RTS : des estimations avant 20h sur la Radio-télévision suisse ce dimanche ?

RTS : des estimations avant 20h sur la Radio-télévision suisse ce dimanche ?

RTS. Pour cette élection présidentielle comme pour les précédentes, la RTS fait partie des ces médias suisses et belges à fournir des estimations du résultat avant 20 heures, libérés qu'ils sont des lois françaises. Il y a deux semaines, la Radio-télévision suisse ne s'était pas privée...

Les résultats de la présidentielle près de chez vous

[Mis à jour le 24 avril 2022 à 18h47] "Macron et Le Pen au coude-à-coude à 24%, selon un premier sondage." Il est 18h15 et non 20h ce dimanche 10 avril, quand la RTS publie ce titre dans son live consacré à l'élection présidentielle française, sur son site Internet. La Radio-télévision suisse fait ainsi fuiter une estimation du résultat du scrutin avant même que les bureaux de vote soient fermés en France. Et le média suisse, de service public, en dit finalement très peu sur la source de cette estimation, qui se révélera pour le moins farfelus moins de deux heures plus tard. La RTS se contente d'évoquer un "premier sondage à la sortie des urnes" puis "une enquête réalisée par un des grands instituts de sondages français".

Dans ces chiffres de la RTS, Emmanuel Macron et Marine Le Pen étaient donc donnés au coude-à-coude à 24% devant Jean-Luc Mélenchon à 19%. L'information sera si significative pour le média helvète que ce dernier prendra la peine de le raleyer sur son compte Twitter quelques minutes après sa publication sur son site Internet.

Une heure plus tard, la RTS revoyait ses estimations initiales. "Trois nouveaux sondages donnent toujours Emmanuel Macron en tête" indiquait elle, citant d'autres médias francophones puis relayant encore une fois son info sur le réseau social.

Des estimations de la RTS non sourcées et... fausses

Ces estimations avant 20h de la RTS et de nombre d'autres médias suisses et belges sont impossibles en France, où il est interdit de communiquer sur l'issue du scrutin avant la fin du vote au niveau national. Si ces médias étrangers s'affranchissent de cette interdiction, c'est parfois pour le meilleur, mais souvent pour le pire. En 2017, certains avaient en effet vu juste. Mais force est de constater que pour le premier tour de cette présidentielle 2022, si les deux finalistes annoncés se sont confirmés, le "coude-à-coude" promis en fin d'après-midi était une pure illusion. Ou, pour reprendre le terme de la Commission des sondages en France, qui avait publié un communiqué avant le scrutin, "le fruit de rumeurs ou de manipulations" auxquelles "aucun crédit ne devra [...] être accordé". 

La fiabilité des estimations de la RTS peut en effet être remise en cause quand on sait que les 8 principaux instituts de sondages (BVA, Elabe, Harris Interactive, Ifop, Ipsos, Kantar, Odoxa, OpinionWay) ont assuré à ladite commission qu'aucun d'entre eux ne réaliserait de sondages "sortie des urnes" pendant le scrutin. Bien sur, un de ces instituts a pu mener en secret ce genre d'enquête en interrogeant les électeurs sur leur choix via Internet ou "physiquement", à la sortie de l'isoloir. La Commission des sondages a d'ailleurs fait savoir qu'elle avait contacté l'institut Harris Interactive le 10 avril "pour s'assurer que l'engagement pris de ne pas réaliser de sondage sortie des urnes avait été respecté". Mais les sondages "sortie des urnes" sont néanmoins de moins en moins utilisés par les sondeurs. Jugés peu fiables  après des années de pratique, à cause notamment de leur méthodologie basée sur du déclaratif, ils ont été peu à peu abandonnés.

Existe-t-il des estimations fiables ?

Alors d'où viennent les chiffres qui circulent et que certains médias belges et suisses comme la RTS peuvent publier ? Cela fait dix ans désormais, depuis la présidentielle 2012 au moins, que la question reste sans réponse. Cette année là, la Commission des sondages, courroucée d'avoir constaté des fuites dès le milieu d'après-midi, avait saisi le parquet de Paris qui avait ouvert une enquête. Deux médias belges, un média suisse, un site internet basé en Nouvelle-Zélande mais aussi l'AFP, qui avait décidé de relayer les estimations, et un journaliste belge qui s'était dévoilé sur Twitter étaient cités. Mais l'enquête ne permettra pas d'identifier la source des chiffres.

Il existe pourtant des estimations fiables établies par les institutes de sondages le jour de l'élection présidentielle. Celles-ci sont même indispensables pour que les chaînes de télévision soient en mesure de délivrer un résultat solide dès 20 heures. Mais rien à voir avec des sondages "sortie des urnes". Cette fois, les sondeurs procèdent à un relevé des résultats réels dans plusieurs centaines de bureaux de vote jugés représentatifs du vote en France. A partir de 19h, heure de fermeture de nombreux bureaux de vote, des enquêteurs vont communiquer le résultat des dépouillements tous les 100 bulletins à l'institut. Un puissant algorithme vient ensuite établir des projections nationales. Plus fiable que la méthode déclarative habituelle des sondages, ce calcul des estimations s'est peu à peu imposé dans les pratiques les jours de scrutin. Mais avec cette méthode, impossible d'obtenir des estimations fiables avec 19h45, selon les sondeurs eux-mêmes.

Les fuites des estimations, sport national en Suisse

En vertu de la loi du 19 juillet 1977, la publication de toute indication sur les résultats d'une élection politique est interdite avant la clôture des derniers bureaux de vote à 20h. La loi française prévoit une période de réserve pour les médias qui a débuté vendredi à minuit et ne s'achève que quand les bureaux de vote sont clos, avec l'objectif de préserver la neutralité du scrutin et de ne pas influencer ceux qui n'auraient pas encore rempli leur devoir civique. Les bureaux de vote fermant à 20 heures dans les grandes villes, cette législation française est ainsi une aubaine pour tous les médias étrangers francophones. Mais depuis une dizaine d'années désormais et à chaque élection ou presque, des estimations sur le résultat des élections sont ainsi mises en ligne par les médias suisses et belges (Le Temps, La Tribune de Genève, la RTS, mais aussi, en Belgique, Le Soir, La Libre Belgique ou la RTBF) dès le milieu voire parfois le début de l'après-midi.

Comme leurs confrères belges, les journaux helvètes, du Temps et de la "TDG", mais aussi la RTS chamboulent leur édition Web pour suivre le scrutin depuis Paris, grâce à leurs correspondants basés dans la capitale française. C'est ainsi qu'il leur arrive de propager des fuites sur leurs sites ainsi que sur le Web, autrement dit les premiers résultats des élections françaises sous forme de sondages, avant l'heure légale de 20 heures. Le tout pendant que de l'autre côté des Alpes, devant la crainte d'une lourde amende, on attend avec impatience le verdict des urnes.

Ces chiffres qui abreuvent des réseaux sociaux assoiffés, qui n'en peuvent plus d'attendre depuis le début de journée des indices sur le scrutin, sont souvent assez précis, donnant par exemple lors de la dernière élection présidentielle les noms des deux finalistes avec un pourcentage de vote très proche de ce qui avait été établi lors du résultat final. Des indications sur l'élection de tel ou tel député ou de tel ou tel conseiller européen ou régional sont aussi régulièrement données lors des législatives ou des élections intermédiaires.

Pionnier de ce contournement de la loi française, qui oblige les médias de l'Hexagone à attendre 20 heures avant de dévoiler des chiffres, la RTS avait, dès la présidentielle et les législatives de 2012, mis en place une édition spéciale sur le Web, proposant en fin d'après-midi les premières estimations sur son compte Twitter et sur son site Internet. Lors des législatives françaises notamment, elle avait reçu un tel afflux de visiteurs sur son site que ce dernier avait fini par connaitre des lenteurs. Depuis, pour les médias suisses qui ne sont pas soumis à la loi française, les fuites de sondages sont devenues un sport national. Sport dans lequel ils ont encore excellé au premier tour.

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