presse donnée ce 20 décembre, après une réunion en présence de 110 personnes, des présumées victimes et leurs proches. Laureline Peyrefitte a également déclaré qu'une partie des faits dont le chirurgien est soupçonné étaient prescrits. 229 personnes ont été auditionnées par la police dans le cadre de cette enquête "hors normes" par sa nature et par le nombre de victimes potentielles, et 197 d'entre elles ont porté plainte, dont l'immense majorité était mineurs à l'époque.
Dans l'ordinateur de Joël Le Scouarnec, les enquêteurs de la section de recherches de Poitiers avaient découvert une sorte de journal intime, dans lequel il aurait pu consigner la liste de ses victimes, avec leurs initiales, la date des faits et des commentaires personnels sur les sévices sexuels qu'il leur aurait fait subir. "Après analyse de divers supports informatiques saisis, ce sont près de 300 000 fichiers photographiques, 650 fichiers vidéos et un nombre considérable d'écrits, répertoriés dans différents fichiers classés par ordre chronologique, qui ont été retrouvés et qui ont dû faire l'objet d'une analyse approfondie," a précisé la procureure de Lorient. Les investigations sont particulièrement délicates, en raison de "la litanie souvent insoutenable des écrits", et de la quantité de données à analyser.
Le chirurgien digestif, âgé de 68 ans, a été placé en détention en 2017, accusé d'exhibition sexuelle devant une fillette âgée de 9 ans, sa voisine. Il sera jugé du 13 au 17 mars 2020 pour des faits de viols et d'agressions sexuelles commises sur quatre fillettes, qu'il a partiellement reconnus.
Suite à son arrestation de 2017, une perquisition avait été menée à son domicile, permettant la découverte de clichés pédopornographiques, de nombreuses poupées cachées sous le plancher, dont une portant des menottes, ainsi que de godemichés et de perruques de femme. Interrogée par la juge d'instruction, le chirurgien avait alors expliqué que les poupées servaient "à remplacer une vraie petite fille lors d'un acte sexuel, la masturbation". Il avait aussi ajouté : "Je m'étais créé un monde où je cultivais ma solitude […]. Je me filmais nu avec les perruques de femmes," a rapporté Le Parisien.
Le témoignage des présumées victimes
La majorité des victimes présumées du chirurgien digestif étaient mineures au moment des faits supposés. Certains d'entre elles ne se souvenaient pas des faits lorsque la police les a contactées pour vérifier les informations consignées par l'ancien médecin dans ses carnets. L'âge des supposées victimes ou encore les mécanismes de la mémoire traumatique peuvent expliquer que ces possibles souvenirs aient été inaccessibles à leur conscience parfois des années. Depuis que l'affaire a éclaté, elles sont 95 à avoir rejoint un groupe privé sur Facebook pour partager leurs souvenirs et leurs témoignages.
Une première femme du nom de Marie, contactée par la police en août 2019, n'a pas été surprise d'apprendre qu'elle avait peut-être été victime de violences sexuelles dans son enfance. La jeune femme témoigne effectivement avoir des problèmes sans sa vie intime depuis des années et avoir déjà entrepris une démarche thérapeutique pour comprendre son rapport à la sexualité. Suite à la visite des gendarmes, elle a révélé au Point avoir eu des flashs de son agression. Voici des extraits de son témoignage :
"Je n'ai pas vraiment été étonnée de découvrir que j'avais été victime d'un viol. Depuis des années, j'avais des problèmes pour avoir des rapports sexuels. (...) J'ai été opérée l'après-midi et, le lendemain matin, il est venu dans ma chambre, et il m'a violée. (...) Lors de l'audition, les gendarmes m'ont lu le passage me concernant. Ce que j'ai pu entendre était vraiment écœurant, dégueulasse, ignoble… C'est comme si on vous lisait un livre porno avec des détails bien trash et que vous comprenez que l'on parle de vous, enfant ! (...) On sent qu'il est fier quand il fait ce récit, il jouit de ce qu'il fait, c'est son plaisir à lui. Il n'a pas décrit ma douleur ni ma résistance, non, il décrit juste son plaisir. Il parle de pénétration ; c'est un viol ! (...) Je suis une fille forte, je me suis tue. J'ai pleuré, mais je ne me suis pas plainte. Je n'en ai pas parlé à mes parents. Il profitait de l'innocence des enfants et de la confiance des parents. (...) En revenant chez moi, ce soir d'août, après l'audition, ça a été vraiment difficile. La nuit, j'ai revécu quatre ou cinq fois la scène de viol : j'ai ressenti physiquement la douleur intérieure, c'était horrible… (...) Le fait de ne pas avoir eu de souvenirs, finalement, m'a protégée pendant des années."
L'escalade des déviances de Joël Le Scouarnec
Au cours des auditions, le chirurgien a fait des confidences aux enquêteurs, expliquant que son attirance pour les jeunes enfants remontait à 1985 ou 1986. A l'époque, il raconte que ses relations avec son épouse n'étaient pas au beau fixe, et qu'il a commencé à satisfaire ses désirs en dessinant des enfants nus ou en lisant des récits pédopornographiques dénichés dans des librairies parisiennes. Selon lui, c'est la rencontre avec sa nièce, A.M., qui aurait déclenché ses pulsions. Le Parisien rapporte ses propos auprès de la juge d'instruction : "Ce qui m'a troublé, c'est qu'elle était très câline. Elle venait sur mes genoux. (...) J'ai reporté ma sexualité sur cette petite fille." Lui-même a relaté que ses premières victimes étaient des fillettes de son entourage, au cours des années 1980 : d'abord des nièces et des enfants d'amis, mais aussi des patients.
En outre, Joël Le Scouarnec avait déjà été condamné en 2005 à quatre mois de prison avec sursis, pour détention d'images pédopornographiques. En 2017, il avait été dénoncé par la fille de sa voisine, K., âgée de 9 ans. Il se serait masturbé devant elle, aurait exhibé ses fesses et son sexe et aurait déshabillé la petite fille, qui l'a également accusé d'avoir introduit un doigt dans son vagin, ce qui est considéré comme possible d'après les expertises gynécologiques. Joël Le Scouarnec nie ces faits, mais a avoué des agressions sur trois autres enfants, d'après Le Parisien.
Que dit l'expertise psychologique du suspect ?
L'expertise diligentée par la justice dans cette affaire fournit des éléments supplémentaires sur la personnalité du chirurgien, qui se décrit lui-même comme quelqu'un de "froid". Selon les experts, dont les propos sont rapportés par Le Parisien, Joël Le Scouarnec serait plus intelligent que la moyenne, et aurait surtout une personnalité "perverse". L'homme serait habité par un "sentiment d'impunité et de toute puissance". L'expert psychiatre décrit le suspect en ces termes : "Il ne reconnaît pas l'autre comme un sujet mais comme un objet sur lequel il cherche à avoir une emprise."
Un rapport aux enfants qui n'est pas sans rappeler l'utilisation que Joël Le Scouarnec fait de ses poupées. "Il prend un plaisir évident à détailler (son) parcours. La transgression est elle-même érotisée et il jubile à l'idée d'échapper à la psychiatrie," a poursuivi l'expert. Au cours d'un interrogatoire, Joël Le Scouarnec aurait déclaré "avoir tourné la page de la pédophilie" alors qu'auparavant, il avait conversé cette propension à imaginer nus les enfants qu'il croisait : "Depuis je ne les regarde plus de la même façon. Ils sont l'innocence. J'ai souillé cette innocence", a-t-il affirmé.