Proportionnelle aux législatives 2022 : mise en place ? Les raisons du refus

Proportionnelle aux législatives 2022 : mise en place ? Les raisons du refus PROPORTIONNELLE AUX LEGISLATIVES. Promesse de campagne d'Emmanuel Macron en 2017, la proportionnelle n'est toujours pas mise en place cinq ans plus tard lors des élections législatives 2022 qui débutent ce dimanche 12 juin avec le premier tour.

[Mis à jour le 12 juin 2022 à 16h46] Si l'on reprend les résultats des précédentes élections législatives 2017 et qu'on applique les règles de la proportionnelle, le scrutin aurait-il vraiment été modifié ? Le Monde avait réalisé une étude de la sorte en 2021 alors que le thème de la proportionnelle s'invitait déjà dans le débat de la présidentielle à venir. En reprenant les résultats de 2017, le journal avait conclu qu'avec un système similaire à celui utilisé en 1986, l'Assemblée "ressemblerait davantage à une photographie de l'opinion publique" mais notait surtout qu'aucun parti ou rassemblement n'aurait obtenu une majorité absolue. La majorité LREM-Modem, qui avait obtenu 350 sièges, serait passée à 249 sièges, 40 de moins qu'il n'en aurait fallu pour obtenir la majorité. A l'inverse, LFI serait passée de 33 à 66 sièges selon cette projection quand le RN aurait fait un bon de 8 à 81 sièges !

La proportionnelle figure pourtant régulièrement dans les professions de foi des candidats, notamment à la présidentielle mais elle reste un serpent de mer de la vie politique française. Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen mais aussi Fabien Roussel faisaient partie de ceux, nombreux, à promettre d'instaurer la proportionnelle à l'Assemblée Nationale s'ils remportaient l'élection présidentielle. Même le vainqueur final Emmanuel Macron, réélu le 24 avril dernier à la tête de la présidence de la République, avaient pris un engagement similaire lors de sa première campagne électorale en 2017, évoquant une "proportionnelle partielle". Cinq ans plus tard, le mode d'élection des députés à l'Assemblée n'a toujours pas changé. Mais qu'est-ce que la proportionnelle et pourquoi, malgré tous ses défenseurs, n'est-elle toujours pas mise en place pour les législatives 2022 ?

La proportionnelle a-t-elle déjà été utilisée pour des élections législatives ? 

Oui, à une seule reprise dans l'histoire de la 5e République, la proportionnelle a été utilisée dans le cadre d'élections législatives. C'était en 1986 suite à une décision de François Mitterrand, alors président de la République s'appuyant sur la 47e de ses 110 "propositions pour la France" présentées lors de la campagne présidentielle de 1981. Ce scrutin n'était toutefois pas une proportionnelle intégrale mais une "proportionnelle départementale" qui excluait du calcul les trop petites formations politiques, celles n'ayant pas atteint 5%.

Résultat, si la droite avait remporté l'élection, elle ne disposait que d'une courte majorité avec 292 sièges pour le rassemblement de la droite contre 212 pour la majorité présidentielle qui pouvait aussi compter sur les 35 sièges du PCF. Surtout, ces premières élections législatives à la proportionnelle avaient permis au Front National de remporter 35 sièges et de former un groupe politique à l'Assemblée, un record et un chiffre qui n'a plus été atteint depuis.

Un rôle accru de l'Assemblée

Notre système actuel de vote aux élections législatives est un scrutin uninominal à deux tours. Cela signifie que, pour chacune des 577 circonscriptions électorales du territoire, les électeurs votent pour un candidat à chaque tour. Seuls les candidats ayant recueilli plus de 12,5% du nombre d'inscrits au 1e tour peuvent se qualifier au 2e (ou, à défaut, les deux candidats ayant reçu le plus de suffrages). A l'issue des deux tours, un seul candidat par circonscription est élu député. Dans un scrutin proportionnel, en revanche, les formations politiques constitueraient des listes. Les électeurs seraient alors appelés à voter pour une liste, et à l'issue d'un seul et unique vote, les sièges à l'Assemblée seraient répartis proportionnellement aux pourcentages récoltés par chaque liste.

Avec un tel scrutin, deux différences majeures : des tendances politiques minoritaires, ne récoltant que quelques pourcents, peuvent malgré tout être représentées à l'Assemblée. C'est pourquoi le RN y est très favorable : le système en deux tours, au contraire, porte préjudice aux candidats d'extrême-droite. Deuxième différence : il est beaucoup plus difficile pour le président de la République d'obtenir une majorité absolue.  Avec la proportionnelle, l'Assemblée retrouve donc un rôle prédominant et l'exécutif doit faire davantage de compromis avec l'opposition.

Pourquoi Emmanuel Macron n'a-t-il pas mis en place la proportionnelle aux législatives ?

"Je suis favorable à la proportionnelle de manière dosée pour refléter le pluralisme de notre vie politique", disait pourtant Emmanuel Macron, lors de la campagne présidentielle de 2017, sur Twitter. Le projet de loi de réforme constitutionnelle présenté dès 2018 au Parlement prévoyait d'ailleurs d'introduire une dose de proportionnelle aux législatives. Ce projet a cependant été bloqué par le Parlement et finalement abandonné. En 2022, lors de l'entre-deux-tours, interrogé sur une proportionnelle intégrale, Macron répondait : "Je pense qu'on peut aller jusque-là. Je n'y suis pas opposé en ce qui me concerne". Une façon, peut-être, de satisfaire l'électorat de Jean-Luc Mélenchon, le candidat arrivé à la troisième place au 1e tour avec sa promesse de mettre en place une VIe République.

En réalité, Emmanuel Macron aurait pris un gros risque en instaurant la proportionnelle dès 2022. Car le scrutin uninominal à deux tours joue en faveur des partis modérés comme LREM : pour les législatives 2022, tout comme lors de la présidentielle, le camp Macron pourra compter dans de nombreuses circonscriptions sur un duel au 2e tour avec le RN. Le front républicain devrait alors jouer son rôle et envoyer de nombreux députés macronistes à l'Assemblée. En cas de proportionnelle, en revanche, des candidats du RN et de la Nupes pourraient rentrer massivement au palais Bourbon : de nombreux sondages sur les intentions de vote au 1er tour donnent même la gauche devant la confédération Ensemble !. Le camp présidentiel a donc tout intérêt à un scrutin à deux tours.

Ajoutons que la France a une histoire ambivalente avec les régimes parlementaires prévoyant une élection de l'Assemblée à la proportionnelle. C'était le cas de la IVe République, dont les dernières années ont été caractérisées par une grande instabilité politique. La Ve République, à l'inverse, avec son scrutin uninominal à deux tours, devait garantir davantage de stabilité en donnant plus de pouvoir à l'exécutif. Cependant, de nombreux exemples de régimes parlementaires utilisant la proportionnelle à l'étranger montrent que celle-ci n'empêche pas la stabilité : en Allemagne, par exemple, les membres du Bundestag sont élus avec une forte dose de proportionnelle. En Autriche, la proportionnelle est même intégrale.

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