Nord Stream : sabotage, réparation, drame écologique... Tout comprendre à cette actu

Nord Stream : sabotage, réparation, drame écologique... Tout comprendre à cette actu Qui ? Quoi ? Où ? quand ? Comment ? Les questions sont nombreuses et souvent sans réponse après la découverte de plusieurs fuites sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2 en mer Baltique. On fait le point sur ce que l'on sait.

[Mis à jour le 30 septembre 2022 à 12h11] Après la révélation d'une quatrième fuite repérées sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2 qui relient la Russie à l'Allemagne pour y acheminer du gaz, l'enquête pour en connaitre l'origine s'annonce très compliquée. Ces fuites sont situées en mer Baltique, dans les zones économique exclusives de la Suède pour deux d'entre elles, et du Danemark pour les deux autres. Ces deux pays directement impactés ont déjà commencé les investigations pour "sabotage aggravé". Le sujet de ces fuites, désastre écologique, sera abordé ce vendredi 30 septembre au Conseil de sécurité des nations unies. De son côté la Russie a aussi ouvert une enquête pour "acte de terrorisme international". Retour sur une affaire complexe qui agite la communauté internationale. 

"Deux puissantes explosions sous-marines"

Les gazoducs Nord Stream 1 et 2 reliant la Russie à l'Allemagne, pour y acheminer du gaz russe, ont été victimes de sérieux endommagements. Dans des propos rapportés par franceinfo, le Réseau sismique national suédois (SNSN) a indiqué le 27 septembre que des stations suédoises d'enregistrement de l'activité sismique avaient pu mesurer "deux puissantes explosions sous-marines", au niveau des fuites de gaz des gazoducs Nord Stream, ce qui laisse présager à la communauté internationale que ces fuites sont volontaires. 

Nord Stream 1, en service depuis 2012, relie la Russie et l'Allemagne en passant par la mer Baltique, lieu où ont été observées les impressionnantes fuites. Le réseau Nord Stream 2 a été construit plus tardivement retraçant le même parcours que son prédécesseur dans le but d'acheminer du gaz supplémentaire en Europe. Ces pipelines étaient inactifs depuis mars 2022. En effet, le chancelier allemand, Olaf Scholz, avait suspendu l'activité de Nord Stream 2 en réaction à l'invasion russe en Ukraine. Les sanctions américaines envers la SA Nord Stream 2 ont entraîné la faillite de la société suisse, qui depuis a déposé le bilan. Le pipeline de gaz Nord Stream 1, quant à lui géré par le géant russe Gazprom, n'acheminait plus de gaz russe vers l'Europe en réaction aux sanctions internationales contre la Russie depuis son attaque en Ukraine. Bien que ces gazoducs n'étaient plus en fonctionnement, ils contenaient encore du gaz pour maintenir la pression. 

L'Ukraine dénonce une "attaque terroriste", l'Union européenne un "sabotage"

Pour Mykhaïlo Podoliak, proche conseiller du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, il ne fait pas de doute qu'il s'agit d'un sabotage effectué par une technologie russe. "La fuite de gaz de Nord Stream 1 n'est rien d'autre qu'une attaque terroriste planifiée par la Russie et un acte d'agression envers l'UE. La Russie veut déstabiliser la situation économique en Europe et provoquer une panique pré-hivernale", a-t-il indiqué très explicitement sur Twitter. Il a ajouté que le meilleur moyen de répondre à ces agissements était, pour l'Allemagne, d'envoyer "des chars pour l'Ukraine".  

La Première ministre danoise, Mette Frederiksen, a affirmé mardi, lors d'une conférence de presse, que ces fuites étaient "délibérées". "Ce n'est pas un accident", a-t-elle ajouté. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a, elle, évoqué un "sabotage" qui entraînera "la réponse la plus ferme possible". De son côté, le porte-parole du Kremlin a contesté ces accusations dans des propos retranscrits par l'AFP, jugeant ces allégations comme étant "prévisibles, stupides et absurdes".

Qui sont les responsables des fuites des gazoducs Nord Stream ?

"Les gens qui ont fait ça savent faire leur boulot sans laisser de traces", estime dans les colonnes du Parisien le directeur du centre d'études de la mer à l'Institut catholique de Paris, Christian Buchet. Et de renchérir : "États-Unis ou Russie, ceux qui ont fait ça l'ont fait pour envoyer un signal à leur ennemi et au plus haut niveau international."

Alors qu'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU est prévue vendredi 30 septembre à New York, Moscou a annoncé jeudi avoir ouvert une enquête pour "acte de terrorisme international". Pour la Russie, cela ne fait pas le moindre doute : un "État étranger" est impliqué. La veille, Moscou avait directement accusé les États-Unis. Washington avait alors dénoncé une opération de "désinformation" russe. Comme évoqué plus haut, Kiev y voit l'œuvre de Moscou, tandis que les Européens se contentent, pour l'heure, de dénoncer un "sabotage". Affaire à suivre...

Pourquoi ce ne peut pas être un accident ?

La piste de fuites accidentelles a vite été écartée par les experts. L'idée d'un "sabotage aggravé", comme l'a affirmé la Suède, reste privilégiée. Sami Ramdani, doctorant de l'Institut Français de Géopolitique associé à l'IRSEM, a expliqué à l'AFP que les gazoducs Nord Stream 1 et 2 étaient des "installations récentes", on parle de "technologie jeune et de qualité donc on ne devrait pas avoir de problème de corrosion maintenant". S'ajoute à ces éléments que le Réseau sismique national suédois (SNSN) a pu mesurer une activité anormale le lundi 27 septembre lors de l'apparition des fuites. "Deux puissantes explosions sous-marines" ont été relevées au niveau des fuites de gaz des gazoducs. 

Interrogé par la Dépêche, Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale, estime que ces explosions sous-marines ne peuvent avoir été causées que par "des charges explosives, déposées au préalable sur les gazoducs". La piste accidentelle est donc fortement écartée. La cause naturelle également selon le chercheur François Cauneau, la mer baltique n'étant pas une "zone active sismique". Ce professeur de l'École des Mines a ajouté auprès de l'AFP que l'hypothèse d'un tremblement de terre pouvait donc être "écartée". 

L'hypothèse d'un sous-marin russe serait aussi à exclure. L'expert indépendant H. I. Sutton, spécialisé en ingénierie sous-marine, a estimé qu'un sous-marin russe pourrait attaquer ces gazoducs mais que cela était "improbable". Le Guardian ajoute qu'un sous-marin visant les gazoducs "aurait dû être détecté dans les eaux relativement peu profondes de la mer Baltique, où la profondeur dépasse rarement 100 mètres."

Il reste donc plusieurs hypothèses plausibles, dont celles avancées par certains experts : l'utilisation de drones ou l'envoi de plongeurs sous-marins pour saboter ces gazoducs ne sont pas à exclure. Pour Jérôme Pellistrandi, cela ne fait pas de doute : "il ne peut que s'agir que d'un Etat, il faut une planification précise pour cette opération, ça ne se monte pas en 48h..." a t-il précisé à la Dépêche. 

Un désastre écologique

Quel que soit le responsable de ce grave incident, l'inquiétude environnementale grandit du fait de cette fuite de méthane émanant de ces pipelines. Interrogée par Libération, Anna-Lena Renaud, membre de l'ONG Amis de la terre, se dit préoccupée des conséquences de ces fuites : "Le méthane est un gaz au pouvoir réchauffant 84 à 87 fois plus puissant que le CO2 sur vingt ans." Ces dégâts massifs auront un impact désastreux pour le climat, mais aussi pour l'écosystème marin pouvant tuer les animaux marins aux alentours.

La journaliste Nathalie Mayer a évoqué plusieurs hypothèses à l'issue néfaste dans le média scientifique Futura : "Si le méthane échappé de Nord Stream 1 ou 2 devait exploser, il émettrait de grandes quantités de CO2. S'il n'explosait pas, il se disperserait dans l'atmosphère, accélérant encore un peu plus le processus de réchauffement climatique."

Comment réparer les fuites des gazoducs Nord Stream ?

À cette profondeur, difficile d'envoyer des hommes aussi facilement. D'après Jérôme Vincent, directeur de l'École nationale des scaphandriers, questionné par Le Parisien, "il y aurait alors deux solutions : la première consiste à envoyer un ROV [c'est-à-dire un drone sous-marin ndlr.] prendre des photographies des fuites". L'autre option est d'envoyer directement des plongeurs sur place, mais l'opération, si elle est plus fiable, est également bien plus coûteuse.

"À cette profondeur, toute intervention nécessite une plongée à saturation, c'est-à-dire que les plongeurs rejoignent une sorte de caisson étanche sous l'eau", explique notamment Jérôme Vincent, qui affirme que la remontée est ensuite très très lente, avec des pauses de 50 minutes à chaque mètre. Des astronautes qui reviendraient de l'espace mettraient ainsi moins de temps à toucher la terre ferme que des plongeurs qui commenceraient leur remontée au même moment en parallèle depuis ces profondeurs océaniques. Quoi qu'il en soit, avant l'une ou l'autre des solutions possibles, il est d'abord nécessaire de laisser tout le gaz sortir des gazoducs. Aucune inspection n'est possible à ce stade. La vidange pourrait durer une à deux semaines, selon les autorités danoises.

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