Russie en guerre : la liste des sanctions, la contre-attaque russe

Russie en guerre : la liste des sanctions, la contre-attaque russe RUSSIE. C'est l'heure des contre-sanctions alors que la guerre dure. Après le 4ème train de sanctions occidentales qui a frappé son pays le 14 mars, Vladimir Poutine contre-attaque ce 17 mars.

[Mis à jour le 17 mars 2022 à 18h25] Recevoir un ordre de la part de la Cour de justice internationale n'aura pas non plus suffi à freiner Vladimir Poutine. Ce 17 mars, le Kremlin rejette la décision de la CIJ, qui n'est d'autre que le plus haut tribunal de l'ONU. Dans ce jugement, il a été ordonné à la Russie de suspendre immédiatement ses opérations militaires en Ukraine. Parce que la Cour n'a pas de moyen de faire respecter ses jugements, la Russie a pu les rejeter. Toutefois, ignorer les jugements contraignants et sans appel de cette Cour est une nouvelle provocation envers le droit international qui pourrait coûter cher à Vladimir Poutine. Mais pour celui qui voit la crise en cours comme l'occasion pour la Russie de "s'autopurifier" des "racailles et des traitres" de ses rangs, aucune résolution ou exclusion ne semble suffisamment grave pour arrêter la guerre. Au contraire, la Russie décide de contre-attaquer pour montrer rappeler aux Occidentaux combien ils sont dépendants d'elle, et combien tenter de l'isoler est un pari risqué.

Le processus d'isolement de la Russie s'est accéléré le 14 mars lorsque l'Union européenne a décidé d'un 4e train contre Moscou : les représailles à l'invasion de l'Ukraine ne semblent ainsi jamais prendre fin. De fait, "l'arsenal de mesures prises contre la Russie par l'Union européenne, le Royaume-Uni, le Canada et les Etats-Unis est "sans précédent", comme l'expliquait au Parisien l'avocat Olivier Dorgans, spécialiste des sanctions économiques et membre du cabinet Ashurst. Toutefois, si l'unité du soutien européen est une bonne nouvelle pour l'Ukraine, faire de la Russie un paria économique, commercial et diplomatique ne sera pas sans conséquences pour l'Occident. Si l'Europe et les Etats-Unis se sont focalisés sur les répercussions de leurs sanctions sur la Russie en tentant d'évaluer leur capacité à l'isoler et à l'affaiblir, la question de l'impact mondial de ces mesures n'a été que survolée. L'Europe a bien tenu compte des problèmes que ses sanctions causeraient à l'approvisionnement en gaz car l'impact sur les prix du gaz devrait être le plus grave et le plus coûteux des deux côtés, Gazprom étant le 1er fournisseur de gaz de l'Europe. Mais Vladimir Poutine a rappelé que les sanctions risquent également "d'entraîner une inflation mondiale des prix de l'alimentation", notamment parce que la Russie ne pourra plus exporter suffisamment d'engrais. Pour le moment, l'Occident a peu anticipé cette éventualité, même si l'Union européenne a assuré le 5 mars qu'elle travaille à un "plan de résilience pour aider les secteurs européens impactés" par les sanctions qu'elle a prises à l'encontre du Kremlin.

S'ils se sont mis d'accord sur la marche à suivre et se félicitent de cette "arme nucléaire financière", pour reprendre les mots du ministre de l'Economie Bruno Le Maire, les Européens ne peuvent pour l'heure être certains de l'efficacité de ces sanctions. Certains estiment que la population russe réagira aux conséquences de la guerre menée par leur président, à l'instar de l'avocat Olivier Dorgans qui, dans une interview accordée à Franceinfo le 9 mars, estime que si les sanctions visent à la fois les oligarques et l'économie russe en général, elles pourraient conduire à une "protestation populaire" qui ferait "basculer la politique" du Kremlin. Mais d'autres pensent qu'il est encore trop tôt pour savoir qui en pâtira réellement. C'est le cas de Charles Michel, le président du Conseil européen, qui admet qu'il subsiste "une part de terra incognita" dans la mesure où l'UE n'avait jamais déclenché de telles sanctions et que des effets négatifs pour les Européens ne sont pas à exclure, comme il l'a expliqué dans l'émission Questions politiques le dimanche 6 mars. Il a rajouté qu'il n'y avait "pas de guerre de l'Union européenne ou de l'Otan contre la Russie", confirmant les propos de Jean-Yves Le Drian. L'importance des mots est cruciale dans une période aussi tendue, Vladimir Poutine ayant comparé les sanctions qui s'abattent contre la Russie à une "déclaration de guerre". Quelles sont donc ces sanctions qui tombent par vague pour contraindre le régime de Vladimir Poutine de mettre fin à la guerre ?

La liste des sanctions

Sanctions à impact économique 

Le 15 mars, l'Union européenne renforce la mise au ban commerciale de la Russie en interdisant aux entreprises européennes la vente, le transfert ou l'exportation d'articles de valeur vers la Russie (notamment de yachts, d'avions privés ou de champagne).  En outre, elle leur interdit de réaliser de nouveaux investissements dans le secteur de l'énergie à l'est de l'Ukraine. Ni prêts ni subventions ne pourront être fournis à des acteurs russes du secteur : celles qui tenteraient d'investir dans l'exploitation ou la production de gaz, pétrole, charbon ou électricité en Russie s'exposent à d'importantes sanctions. A l'exception des investissements dans le nucléaire qui restent autorisés, à la suite de la demande de la France et de certains pays de l'Est qui utilisent encore trop de réacteurs nucléaires produits en Russie pour pouvoir s'en passer. A l'exception également de TotalEnergies qui pourra poursuivre ses activités, à la demande de l'Allemagne. 

La nouvelle vague de sanctions qui s'est abattue sur la Russie et la Biélorussie le 9 mars a été principalement économique. La Biélorussie, considérée comme un allié et un soutien militaire du Kremlin, est en effet la 2ème principale victime de ces sanctions. Les transactions avec la Banque centrale de Biélorussie sont interdites, les entrées de capitaux dans l'UE en provenance de la Biélorussie sont limitées, et les billets de banque libellés en euros ne seront plus fournis à la Biélorussie. Viser le régime d'Alexandre Loukachenko est une manière pour les Européens de prouver qu'ils peuvent élargir les sanctions à tout pays supportant l'offensive russe. Pour contrer Vladimir Poutine, l'UE a décidé de restreindre les exportations vers la Russie de technologies de navigation maritime et de radiocommunication, mais aussi d'appliquer des sanctions à l'encontre de 160 nouvelles personnes.

Réactifs, les 27 l'ont été dès les premiers jours en décidant du gel des réserves de la Banque centrale russe placées en UE pour bloquer toute transaction ou rapatriement de ces liquidités vers la Russie. Une action inédite quand on sait que le montant total de ces avoirs est estimé à plus de 600 milliards, comme le rappelle Libération. La détention ou le gel des actifs financiers russes dans l'UE touche également les hauts grades militaires. Sans oublier les oligarques, en particulier les 488 ressortissants russes dans le viseur de plusieurs centaines de fonctionnaires européens, comme l'explique Ouest France. A noter que le Royaume-Uni, s'il n'est plus dans l'UE, s'est aligné sur les 27 : avec la sanction de sept oligarques supplémentaires le 10 mars, le Royaume-Uni atteint le nombre de 200 personnes, entités et filiales russes sanctionnées en tout depuis le début de la guerre le 24 février. En allié fidèle, les Etats-Unis suivent la tendance en gelant les avoirs de la Banque centrale russe et en demandant à ses entreprises Mastercard et Visa de bloquer leurs services de carte bancaire et de paiement aux banques russes. En plus du ralentissement des transactions financières, les occidentaux ont acté de la suspension des exportations de technologies cruciales comme les logiciels ou les composants électroniques vers la Russie, à l'instar du Canada qui a bloqué des permis d'exportation dans les secteurs aérospatial, minier et technologique de l'information. Ces permis étaient équivalents à 487 millions d'euros.  En général, les prédictions de l'évaluation des sanctions sur l'économie russe varient entre une baisse de 2 à 3 points de PIB.

Des banques russes évincées de Swift

En frappant fort, l'Europe s'offre une certitude : la Russie est peu à peu mise au ban des marchés et transactions financiers, en plus d'être entravée dans ses échanges commerciaux. Avec les sept banques coupées de SWIFT le 2 mars par exemple, le ralentissement de l'approvisionnement en gaz et en pétrole en provenance de la Russie sera tel que l'on peut s'attendre à ce que le PIB russe perde autour de 7%, analysent les Echos. A noter que l'exclusion de SWIFT concerne désormais la Biélorussie, avec trois de ses banques ostracisées le 9 mars. Les résultats tombent d'ailleurs rapidement : lors du sommet en session extraordinaire réunissant les ministres des Finances du G7 le 1er mars, ils se sont félicités des effets de leurs sanctions, comme le détaille un autre article du même journal. Les conséquences ont été telles que la Bourse de Moscou a dû fermer du 25 février jusqu'au 15 mars prochain (date de réouverture annoncée par le quotidien Vedomosti), trop affaiblie par la chute du rouble sur les marchés de change et par l'augmentation de son taux directeur. 

Des pénalités sportives

Lundi 28 février fut une rude journée pour une Russie déjà affaiblie par l'annonce de l'UEFA le 25 février du déplacement de la finale de la Ligue des champions prévue le 28 mai prochain du stade Krestovski de Saint-Pétersbourg au Stade de France. Après la décision historique de la Fifa d'exclure la Russie de la Coupe du monde de football, le Comité International Olympique s'est lui aussi aligné sur la stratégie européenne d'isolement de la Russie en décidant de bannir les sportifs russes et biélorusses des compétitions dans une recommandation officielle. Quant au Comité International Paralympique, il s'est finalement décidé, le 3 mars, à exclure les athlètes paralympiques russes et biélorusses des Jeux Para d'hiver de Pékin débutant le lendemain. Le désaveu du monde sportif est un coup dur pour Vladimir Poutine qui a beaucoup investi pour étoffer son soft-power, notamment en organisant des évènements sportifs planétaires tels que le Mondial-18 et les JO de Sotchi en 2014, comme l'expliquait France24.

RT, Sputnik... Les médias russes invisibilisés

Côté médias, les russes RT et Sputnik se voient suspendus de la zone européenne par les réseaux sociaux. Nombreux sont ceux qui ont déjà acté cette mise au ban, à l'instar de Facebook, TikTok ou Twitter. Ces sanctions font suite au discours qu'Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission Européenne, a prononcé lors d'une conférence de presse le 27 février, et diffusé par France24. Elle y indiquait notamment que l'Europe devait "interdire la machine médiatique du Kremlin". Elle ne s'en cache pas, l'objectif est ainsi d'empêcher les médias d'Etat russes de "diffuser leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine et pour semer la division dans notre union". Si les médias russes tentent de répliquer, s'indignant, à l'instar de RT France, d'une "violation de l'Etat de droit" par ces mesures allant "à l'encontre des principes de la liberté d'expression" (dans un article publié sur son site), la fermeté européenne porte ses fruits. De fait, même Twitter qui tardait à se rallier au blocus des médias russes, a annoncé le 3 mars que la mention "compte à accès restreint" s'afficherait sur les écrans de ceux qui tentent encore de consulter RT et Sputnik. La décision commune de l'Union européenne portant sur l'interdiction de la diffusion des contenus de ces médias russes sur les réseaux sociaux est entrée en vigueur le même jour (à retrouver sur le journal officiel de l'UE). 

Du côté du Kremlin, la censure fait rage : la Russie souhaite étouffer toute voix dissonante sur le conflit ukrainien. Pour ce faire, elle a elle-même décidé du blocage de Facebook le 5 mars, réseau à qui elle reproche de bloquer les médias proches du pouvoir, soit RT et Sputnik. La veille, une nouvelle loi était votée au Parlement contre médias indépendants, punissant jusqu'à 15 ans de prison la propagation d'informations visant à " discréditer " les forces militaires. Cette réaction aux sanctions occidentales a donc un impact drastique sur la liberté de la presse en Russie, obligeant in fine les sites d'informations indépendants à cesser leurs activités afin de protéger les journalistes de nouvelles sanctions pénales.

Quelle répercussion sur la population russe ?

Si plus de 2,5 millions de personnes fuient l'invasion russe en Ukraine et affluent vers les pays limitrophes, augmentant chaque jour les chiffres des personnes déplacées de manière "exponentielle" d'après un recensement du Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés, de l'autre côté, la situation du peuple russe n'est guère enviable. Conséquences directes de toutes ces sanctions économiques, la monnaie est en chute libre, les taux d'intérêt s'envolent, les marchés boursiers ferment. Et surtout, les étagères des magasins, vidées, et les files d'attentes devant des banques au bord de la faillite, rallongées, peignent un bien triste tableau. Puisque la liberté de la presse est menacée par le blocage des réseaux ordonné par les Occidentaux et la censure décidée par le Kremlin, l'accès à l'information indépendante et la possibilité de résister à la guerre ne sont plus garantis au peuple russe. Si Facebook n'était utilisé que par 7,5 millions de Russes, selon eMarketer, la plateforme a servi de canal d'expression et de résistance à de nombreuses reprises, notamment parce que des militants et des ONG s'y mobilisaient. "Il y a un risque que les gens ne puissent plus du tout connaître la vérité", déplore Natalia Krapiva, juriste spécialiste des technologies chez l'ONG Access Now. La puissance de Mr Poutine ne sera ainsi pas la seule chose à être ébranlée : c'est aussi le quotidien des russes "ordinaires" qui va être bouleversé, ce qu'a reconnu le ministre de l'Economie français Bruno le Maire lors de son intervention enflammée sur le plateau de France TV le 1 mars : "le peuple russe en paiera aussi les conséquences".

Vladimir Poutine multiplie les contre-sanctions

Le 17 mars, les autorités russes ont décidé d'appliquer le principe de réciprocité en adoptant des sanctions visant des personnalités occidentales, à l'instar de Joe Biden, de son secrétaire d'Etat Anthony Blinken, du premier ministre canadien Justin Trudeau, et de plusieurs membres de leurs gouvernements respectifs. En outre, elles ont édicté des contre-sanctions économiques et commerciales envers les "pays inamicaux", comme l'interdiction d'exporter certains produits agricoles et même des matériels aérospatiaux (ce qui, à terme, entravera l'accès des européens à l'espace), l'obligation du paiement en rouble des créanciers étrangers et la suspension de ses livraisons de gaz à plusieurs pays européens via le gazoduc Yamal-Europe, comme le rapporte Reuters. En s'attaquant frontalement à ceux qui voulaient l'affaiblir, Vladimir Poutine cherche à prouver la solidité des bases de son empire. C'est en tout cas ce que laisse penser son retrait du Conseil de l'Europe le 16 mars, anticipant de quelques heures l'exclusion définitive actée par les 27 -toujours en réaction à l'offensive russe-. C'est aussi ce que laisse penser son allocution au gouvernement russe du 16 mars, dans laquelle, s'il reconnait le poids des sanctions contre l'économie russe et exhorte son peuple à tenir bon, il dit s'être préparé depuis longtemps à une telle situation,  allant même jusqu'à affirmer que l'opération "se déroule avec succès et en stricte conformité avec les plans préétablis". Nullement alarmé par les mesures occidentales, il se dit prêt à répliquer au moment venu, mais surtout prêt à aider financièrement la population à travers une augmentation du salaire minimum, du salaire des fonctionnaires ou encore des retraites. Enfin, il se désolidarise des oligarques russes qui ne seraient "pas de vrais patriotes", mais seulement des "racailles et des traitres" que les Russes peuvent "recracher simplement comme un moucheron". 

Quelles répercussions sur le reste du monde ?

Depuis le début de son offensive il y a deux semaines, Vladimir Poutine n'a eu de cesse d'assurer que la réplique aux sanctions sera "sévère", mais surtout qu'elles n'empêcheront pas la Russie de porter assistance aux séparatistes dans la guerre contre l'Ukraine. Les discussions européennes en cours vont dans le sens de la protection des entreprises et des secteurs qui courent le risque d'une récession à la suite de la rupture de leurs liens avec la Russie, tant les sanctions retenues sont lourdes. Les conséquences pour l'Europe en termes d'économie pourraient, d'après les prédictions, se hisser entre 0,1 et 0,3 point du PIB si la guerre devait durer toute l'année 2022, expliquent Les Echos.  Pour la question des engrais russes par exemple, si ce commerce n'est pas directement touché par les sanctions, les secteurs de la finance et de la chaine logistique le sont. Le chef du Kremlin ne s'est pas fait prier pour donner sa vision de l'avenir économique de la chaine alimentaire : "Si on continue de nous créer des problèmes pour financer ce travail, l'assurer, dans la logistique, la livraison de nos produits (...) alors les prix vont augmenter toujours plus, et cela va se ressentir sur le prix du produit final, les produits alimentaires". De fait, la Russie et son allié biélorusse étant d'importants fournisseurs mondiaux d'engrais minéraux, qui approvisionnent l'Europe ou l'Amérique du Sud notamment, s'en prendre à leur production est risqué. Le ministère russe de l'Industrie a justement recommandé aux producteurs d'engrais russes de suspendre temporairement leurs exportations. En outre, le principal client de la Russie pour la vente de ses produits pétroliers et céréaliers étant l'Europe, un embargo durable couterait très cher des deux cotés, en particulier au niveau du gaz, Gazprom étant le 1er fournisseur de gaz de l'Europe et la Russie engrangeant 100 milliards par an de ses ventes de gaz. La France, qui n'importe du gaz que comme combustible de chauffage, serait peu impactée, mais l'on ne peut pas en dire autant de son voisin allemand, gros consommateur de gaz russe. L'autre secteur impacté est la communauté spéculative internationale : depuis le plongeon de 35% de la Bourse de Moscou fin février, les hedge fund spécialisés sur la Russie et l'Europe de l'Est tentent de limiter leurs pertes en spéculant à la baisse grâce à la vente à découvert. Cette technique qui consiste à emprunter des titres pour les vendre, en espérant les racheter à cours plus bas à l'avenir afin de les rendre à leurs propriétaires, est très dangereuse dans le contexte actuel de très forte incertitude, comme l'analyse Les Echos.

Sanctions à impact géostratégique

Cela fait maintenant plusieurs semaines que la Russie peine à prendre le contrôle des points stratégiques en Ukraine et qu'elle croule sous les sanctions occidentales. Pour ne pas devenir un paria, vers qui la Russie pourrait-elle se tourner ? Alors que l'Europe ne veut plus avoir à compter sur la Russie pour subvenir à ses besoins énergétiques, Vladimir Poutine va devoir réfléchir à la manière de réorienter ses exportations russes de gaz naturel, de pétrole et de charbon. Et pourquoi pas vers l'Asie ?

De fait, le Kremlin a décidé de faire appel à la Chine, comme l'ont indiqué les médias américains le 13 mars, citant des responsables de l'administration Biden. "Nous faisons très attention au niveau et à la forme du soutien que la Chine apporte effectivement à la Russie", a affirmé Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, qui précise que ce rapprochement est surveillé de très près dans son pays. Le New York Times indique que la Russie aurait demandé à la Chine de lui fournir des équipements militaires pour la guerre, ainsi qu'une aide économique pour l'aider à surmonter cet isolement imposé. Pour une armée russe qui rencontre la résistance de l'Ukraine, cette aide tomberait à pic, comme l'indique le Financial Times : "Les forces ukrainiennes ont réussi à repousser l'invasion dans une grande partie du pays, mais l'aide militaire de la Chine pourrait être une aubaine pour les forces russes", estime le Financial Times. La probabilité pour que la Chine accepte de venir en aide aux forces russes est élevée, étant donné tous les signes de rapprochement récents entre les deux puissances. L'Inde et la Chine se sont par exemple abstenues de condamner la Russie pour l'invasion militaire de l'Ukraine lors du vote de la résolution au conseil de sécurité de l'ONU, la Chine lui préférant la seconde version du 25 février, plus clémente envers la Russie, "déplorant" seulement l'agression contre l'Ukraine. Peu de temps avant, lors de la rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine pour la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques le 4 février, les intérêts communs et la marche à suivre contre le "monde libre" avaient d'ailleurs été réaffirmés. Dans une période de convergence des pays occidentaux pour faire front à la Russie, cette neutralité affichée de l'Asie est un bon signe pour Moscou, comme l'explique La Tribune. Si la Russie subvient aujourd'hui à 20% des besoins en gaz naturel de la Chine et à 30% de ses importations pétrolières, c'est grâce à des investissements croissants, notamment avec les 420 milliards de m3 livrés à la Chine en 2020 contre 170 milliards en 2013. Un rapprochement entre les deux puissances apparaîtrait également bénéfique sur le plan géopolitique pour une Chine - qui rêve d'une grande réunification des îles d'Hong-Kong et de Taiwan - et une Russie isolée diplomatiquement.

Toutefois, cette union reste pour l'instant de l'ordre de l'éventualité. D'abord parce que rien n'a encore été ni prouvé ni confirmé, Pékin niant en les accusations d'un rapprochement militaire, à l'instar du porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Zhao Lijian qui parle de "désinformation américaine" à la mi-mars. Mais aussi parce que la Chine est ambiguë dans sa prise de position. Si Pékin avait affirmé "comprendre les préoccupations légitimes" de Moscou lors d'un appel le 24 février entre Wang Yi, le ministre chinois des affaires étrangères et son homologue Sergueï Lavrov (conférence de presse publiée par la Chine), le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi a exprimé, le 2 mars, son "profond regret" quant au conflit russo-ukrainien lors d'un appel avec son homologue ukrainien Dmytro Kouleba rapporté par la télévision publique CCTV. Cette ambiguïté de la position chinoise vis-à-vis de la guerre en cours s'explique par plusieurs facteurs. Pour un Xi Jinping qui priorise la rhétorique de l'unité nationale, la sécession est une grande menace. La Chine ne peut donc pas pleinement approuver la reconnaissance d'indépendance proclamée le 21 février par M. Poutine des territoires du Donbass, le Donetsk et le Lougansk, auquel cas elle tendrait la perche de l'autonomie aux territoires et provinces chinois à velléités indépendantistes telles que le Tibet ou le Xinjiang. Ainsi, les déclarations occidentales qui fustigent le "séparatisme" au Donbass sont une bonne nouvelle pour Pékin qui emploie ces termes à longueur de journée. Au-delà de l'importance des mots, il y a celle des chiffres : si la Chine décide de soutenir la Russie au détriment des occidentaux qui eux la condamnent, le prix à payer serait très élevé, le commerce bilatéral entre la Chine et l'UE représentant 467 milliards d'euros en 2020 et l'UE étant le premier partenaire commercial de la Chine. Ce lien est surtout celui d'une interdépendance, la Chine étant elle aussi le 2nd partenaire économique de l'UE, comme le détaille le HuffPost.

Encore indécise car tiraillée entre les deux pôles stratégiques que sont l'Occident et la Russie, la Chine se contente pour le moment d'appeler à la désescalade dans le conflit russo-ukrainien, selon les termes de Wang Wenbin, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères le 1er mars... Tout en rappelant que l'amitié entre Pékin et Moscou est "solide comme un roc", comme l'assurait le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, le 7 mars.

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