INTERVIEW. Biden "désapprouvé", Trump "très actif"... Quels enjeux pour les midterms ?

INTERVIEW. Biden "désapprouvé", Trump "très actif"... Quels enjeux pour les midterms ? INTERVIEW. Dans un peu plus d'un mois, des élections nationales auront lieu aux Etats-Unis : les midterms, également appelées élections de mi-mandat. Pourquoi sont-elles importantes ? Le président Joe Biden sera-t-il renforcé ou affaibli ? Donald Trump peut-il gagner, même sans se présenter ? Eclairage.

Pourquoi on L'a interrogée ?

Marie-Christine Bonzom est une politologue et journaliste spécialiste des Etats-Unis. Elle a en effet exercé pendant près de trente ans (1989-2018) à Voice of America et à la BBC, pour qui elle a notamment été correspondante à Washington, la capitale, centre du pouvoir américain. Durant sa carrière, elle a couvert une vingtaine d'élections américaines, présidentielles ou législatives.

A un peu plus d'un mois des élections de mi mandat aux États Unis, le verdict des urnes est incertain. Dans un contexte où Joe Biden n'est pas en position de force après ses deux premières années à la Maison Blanche, le président américain semble en passe de perdre la majorité dans au moins une des deux chambres parlementaires, explique Marie-Christine Bonzom. Ces scrutins s'annoncent presque comme un référendum sur l'avortement et le "wokisme", dans l'ombre d'un Donald Trump qui place déjà ses pions en vue de la présidentielle 2024. Une échéance qui ne devrait pas sourire à Joe Biden et sa vice-présidente Kamala Harris, dans la perspective d'une abstention particulièrement élevée.

Les quatre déclarations fortes :

"La situation de Joe Biden demeure très problématique."

"Il faut s'attendre à une victoire des républicains à la Chambre. Au Sénat, il est possible que les démocrates conservent une courte majorité."

Donald Trump est le Républicain le plus populaire auprès de l'électorat de ce parti

"Kamala Harris s'est révélée être une vice-présidente largement incompétente."

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Marie-Christine Bonzom © Catherine Stearns
Les Américains votent à nouveau en novembre, pour les midterms. C'est quoi ces élections ?

Ces élections interviennent à la moitié du mandat d'un président. Le 8 novembre, nous serons à deux ans dans le mandat de Joe Biden. On va avoir les 435 sièges des représentants (les députés, ndlr) qui sont en jeu et un tiers du Sénat, soit 35 sièges qui sont en jeu. Il y a aussi des élections au niveau des Etats eux-mêmes qui sont très importantes : des élections de gouverneurs (les chefs du pouvoir dans chaque état) avec 36 sièges en jeu. Il y a également une myriade d'autres élections locales.

Les Etats-Unis comptent deux chambres parlementaires : la Chambre des représentants et le Sénat. Ont-elles des fonctions similaires à notre Assemblée nationale et notre Sénat ?

Les pouvoirs attribués à la Chambre des représentants et au Sénat sont plus importants que les pouvoirs attribués à l'Assemblée nationale et au Sénat en France, notamment au niveau de l'enquête. La Chambre et le Sénat ont la possibilité d'enquêter, d'envoyer des sommations à comparaitre, qui, dans une certaine mesure, engagent l'exécutif. Ils n'ont toutefois pas le pouvoir d'inculper.

Le Sénat américain a le pouvoir d'approuver et de désapprouver les nominations de ministres, d'ambassadeurs et d'autres responsables du gouvernement faites par le président.

Par ailleurs, depuis l'invasion injustifiée de l'Irak par Georges W. Bush en 2003, il y a tout un débat pour ramener ce pouvoir de déclaration de guerre au Congrès (Chambre des représentants et Sénat). On avait considéré, dans les deux camps, que Georges W. Bush avait largement ignoré le Congrès quand il avait décidé d'envahir l'Irak. La déclaration de guerre appartient au Congrès et non pas au Président.

Enfin, un autre pouvoir très important du Congrès est qu'il tient les cordons de la bourse, "the power of the purse" en anglais, en approuvant ou non le budget et en contrôlant les dépenses publiques.

Comment sont perçus Joe Biden et sa politique ?

Le Président Joe Biden est arrivé au pouvoir avec une cote de popularité d'environ 55% de satisfaction, ce qui est correct mais sans plus, et inférieur à ses prédécesseur, sauf Donald Trump. Il est arrivé dans une situation de relative faiblesse. Depuis, sa situation n'a fait que se dégrader. Ça a commencé vers mai-juin 2021 avec la reprise du Covid à l'époque, qu'il avait promis d'éradiquer. A cette époque commence également à se développer de manière assez intense le problème des arrivées de dizaines de milliers d'immigrés clandestins à la frontière sud avec le Mexique. Le problème n'est toujours pas réglé et est une épine dans son pied. Puis, août 2021, il y a eu le départ catastrophique des Etats-Unis d'Afghanistan qui s'est terminé par un attentat à l'aéroport de Kaboul entraînant la mort de 13 soldats américains.

"Une majorité d'Américains
désapprouve l'action de Joe Biden."

A partir de ce moment-là, vers le 20 août, on a vu les courbes des satisfaits et des mécontents se croiser à la défaveur de Joe Biden. Aujourd'hui, il y a toujours une majorité d'Américains (53,3%) qui désapprouve son action même si le nombre des satisfaits est remonté de l'abysse (36,8% le 21 juillet) pour s'établir à 43,1%*. Cela peut être attribuée à l'inflation qui s'est légèrement améliorée.

Depuis le début de son mandat, Joe Biden a aussi pu faire valoir des victoires sur le plan législatif, avec un grand plan d'infrastructures routières et digitales bipartisan en septembre 2021 -pour un montant certes moindre que ce qu'il avait promis- ; avec une version très édulcorée le Build Back Better (programme d'investissements publics dans des politiques sociales et environnementales, ndlr) ; une loi pour restreindre pour le droit de port d'arme à feu ; une loi qui vise à investir dans la recherche numérique pour essayer de combler le fossé avec la Chine en matière de compétences technologiques, votée avec un fort soutien des républicains. Malgré ce, le président Biden est désavoué dans les grands dossiers avec, notamment, un niveau de satisfaction de seulement 35%, en moyenne des sondages au 14 septembre, pour l'économie, l'inflation, l'immigration, la criminalité.

Par ailleurs, la décision de la Cour suprême sur l'avortement (laissant les états libres d'autoriser ou interdire l'IVG, ndlr) a permis à Joe Biden de remobiliser la base du parti démocrate, dont les femmes blanches américaines qui vivent dans les banlieues aisées et qui montraient des mouvements en faveur des républicains. Et puis, depuis le début de l'été, on a vu le FBI très agressif contre Donald Trump. Mais la situation de Joe Biden demeure très problématique.

*Moyenne des sondages publiés du 1er au 20 septembre 2022 établie le 21 septembre par le site de référence Real Clear Politics.

Ce scrutin est-il un référendum pour ou contre l'avortement ?

Les démocrates et Joe Biden essaient d'en faire un référendum contre Donal Trump, contre les républicains "Make America Great Again" (slogan de campagne de Trump en 2016, ndlr), pour ou contre l'avortement. L'histoire des midterms, c'est plutôt un référendum contre le président, surtout quand le président contrôle les deux chambres. Joe Biden a l'histoire des USA contre lui. Le président a perdu la majorité à la Chambre des représentants 36 fois sur 40. Mais les démocrates essaient beaucoup d'agiter l'affaire de l'invasion du Capitole puisque la commission de la chambre spéciale a prévu de nouvelles audiences publiques avant le scrutin (le 6 janvier 2021, des partisans de Trump avaient envahi le Parlement américain pour contester les résultats de l'élection présidentielle, ndlr).

Du côté des républicains, il s'agit de faire en sorte que ce scrutin respecte l'histoire américaine. Ils martèlent l'inflation, la criminalité et l'immigration avec le problème au Mexique. Ils essaient de maintenir le cap sur les femmes blanches, en faisant valoir certes le problème de l'avortement, mais surtout la politique du wokisme qui fait peur aux classes aisées américaines. Les républicains ont besoin d'un gain net de 5 sièges à la Chambre des représentants. Et il leur faut 1 siège au Sénat.

Joe Biden et les Démocrates peuvent-ils conserver la majorité au Congrès ?

Il peut encore se passer pas mal de choses. Dans les prochaines semaines, de nouveaux chiffres sur l'inflation et le chômage seront notamment publiés. Aujourd'hui, il faut s'attendre à une victoire du parti républicain à la Chambre des représentants. En revanche, pour le moment, la victoire au Sénat semble moins facile pour les républicains en raison de la légère amélioration de Joe Biden au cours de l'été. Il est possible que les démocrates parviennent à conserver une très courte majorité au Sénat. Pour les gouverneurs, il est tout à fait possible que les républicains l'emportent.

"Il est tout à fait probable qu'on aille
vers une impasse législative."

Quelles seraient les conséquences politiques si les républicains devenaient majoritaires à la Chambre des représentants et/ou au Sénat ? Biden serait-il un président sans pouvoir ?

Dans ces cas-là, c'est une cohabitation partielle ou totale entre les républicains et le président Biden. Il sera encore plus affaibli que lors des deux premières années de son mandat. Sur la mécanique politique, ses initiatives législatives seront compromises. Il aura énormément de mal à faire passer toute loi. Il est tout à fait probable qu'on aille vers une impasse législative.

Par ailleurs, les républicains font savoir que s'ils remportent la Chambre, ou la Chambre et le Sénat, l'administration Biden doit s'attendre à des enquêtes contre elle, notamment dans l'affaire du fils Biden ou encore contre le FBI que les républicains accusent d'être politisé.

Quel rôle pour Donald Trump dans cette campagne ? Même s'il ne se présente pas à cette élection, peut-il, d'une certaine manière, la gagner ?

Donald Trump n'est en dehors de rien en politique aux Etats-Unis, il n'a jamais quitté la vie politique américaine. Cette année, en vue des midterms, Donald Trump a adoubé de très nombreux candidats à tous les étages des élections (Chambre des représentants, Sénat, gouverneurs, sénateurs dans les assemblées locales, secrétaires d'Etat dans les Etats…). Lors des primaires, ses candidats l'ont, en général, emporté. Il est très actif, très présent. L'histoire de la perquisition (par le FBI à son domicile, ndlr) lui a permis de revenir sur le devant de la scène. Il a pu faire valoir ses arguments : persécution, perversion du système policier fédéral, Biden qui cherche à discréditer le principal opposant avant un scrutin majeur…

Donald Trump sera-t-il candidat pour 2024 après ces midterms ?

Donald Trump a été actif très rapidement après sa défaite, dès le début du printemps 2021. On l'a revu s'activer en rencontrant des donateurs, en fondant un cercle de réflexion qui s'attèle à forger un programme pour son éventuelle candidature à la présidentielle 2024, en recommençant ses fameux rassemblements à travers le pays, ou encore en donnant des interviews. Il est le républicain le plus populaire auprès de l'électorat de ce parti.

Il y a quand même une certaine concurrence, comme avec Ron De Santis, le gouverneur de Floride. Mais Donald Trump apparait comme le candidat le plus probable à la présidentielle de 2024. Cependant, il y a tellement de temps… Pour le moment, il a le contrôle du parti. Le vrai chef politique du parti républicain, c'est le chef du groupe républicain au Sénat Mitch Mc Connel, sénateur du Kentucky. Mais à la cote d'amour, il n'y a pas photo.

"Pour les midterms, quand on a une participation de 40%, les deux partis sont contents."

Les Américains vont-ils se mobiliser pour ces élections ?

Aux Etats-Unis, le taux de participation à tous les scrutins est nettement inférieur à celui en France et ce, depuis des décennies. Il y a une désaffection du peuple américain pour sa classe politique, depuis les années 1980. Pour les midterms, quand on a une participation de 40%, les deux partis sont contents. La majorité des électeurs s'abstient aux élections de mi-mandat. Quand Trump a perdu les midterms en 2018, la participation était très forte : la participation était montée à 49,4%, mais on n'avait pas vu un taux si élevé depuis 1914. Le déficit de participation va bien au-delà : il y a un déficit d'adhésion du peuple américain à son élite politico-médiatique. Ce fossé s'est creusé au fil des années et a empiré depuis 2016. La participation est faible parce que les Américains n'adhèrent plus au système bipartite.

Joe Biden en difficulté, sa vice-présidente Kamala Harris peut-elle avoir un rôle en 2024 ? Incarne-t-elle l'avenir du parti démocrate ?

Kamala Harris, c'est une déception énorme en politique pour beaucoup de démocrates. Elle est aujourd'hui plus impopulaire que Biden. Elle s'est révélée être une vice-présidente largement incompétente qui a multiplié les gaffes et erreurs, politiques notamment, qui ne connait pas les dossiers, qui n'a pas montré de désir de s'y intéresser. Elle était chargée du dossier des migrants à la frontière avec le Mexique, on ne l'entend plus sur le sujet. Je vois très mal comment elle pourrait être une candidate sérieuse pour la présidentielle, malgré son parcours, son histoire personnelle.

Kamala Harris a confirmé ce qu'on savait déjà : son ascension fulgurante en Californie ne s'est pas traduite par une connaissance des dossiers au niveau national. Son attrait auprès de la base démocrate est relativement faible. On l'a vu lors de la campagne pour la primaire démocrate de 2020 où elle n'était pas parmi les candidats les mieux placés pour l'emporter (créditée de 3% d'intentions de vote, elle avait retiré sa candidature, ndlr). Pour moi, Kamala Harris ne dispose pas d'un potentiel gagnant.

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