Sondages sortie des urnes : une méthode encore utilisée ?
SONDAGES SORTIE DES URNES. Selon les premières estimations, Emmanuel Macron remporterait à nouveau sa confrontation avec Marine Le Pen lors du second tour de l'élection présidentielle. Avec un écart moins important qu'il y a cinq ans toutefois.
Les résultats de la présidentielle près de chez vous
[Mis à jour le 24 avril 2022 à 23h57] Fin du suspense. Emmanuel Macron a remporté l'élection présidentielle ce soir et rempilera donc avec un deuxième mandat. Selon les estimations réalisées par Ipsos Steria pour France 2, il aurait réuni 58,8% des voix, contre sa concurrente Marine Le Pen qui culminerait à 41,2%. Toutefois, ces pourcentages vont s'affiner au fil de la nuit jusqu'au décompte total des suffrages. Les équipes de Linternaute vous informent en direct de l'évolution du des résultats de la présidentielle.
Plus besoin donc de se référer aux résultats publiés dans les médias étrangers, notamment les médias suisses Le Temps, la Tribune de Genève, la RTS, mais aussi des médias belges Le Soir, La Libre Belgique ou la RTBF qui ont été par le passé coutumiers de la publication d'estimations avant 20h, l'heure légale en France. De fait, ils ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que les médias français qui eux doivent respecter une "période de réserve". Affranchis de cette loi, cela fait une dizaine d'années que ces journaux suisses et belges se consacrent à la couverture du scrutin français lors des journées d'élections et qu'ils publient des estimations précises sur le résultat de l'élection. Lors de la dernière élection présidentielle par exemple, ils avaient donné les noms des deux finalistes avec un pourcentage de vote proche du résultat final.
L'interdiction de la diffusion des sondages "sortie des urnes" est-elle respectée?
Les huit principaux organismes de sondages, à savoir BVA, Elabe, Harris Interactive, Ifop, Ipsos, Kantar, Odoxa et OpinionWay s'étaient mis d'accord pour ne pas réaliser de sondages sortie des urnes lors du premier tour de l'élection qui s'est déroulé le 10 avril dernier. C'était une requête de la commission des sondages, qui avait justement indiqué dans un communiqué qu'elle avait obtenu de ces instituts l'assurance qu'aucun d'entre eux ne réaliserait le 10 avril de sondages "sortie des urnes". La commission s'est montrée très claire, si ce n'est intransigeante envers une fuite de résultats avant l'heure légale : "Il en résulte que toute référence, le jour du scrutin, à de tels sondages ne pourra être que le fruit de rumeurs ou de manipulations et partant, qu'aucun crédit ne devra leur être accordé".
Et pourtant, le risque de fuite des tendance sur les résultats du second tour de l'élection présidentielle reste élevé : en 2017, alors que la commission des sondages exhortait les instituts de sondage français à ne rien communiquer de leur travail de prélèvement, des médias suisses et belges avaient donné les résultats du premier tour autour de 16h. Et cette fois encore, lors du premier tour de 2022, des chiffres ont circulé dès la fin d'après-midi sur des sites étrangers, en particulier belges, de telle sorte que La Libre Belgique publiait à 17h39 : "Selon un premier sondage sortie des urnes, Emmanuel Macron et Marine Le Pen seraient en tête à égalité. Ils récolteraient tous deux 24 % des votes, a appris La Libre à bonne source", avant de préciser qu'il ne s'agissait que de "résultats issus d'un premier sondage sortie des urnes, réalisé par l'un des grands instituts". Ce qui signifierait que l'un des organismes n'a pas respecté cet accord (plus ou moins tacite) conclu avec la commission des sondages. Aucune preuve n'a cependant été vérifiée.
Pourquoi les sondages "sortie des urnes" se raréfient-ils ?
Parmi les trois méthodes utilisées par les instituts de sondage, à savoir le sondage à la sortie des urnes, le sondage par téléphone et les estimations, seule la troisième est encore employée. Les sondages "sortie des urnes" ne sont plus à la mode à cause des biais qu'ils génèrent. De fait, leur fiabilité est aisément contestable : si un sondeur vous interroge, vous pouvez répondre autre chose que votre vote réel, par peur du jugement d'autrui notamment. Un sondé qui est entouré de connaissances, que ce soit ses proches ou ses voisins, peut masquer ses opinions réelles parce qu'il n'a pas envie de les dévoiler au grand jour. Pour se protéger, il interchangera son vote réel avec celui qui lui semble être le plus acceptable et accepté par les personnes à ses côtés à ce moment-là. Ce problème est ainsi lié au caractère déclaratif de ce type de sondage, et il peut finir par biaiser complètement la réponse lorsque les panels sont réduits. Pour cette raison, de plus en plus d'instituts de sondages sont réticents à l'idée d'utiliser cette méthode et lui préfèrent un décompte des bulletins "réels" lors des premiers dépouillements, dans plusieurs centaines de bureaux de vote "tests". Alors que les bureaux de vote ouvrent pour le second tour, il est à noter que les sondages "sortie des urnes" que vous verrez circuler aujourd'hui ne sont pas réalisés par les principaux instituts français. A vous alors de prendre vos précautions.
Jean-François Doridot, directeur général d'Ipsos Public Affairs France, a par ailleurs assuré au journal Le Monde qu'"il n'y a plus de vrais sondages sortie des urnes, pour des questions financières. Ce type d'opération présente un coût exorbitant pour un résultat qualitativement moindre par rapport aux estimations produites par tous les instituts de sondage pour 20 heures". Mais il précise que d'autres instituts réalisent des sondages le jour du vote portant plutôt sur la sociologie des votants. "Ces sondages donnent un résultat au cours de la journée et peuvent parfois fuiter, mais, d'une part, ils ne sont pas rendus publics par les instituts et, d'autre part, s'il s'agit de sondages, ils doivent être lus avec les mêmes précautions que les sondages publiés quelques jours auparavant", ajoute-t-il.
Comment sont faits les sondages "sortie des urnes" ?
Comment les instituts de sondage peuvent-ils donner des résultats dès 20h alors que le dépouillement n'a pas commencé dans les grandes villes de France ? L'une des solutions est la mise en place de ce qu'on appelle des "sondages sortie des urnes". Le principe est assez simple : un enquêteur de l'institut interroge un nombre important d'électeurs qui viennent tout juste de voter, en se rendant dans plusieurs bureaux de vote d'une commune, considérés comme "représentatifs" de la population inscrite sur les listes. Cette méthode s'est développée à partir des années 1980 et s'est rapidement modernisée, permettant aux instituts les plus sérieux de proposer dès 20h des chiffres assez proches des chiffres définitifs fournis plusieurs heures plus tard, après décompte des voix, par le ministère de l'Intérieur.
Les instituts de sondages établissent leurs premières estimations non pas à partir de sondages, mais à partir des dépouillements réalisés dans des bureaux de vote tests, fermant à 18 heures. Peu acceptent de livrer les secrets de fabrication de ces estimations. Mais certains acceptent de donner le nombre de bureaux de vote utilisés pour les établir. Chez l'Ifop, les résultats de "près de 300 bureaux" ont par exemple été analysés et extrapolés lors de la dernière élection présidentielle pour donner une tendance nationale, selon son directeur Frédéric Dabi. Chez OpinionWay, entre 200 et 300 bureaux de vote tests ont été scrutés. Chez Ipsos, on est passé "de 200 à 250 bureaux de vote à 500" pour la précédente élection présidentielle, pour bien faire remonter les informations. Le but : avoir suffisamment de bureaux tests pour avoir des solutions de repli si certains d'entre eux ne remontent pas assez vite leur résultat. Chez Kantar enfin, le nombre de bureaux de vote tests fait partie du "secret de fabrication".
Les chiffres diffusés à 20h par les médias ont-ils un lien avec les sondages "sortie des urnes"?
A 20h, les médias diffusent les chiffres récoltés en collaboration avec les instituts de sondage : on a par exemple France Télévision-le Parisien avec Ipsos, BFMTV-l'Express avec Elabe, TFI avec l'Ifop, les Echos-Radio Classique avec OpinonWay, ou encore Harris Interactive avec M6-RT. Il s'agit d'estimations basées sur les premiers dépouillements des bureaux de vote fermant à 19h : généralement, les grandes villes ne sont pas concernées. Lors du premier tour de l'élection dimanche 10 avril, ces élections n'étaient pas disponibles avant 19h30 ou 19h40. Elles n'étaient donc pas des sondages, et encore moins des "sortie des urnes", -comme l'expliquait le Check News de Libération le 12 avril dernier-, puisque la circulation de ces chiffres sur les sites étrangers ou les réseaux sociaux comme Twitter a débuté dans l'après-midi. Ils ont été diffusés plus tôt et ne peuvent donc pas avoir ces estimations pour origine. Il en sera de même pour ce second tour : les résultats dévoilés à 20h par les médias ne proviendront pas de sondages 'sortie des urnes".