Poutine, prêt russe, Ukraine et Otan : Marine Le Pen est-elle "dépendante" de la Russie ?
LE PEN RUSSIE. Marine Le Pen a été amenée à s'expliquer sur ses relations avec la Russie et avec Vladimir Poutine, ainsi que leur impact sur son programme lors du débat d'entre-deux tour de l'élection présidentielle ce mercredi 20 avril face à Emmanuel Macron...
[Mis à jour le 20 avril 2022 à 21h47] Le débat d'entre-deux-tours de l'élection présidentielle, ce mercredi 20 avril 2022, a opposé Marine Le Pen et Emmanuel Macron sur la question de l'Ukraine et des sanctions prises contre la Russie. Sanctions que Marine Le Pen a soutenu du bout des lèvres, craignant qu'elles pèsent indirectement sur les Français. Emmanuel Macron a accusé Marine Le Pen d'être "sous influence russe". Une accusation que l'intéressée a niée.
Un prêt contracté auprès d'une banque russe en 2014, une photographie aux côtés de Vladimir Poutine en mars 2017 et des propositions d'alliance avec la Russie ou de sortie du commandement intégré de l'Otan aujourd'hui... Marine Le Pen a plusieurs fois affronté lors de sa campagne des accusations de connivence avec le régime russe qui a attaqué l'Ukraine le 24 février dernier et y mène encore une guerre d'une violence qu'on n'avait plus observée en Europe depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.
Ce mercredi, l'opposant russe Alexeï Navalny a ainsi appelé à voter Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle, accusant Marine Le Pen de "compromission avec Vladimir Poutine" sur Twitter. Il dénonce notamment un prêt de 9 millions d'euros contracté en 2014 par l'ancien Front National auprès d'une banque russe. "Cette banque est une agence de blanchiment d'argent bien connue qui a été créée à l'instigation de Poutine. Ça vous plairait si un politicien français obtenait un prêt auprès de la Cosa Nostra ?", s'est il notamment interrogé. L'occasion d'une mise au point en trois actes.
Marine le Pen a-t-elle contracté un prêt auprès d'une banque russe ?
Ce qu'il faut savoir : après la défaite de 2012 à la présidentielle et aux législatives, le Front national est exsangue. En 2014, pour les élections régionales et départementales, le parti qui deviendra par la suite "Rassemblement national" a recours à un prêt de 9,14 millions d'euros contracté auprès d'une banque tchéco-russe, la First Czech-Russian Bank (FCBR). Mais en 2016, la banque est en faillite et est rachetée par la société russe d'aéronautique Aviazapchast. Cette dernière, devenue créancière du FN, porte plainte début décembre 2019 contre la formation de Marine Le Pen, pour recouvrement de crédit impayé, "ne voyant pas le remboursement du prêt, arrivé à échéance le 23 septembre de la même année, arriver", écrit le journal Libération.
Le RN obtient finalement, en 2020, un "rééchelonnement" après un "accord à l'amiable". Selon l'AFP qui a eu accès à l'arbitrage, le parti de Marine Le Pen doit s'acquitter d'un montant d'un million d'euros en cinq jours, puis 390 000 euros avant le 20 septembre la même année, puis plus de 8 millions d'euros d'ici fin 2028. Aujourd'hui encore, le RN rembourse donc chaque trimestre la somme de 322 000 euros à Aviazapchast.
Pour la présidentielle de 2022, c'est vers la Hongrie que s'est tourné le parti d'extrême droite, comme le révélait RTL début février, Marine Le Pen ayant obtenu un prêt de 10,6 millions d'euros auprès d'une banque locale.
"Je n'ai jamais réussi à obtenir un prêt, ni en France jusqu'à présent, ni en Europe." (Marine Le Pen sur BFMTV)
Ce qu'en dit Marine Le Pen : la candidate du Rassemblement national a plusieurs fois déploré dans les médias, avant comme pendant cette campagne présidentielle 2022, que son parti ne parvenait pas à obtenir de prêt d'une banque française ou même européenne. Elle évoque des dizaines de refus. "Je n'ai jamais réussi à obtenir un prêt, ni en France jusqu'à présent, ni en Europe. Cette situation est d'autant plus scandaleuse qu'Emmanuel Macron, qui en avait pris conscience, a fait voter la création d'une banque de la Démocratie. Mais il y a un malheur, c'est qu'il ne l'a jamais, en réalité, mise en application", a-t-elle notamment déclaré sur BFMTV le 13 avril. Quant au prêt russe qu'elle aurait été contrainte d'accepter faute de mieux, Marine Le Pen assure que le RN le rembourse "sans jamais avoir raté une seule mensualité". Et d'ajouter : "si une banque française souhaite racheter ce prêt, ce sera bien entendu aux mêmes conditions très avantageuses pour la banque" (France Info, le 13 avril).
Marine Le Pen est-elle proche de Vladimir Poutine ?
Ce qu'il faut savoir : Marine Le Pen a plusieurs fois par le passé, comme d'autres candidats à cette présidentielle 2022, exprimé une certaine proximité avec Vladimir Poutine. Dans une interview à la presse autrichienne en 2014, la présidente du FN estimait avoir des "valeurs communes" avec le président russe "patriote", parmi lesquelles "l'héritage chrétien de la civilisation européenne". En 2015, elle estimait sur Europe 1 que les dénonciations des frappes russes en Syrie relevaient de la "propagande américaine" destinée à "la décrédibilisation de l'action menée par Vladimir Poutine" aux côté de Bachar al-Assad contre Daesh. En 2017, elle soutenait aussi l'intervention russe en Crimée dans une interview accordée à la chaîne américaine CNN, assurant que les habitants de la région se "sentaient russes" et s'appuyant sur un pseudo-référendum. "Il n'y a pas eu d'invasion de la Crimée, il faut arrêter !", l'entend on même s'exclamer dans la vidéo exhumée récemment sur les réseaux sociaux. Une photographie d'une rencontre de la dirigeante du RN avec Vladimir Poutine, en mars 2017, à Moscou, a plusieurs fois été partagée dans cette campagne (voir plus haut).
Vladimir Poutine, il y a cinq ans, n'était pas exactement celui d'aujourd'hui. Aujourd'hui, Vladimir Poutine est un adversaire. Hier, quand il combattait le fondamentalisme islamiste, il était un allié." (Marine Le Pen sur BFMTV)
Ce qu'en dit Marine Le Pen : la candidate du RN, qui a condamné "avec la plus grande fermeté" la guerre lancée contre l'Ukraine en début d'année, a reconnu le 22 mars dernier sur BFMTV avoir exprimé par le passé "une forme d'admiration pour Vladimir Poutine, tout simplement parce que la Russie sortait de 70 ans de communisme". "Vladimir Poutine, il y a cinq ans, n'était pas exactement celui d'aujourd'hui. Aujourd'hui, Vladimir Poutine est un adversaire. Hier, quand il combattait le fondamentalisme islamiste, il était un allié", a-t-elle répété dans plusieurs médias pour justifier l'entrevue de 2017, "le seul rendez-vous j'ai pu avoir avec lui". Rappelant qu'Emmanuel Macron a lui même reçu Poutine à Versailles (2017) puis à Brégançon (2019) au cours de son mandat, elle dit avoir agi "de la même manière que l'ensemble des présidents de la République française, qui ont cherché à ne pas rompre les relations avec la Russie". Et ce "pour une raison très simple [...] : si la Russie n'a pas de lien avec l'Europe, alors la Russie se tournera vers la Chine. Or, ça, c'est un danger majeur pour l'avenir". "Quand on veut devenir président de la République française, il faut être capable de parler à tous, y compris Vladimir Poutine", a-t-elle aussi justifié.
Reste que Marine Le Pen a aussi été critiquée pour avoir jugé publiquement, le 31 mars dernier, sur France 2, qu'une fois la guerre terminée, Vladimir Poutine pourrait "bien entendu" redevenir un allié de la France, faisant valoir que "la Russie n'allait pas déménager". La candidate sera contrainte de s'expliquer et d'atténuer ses propos, alors que les atrocités commises par l'armée russe seront révélées dans la même période. "Dans mon esprit, c'est la Russie dont je parlais" et non du président russe, a-t-elle nuancé sur France Inter quelques jours plus tard.
Marine Le Pen veut-elle sortir de l'Otan ?
Ce qu'il faut savoir : dans ce contexte, Marine Le Pen a été accusée de vouloir rompre les alliances de la France, en particulier avec l'Otan, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, honnie de Vladimir Poutine, mais aussi avec certains partenaires clés de l'Union européenne à commencer par l'Allemagne. Un rapprochement avec la Russie ou une diplomatie sous influence russe ont plusieurs fois été redoutés par ses adversaires.
Ce qu'en dit Marine Le Pen : Marine Le Pen a plusieurs fois rappelé qu'elle ne souhaitait pas quitter l'Otan, mais son "commandement intégré", comme Charles De Gaulle l'avait décidé en 1966, pour rétablir l'autonomie de la stratégie militaire française. Mais dans son programme, Marine Le Pen fait tout de même quelques appels du pied à la Russie. Dans son "livret pour la Défense", sur son site de campagne, elle formule ainsi sa première proposition sur "la France-puissance" et sur la "diplomatie de défense réellement souveraine" qu'elle entend conduire : "retrait du commandement intégré de l'OTAN, discussion d'un nouvelle accord stratégiques (sic) avec les États-Unis, dialogue avec la Russie sur les grands dossiers communs arrêt des coopérations structurantes avec l'Allemagne (avion d'armes et char de combat notamment), nouvelle phase de dialogue sur l'entente cordiale avec les Britanniques (nucléaire, capacitaire et opérationnelle) après leur participation au pacte AUKUS qui a éliminé la France d'un contrat stratégique, affermissement des partenariats stratégiques dans le monde, soutien renforcé aux exportations de défense, composante intégrante d'une diplomatie de défense"...
"Il sera recherché une alliance avec la Russie sur certains sujets de fond : la sécurité européenne qui ne peut exister sans elle, la lutte contre le terrorisme qu'elle a assurée avec plus de constance que toute autre puissance." (programme de Marine Le Pen)
La Russie plutôt que l'Allemagne ? On peut aussi lire dans le programme de Marine Le Pen que "parallèlement et sans crainte des sanctions américaines, il sera recherché une alliance avec la Russie sur certains sujets de fond : la sécurité européenne qui ne peut exister sans elle, la lutte contre le terrorisme qu'elle a assurée avec plus de constance que toute autre puissance, la convergence dans le traitement des grands dossiers régionaux impactant la France (Méditerranée orientale, Afrique du Nord & centrale, Golfe/ProcheOrient et Asie notamment)". A l'inverse, "la relation avec l'Allemagne sera largement remaniée : partant du constat d'une profonde et irrémédiable divergence de vues doctrinale, opérationnelle et industrielle avec Berlin, notamment dans le domaine de la dissuasion nucléaire et de l'exportation d'armement, Paris mettra fin aux coopérations structurantes engagées depuis 2017 qui ne correspondent pas à sa vision d'une défense souveraine et retirera son soutien à la revendication allemande d'un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations-Unies".